Anti-impérialisme bien ancré dans le droit international

Région : ,

L’historienne Béatrice Richard, citée par Antoine Robitaille dans son examen fascinant de l’histoire et des causes de l’opposition québécoise à de nombreuses guerres, (Le pacifisme, maladie ou vertu québécoise?, samedi 23 septembre) évoque, avec justesse, la nature anti-impérialiste de cette objection.

Ainsi, il est sensé de conclure que rien dans « l’esprit québécois » ne puisse ipso facto être identifié qui soit lâche, mais bien davantage que les aventures impériales entreprises par des puissances étrangères n’ont jamais emballé les Québécois.

Et pour cause. La Charte de l’Organisation des Nations unies a comme pierre angulaire l’interdiction du recours à la force dans les relations internationales, et assujettit l’utilisation de la violence aux décisions du Conseil de sécurité, lesquelles devront être prises seulement si les autres mesures prévues à l’article 41 de la Charte sont insuffisantes pour maintenir ou restaurer la paix et la sécurité internationales.

Ainsi, la tendance à s’opposer aux guerres, tout particulièrement les guerres que l’on peut qualifier d’«impériales», a de solides assises dans le respect du droit international. Ce qui moralement n’a rien de lâche, bien au contraire.

Que penser, alors, du « nouveau rapport que le Québec est en train de développer avec la guerre », pour autant qu’il s’agisse de « guerre juste »?

Il est utile de se poser la question de savoir, aussi, comment on procède à une détermination du caractère « juste » d’une guerre. Dans notre vie courante, le potentiel de recourir à la violence est balisé par le Code criminel. Il en va ainsi des affaires internationales qui sont soumises au droit international. D’aucuns pourraient soutenir que cette notion de droit international est floue, politique, voire même factice, depuis la fin de la guerre froide. En effet, la seule superpuissance a pu s’engager dans des actions militaires contre des pays étrangers, soit avec l’aval du Conseil de Sécurité (Irak, 1991); sans l’autorisation des Nations unies, mais avec une coalition dite « régionale », l’OTAN (Yougoslavie, 1999); et sans autorisation formelle aucune (Afghanistan, 2001 et Irak, 2003).

Toutes ces guerres ont été présentées comme étant justes. Toutes les justifications s’appuyaient sur des allégations factuelles et des arguments moraux. Mais elles étaient loin d’être toutes légales, tant dans leur déclenchement que dans leur exécution.

Et quant aux éléments factuels présentés parfois avec grande émotion, et toujours avec une conviction solennelle, plusieurs d’entre eux se sont avérés peu fiables, ou tout simplement inexacts, suite au déclenchement des hostilités.

Mais même lorsque les motifs de l’intervention initiale s’avèrent boiteux, sinon mensongers, les justifications tendant à soutenir l’action militaire initiale (et surtout le maintien d’une présence—militaire– étrangère) continuent de se déployer, et évoquent ce besoin qu’a aujourd’hui ce pays, hier la cible des bombes (parfois les nôtres), de nos bienveillants efforts de reconstruction et de démocratisation. Voilà que peut sembler constituer une cause juste, et pourtant, n’avions-nous pas dépassé, avec les décolonisations, avec la révolution tranquille, la tentation de mission civilisatrice?

Le jugement de Nuremberg nous a légué une leçon aussi importante qu’elle est claire : le crime contre la paix, l’agression, constitue le « crime international suprême », et l’agression se distingue des autres crimes internationaux en ce qu’elle contient, en elle, le germe de tous les autres crimes de guerre.

On pourrait souhaiter que quel que soit le « nouveau rapport » que le Québec serait à façonner avec la guerre, qu’il garde à l’esprit que ses objections à des guerres d’agression sont parfaitement compatibles avec le droit international. Le scepticisme face aux allégations factuelles et aux arguments trop souvent chargés d’émotion (parfois démagogique, parfois plus subtile, aux accents humanitaires) n’est pas symptôme d’une pathologie ou de couardise. Devant le « crime international suprême », il est moralement et légalement correct de s’objecter, et peut-être s’agit-il d’un devoir (moral et citoyen) de s’enquérir des causes et des intérêts véritables qui motivent les grandes puissances à fourbir les armes.

Les incubateurs de la première guerre du golfe, les armes de destruction massive de la seconde, nous auront certainement appris qu’il est sain de se méfier de certaines informations qui nous arrivent de l’étranger. (Le récent épisode Jan Wong nous démontre que même au très respectable Globe and Mail, il est possible de conclure qu’au Québec—et seulement au Québec—il n’est pas répugnant de parler de la pureté ethnique. Se méfier? Absolument!)

Ainsi, les procès de Nuremberg, et les idéaux ayant animé l’établissement de l’organisation des Nations unies– soit la détermination de mettre fin au fléau de la guerre et d’assurer le droit des peuples à l’autodétermination—soutiennent bien l’attitude québécoise face à la guerre.

Ni vertueuse, ni malade, mais simplement rationnelle et morale.

Tiphaine Dickson est avocate.



Articles Par : Tiphaine Dickson

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.

Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d'articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l'article, l'adresse url ainsi qu'un hyperlien vers l'article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d'auteur (copyright) doit également être indiquée.

Pour publier des articles de Mondialisation.ca en format papier ou autre, y compris les sites Internet commerciaux, contactez: [email protected]

Mondialisation.ca contient du matériel protégé par le droit d'auteur, dont le détenteur n'a pas toujours autorisé l’utilisation. Nous mettons ce matériel à la disposition de nos lecteurs en vertu du principe "d'utilisation équitable", dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux. Tout le matériel mis en ligne sur ce site est à but non lucratif. Il est mis à la disposition de tous ceux qui s'y intéressent dans le but de faire de la recherche ainsi qu'à des fins éducatives. Si vous désirez utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur pour des raisons autres que "l'utilisation équitable", vous devez demander la permission au détenteur du droit d'auteur.

Contact média: [email protected]