Argentine: La faim s’invite aux urnes
En Argentine, crise sociale et changement politique devraient aller de pair ce dimanche, à l’occasion d’élections générales. L’expansion de la misère durant le mandat du libéral Mauricio Macri paraît rédhibitoire.
L’Université catholique argentine (UCA), institution de référence dans l’évaluation sociale du pays, estime qu’en décembre de cette année, lorsque débutera le nouveau mandat présidentiel, la pauvreté concernera 40 % de la population. Le très officiel Institut national de statistiques et de recensement (INDEC) a confirmé, fin septembre, qu’à la fin du premier trimestre 2019, 16 millions de personnes (35,4 % des Argentins) étaient pauvres et 3,4 millions de personnes (7,7 %) indigentes. Un enfant sur deux vit en état de pauvreté.
A l’approche des élections générales (lire ci-dessous), le constat est brutal. Élu de justesse il y a quatre ans avec la promesse de la « pauvreté zéro », Maurico Macri a bien de la peine à justifier ce paradoxe : l’Argentine est l’une des grandes puissances agricoles du monde, et pourtant la faim tenaille des millions de ses habitants.
Autrefois considéré comme l’un des « greniers du monde », le pays sud-américain assure encore aujourd’hui, grâce à ses exportations, l’alimentation de 400 millions de personnes, soit dix fois plus que sa propre population.
Pourtant, à cause de la chute accélérée des revenus, de plus en plus d’Argentins doivent compter sur la solidarité pour s’alimenter. Durant cette dernière année, la partie la plus pauvre de la population a perdu 20 % de son pouvoir d’achat.
Bibliothèque et cantine
« Nous sommes très préoccupés par l’augmentation, ces trois dernières années, du nombre de personnes venant chercher un plat de nourriture », témoigne Daniel Macalusi, le vice-président de la Bibliothèque populaire Empalme Norte. Dans cette zone pauvre de la banlieue de Rosario, durement frappée par le narcotrafic et la violence qu’il génère, l’institution culturelle a dû s’improviser restaurant social. Trois fois par semaine au moins, « nous assurons un repas du soir gratuit aux pauvres du quartier », détaille cet électricien indépendant de 52 ans. Plus de 400 personnes bénéficient à chaque fois de la mobilisation bénévole de leurs voisins. Cela fait huit ans que Daniel Macalusi collabore à la Bibliothèque populaire. Aujourd’hui, en plus des livres, elle porte pas moins d’une dizaine de programmes éducatifs, culturels et sportifs.
C’est en 2016 qu’elle ouvre sa cantine pour venir en aide à des centaines d’habitants, dont de nombreux enfants et adolescents. « Au début, nous offrions le goûter à quinze enfants. Actuellement, plus de cent reçoivent quotidiennement leur verre de lait et un petit pain », explique Daniel Macalusi.
Une étude récente de l’université de Rosario et de l’organisation Barrios de Pie, diffusée durant la seconde semaine d’octobre, indique que quatre mineurs sur dix fréquentant les restaurants populaires de la province de Santa Fe souffrent de malnutrition.
Daniel Macalusi confirme : « Je le constate de mes propres yeux, c’est la pire situation de misère qu’il m’a été donné de voir depuis de longues années. J’ai vu comment la perte de l’emploi affecte notre communauté. Je l’ai moi-même vécu. Actuellement, je n’ai du travail que deux jours par semaine. »
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L’inflation dévore tout
Pour Carlos Gómez, anthropologue et docteur en sociologie à Rosario, la pauvreté et la misère ont pris une nouvelle dimension depuis fin 2015, avec l’arrivée au gouvernement de Mauricio Macri. Les augmentations démesurées des prix des services publics essentiels (électricité, gaz, eau, etc.) et des combustibles ont joué le rôle de détonateur, relève M. Gómez. Des pourcentages accumulés de plus de 1000 % en très peu de temps, qui ont représenté une « véritable déflagration pour les revenus des classes moyennes et populaires, rendant inviable toute économie domestique et faisant disparaître les économies déjà précaires des quartiers, en particulier les petites entreprises. »
Un « ajustement » néolibéral qui a fait exploser les prix des aliments – 6,2 % en septembre dernier – et celui du transport public. L’inflation globale a atteint le mois dernier 5,8 %, ce qui la porte à 55,5 % sur l’année. Sur les quatre années du gouvernement Macri, la hausse des prix à la consommation se monte à environ 300 %.
Selon Carlos Gómez, même si le gouvernement actuel a maintenu quelques politiques sociales antérieures de son prédécesseur, « les digues qui avaient été consolidées durant la présidence de Cristina Kirchner ont explosé face à l’ampleur de l’augmentation du coût de la vie ».
Cette préoccupante réalité a poussé l’opposition péroniste à proposer une loi d’« urgence alimentaire », finalement approuvée par le parlement durant la troisième semaine de septembre. Cette mesure prévoit une augmentation de 50 % du budget national pour l’alimentation et la nourriture, en privilégiant plus particulièrement les enfants jusqu’à l’âge de 14 ans, les femmes enceintes et les personnes âgées. La loi, qui s’appliquera jusqu’en 2022, stipule un ajustement trimestriel automatique de ce budget à l’inflation et au coût du panier de base alimentaire.
En attendant mieux, peut-être, après le scrutin de ce week-end.
Sergio Ferrari, en collaboration avec Le Courrier, depuis l’Argentine
Traduction Hans-Peter Renk
Via le site du CADTM
(Photo : José Cettour)