Asie de l’Est – De grands scénarios eurasiens

Les Megaéglises [Sectes chrétiennes regroupant un grand nombre de fidèles, NdT] sud-coréennes répandent leur déstabilisation idéologique.

La Corée du Sud abrite l’une des populations chrétiennes évangéliques les plus dynamiques au monde et possède également certaines des plus grandes megaéglises au monde. En soi, c’est une indication apolitique bénigne sur les croyances de sa population, mais intégrée dans une perspective régionale riche en événements d’actualité récents, cela devient alors une menace inquiétante de déstabilisation.

La Corée du Nord et la Chine sont bien connues pour être des sociétés athées, la première ayant beaucoup moins de tolérance pour toute forme de christianisme que la deuxième, mais les deux hébergent des sectes chrétiennes secrètes, connectées avec l’étranger, qui sont acharnées à vouloir faire tomber leurs gouvernements. Les radicaux chrétiens n’ont pas encore commencé à recourir à des tactiques terroristes traditionnelles, mais ils sont néanmoins parfois définis comme des terroristes en fonction des circonstances de leur capture et quelles que soient leurs activités antérieures.

La Corée, pays des cinq plus grandes églises au monde.La Corée du Sud occupe une place importante dans ce complot, car elle est la base voisine pour ce type de prosélytisme chrétien agressif anti-communiste, qui mine la confiance de la population en Corée du Nord et en Chine. La religion est utilisée comme cri de ralliement pour rassembler différents réseaux secrets de croyants, afin de générer une masse critique de militants anti-gouvernementaux pour de futures manifestations.

On peut comprendre que Pékin et Pyongyang soient si soupçonneux et réactifs envers ces groupes chrétiens secrets, car l’Histoire montre que ces organisations et leurs figures de proue ont régulièrement été utilisées comme une avant-garde de la cinquième colonne, pour des campagnes coloniales antérieures en Afrique et en Asie. Rien de ce genre pour le moment présent, mais le principe reste que des groupes religieux illégaux opérant en Chine et en Corée du Nord – spécialement ceux qui pratiquent un prosélytisme particulièrement hostile tels que les protestants et les évangéliques – sont utilisés comme paravent pour secrètement déstabiliser l’État de l’intérieur.

La plupart des gens ne sont pas au courant, mais la Chine a une histoire très sanglante de chefs religieux, et de demi-dieux auto proclamés, commandant des légions de partisans à se faire la guerre. Et si la même approche à l’emporte-pièce est peu probable de nos jours, l’idée d’acteurs malveillants assemblant des réseaux de résistance anti-étatiques violents, sous le couvert de la religion et de Dieu, continue d’être une menace permanente pour la stabilité de la Chine, quelle que soit l’époque. L’histoire bien documentée de violence religieuse et sectaire en Chine explique le malaise de Pékin face à la promotion agressive du christianisme. Et voyant la façon dont la Corée du Sud est aujourd’hui le siège asiatique de cette idéologie, on peut raisonnablement estimer que cette tendance démographique à l’intérieur de ses frontières peut être – et est probablement déjà dans une certaine mesure – une arme potentielle de guerre hybride contre la Chine et la Corée du Nord.

Le THAAD transforme l’Asie du Nord-Est en un chaudron

La stratégie étasunienne d’exploiter les réactions de la Corée du Nord qu’entraînent les provocations militaires de la première, a donné un alibi pour le déploiement du système THAAD de réseau anti-missiles en Corée du Sud, apparemment pour se protéger contre Pyongyang, mais en réalité pour se préparer au prochain déploiement d’un système de ciblage plus large, permettant des capacités de seconde frappe nucléaire contre la Russie et la Chine. En réponse immédiate et logique, la Russie et la Chine ont dit qu’elles allaient commencer à travailler plus étroitement sur l’élaboration de contre-mesures coordonnées à cette menace mutuelle, pouvant aller jusqu’à annoncer leur propre système anti missiles commun. Tout cela n’a fait qu’entraîner l’Asie du Nord dans l’avant-garde d’une nouvelle guerre froide entre les mondes unipolaires et multipolaires et intensifier les tensions de façon spectaculaire dans ce coin de l’Eurasie.

Les alliances en cours de développement regroupent la Russie et la Chine d’un côté et les États-Unis et la Corée du Sud de l’autre ; le Japon étant allié au deuxième groupe de pays, mais pas encore pleinement coordonné dans un cadre trilatéral avec eux. La mémoire historique de l’expérience de la Seconde Guerre mondiale est encore très vivante dans cette partie de l’Asie, et les publics coréen du Sud et japonais sont généralement en désaccord l’un avec l’autre sur l’interprétation de ces événements et le rôle (à la fois historique et sur comment cela devrait actuellement être expié) de l’impérialisme japonais. Il est possible, cependant, que les politiciens d’échelon plus élevés et l’État profond (les bureaucraties militaire, du renseignement et diplomatiques permanentes) de ces pays ne partagent pas les vues populaires qui prévalent dans leurs sociétés et soient fortement encouragés par les États-Unis à rejoindre ce système tripartite, en utilisant bien sûr l’argument médiatique commercial de coordonner leur réponse contre la Corée du Nord.

C’est un dangereux triangle, parce que les États-Unis sont géographiquement isolés des conséquences les plus directes que cela pourrait provoquer, et cela induit en eux un comportement encore plus irresponsable à jouer sur la corde raide en forçant leurs pays alliés de la région à obéir, même si cela doit être contraire à leurs intérêts nationaux. Les États-Unis cherchent aussi à provoquer la Chine et l’entraîner à répondre impulsivement (comme ils ont toujours essayé de faire en mer de Chine du Sud et avec les différends frontaliers indiens), de sorte qu’un alibi rationnel puisse être donné par Séoul en légitimant le fait de travailler plus étroitement avec le Japon et peut-être même de flirter avec le TTP, dans le futur. Les liens économiques sino-sud-coréens sont très étroits et mutuellement bénéfiques, mais c’est justement cela que les États-Unis tentent de perturber, dans une version adaptée, mais similaire à ce qu’ils avaient tenté de faire avec l’Ukraine vis-à-vis de la Russie en forçant Kiev à entreprendre un inutile choix de civilisation. Quelque chose de ressemblant à tout cela est en cours de réalisation en ce qui concerne la Corée du Sud et la Chine, le THAAD étant l’équivalent pour la Corée du Sud de ce que l’accord d’association avec l’UE était pour l’Ukraine.

Pour aussi négative que soit la séparation de l’Asie du Nord-Est en deux blocs séparés et facilement discernables, elle transporte en elle un vernis de stabilité vintage venant de l’époque de la guerre froide et de sa bipolarité, où ce système en deux blocs avait déjà cette forme. Par contre, le maillon faible et imprévisible qu’est la Corée du Nord se situe juste au milieu des deux blocs, et non seulement pourrait mal tourner, d’une façon ou d’une autre et modifier l’équilibre du pouvoir, mais elle pourrait aussi imploser (que ce soit naturellement ou par l’intermédiaire de provocations étasuniennes telles qu’un coup d’État militaire, une guerre économique réussie à grande échelle, et / ou une révolution de couleur). Les systèmes à deux blocs sont stables tant qu’il n’y a pas de trou noir d’incertitude entre eux, rôle que la Corée du Nord joue en ce moment. Si elle pouvait être freinée et gérée en toute sécurité, la Corée du Nord pourrait être un atout précieux pour le partenariat stratégique russo-chinois dans l’équilibre contre les États-Unis installés en Corée du Sud et au Japon, mais, selon toutes les indications disponibles, cela semble être une tâche très difficile et qui pourrait même ne pas être réalisable à ce stade. Par conséquent, la Corée du Nord reste l’une des incertitudes les plus risquées du monde entier, car, quoi qu’il arrive, elle fera résolument pencher la balance du pouvoir en Asie du Nord et de façon drastique, que ce soit vers le monde unipolaire ou vers le multipolaire.

La réunification de la Corée : Cui bono ?

L’un des scénarios les plus populaires étudiés par les étudiants en relations internationales est d’imaginer dans quelles circonstances la Corée du Nord et la Corée du Sud pourraient être réunies et quel impact cela aurait sur les affaires régionales. Pour simplifier, il existe trois possibilités pour savoir comment cela pourrait se produire de manière réaliste et trois résultats connexes :

La guerre :

La Corée du Sud et du Nord en viennent à la guerre totale l’une contre l’autre et les deux sont très probablement détruites. Le champ de bataille est ravagé et les soldats restants et les civils mobilisés de chaque côté deviennent la toile de fond d’une intense guerre par procuration américano-chinoise et pourrait même aboutir à l’intervention directe des deux côtés dans la mêlée, tout comme lors de la première guerre de Corée.

La «paix» :

Un coup d’État militaire renverse Kim Jong-un et purge rapidement ses alliés institutionnels, conduisant à une réunification soudaine et rapide avec la Corée du Sud, même si cette réunification sera de longévité douteuse en raison de la surprenante confusion qu’elle suscitera chez des Nord-Coréens endoctrinés.

L’implosion :

Un coup d’État militaire, une révolution de couleur ou une guerre hybride (chacun d’entre eux étant étroitement liés) pourraient réussir à jeter le pays dans le chaos, ou même une suite d’effondrements socio-économiques et / ou humanitaires indépendantes de toute volonté. Cette dernière hypothèse du scénario est moins susceptible de susciter une implosion du pays à cause de son expérience de telles crises au cours des années 1990, et aussi parce que la Chine l’aiderait alimentairement, si besoin était.

Une Corée réunifiée prendrait probablement une des ces trois formes :

Détruite :

La péninsule coréenne est un terrain ravagé qui doit maintenant être reconstruit, avec la Chine et le reste de la communauté multipolaire participant aux efforts de reconstruction dans le nord tandis que les États-Unis et leurs alliés unipolaires feraient la même chose dans le sud. Un gouvernement dirigé par l’ONU préside l’ensemble du territoire, mais le pays est toujours de facto divisé comme il l’était à la veille de sa séparation internationale de fait.

Divisée :

La réunification ne se produit pas vraiment dans les faits et les deux Corées continuent à se comporter comme des unités indépendantes, peu importe ce que préconise l’accord politique qu’elles ont passé entre elles. Cela pourrait se produire si sa destruction ou un coup d’État militaire prend le relais et conduit à une percée immédiate dans les relations entre Pyongyang et Séoul. Ce format peut être utilisé pour apaiser les Nord-Coréens patriotes qui ne veulent pas de réunification politique immédiate selon les termes de la Corée du Sud, mais sont prêts à une nouvelle forme de partenariat avec leurs compatriotes.

En paix :

Une Corée unie devient une puissance économique encore plus forte en Asie du Nord que la somme de ses deux parties auparavant indépendantes, avec un miracle coréendépassant même celui de son prédécesseur de l’après-guerre froide, l’Allemagne. Même si aucune troupe étasunienne ou coréenne du Sud ne traverse l’ancienne zone démilitarisée, l’armée nord-coréenne récemment réorientée pourrait se diriger contre la Chine, en particulier à cause d’un environnement d’hostilités du genre de ceux que l’on voit en mer de Chine, provoqués par les États-Unis, entre les deux entités (peut-être entraînés par le thème des ethnies coréennes en Mandchourie). La Nouvelle Coréedeviendrait ainsi un allié américain, équipé en nucléaire, au cœur de l’Asie du Nord.

Le retour du soleil levant

Le Premier ministre Abe ramène son pays en arrière, le long du chemin du militarisme, et il est évident que les États-Unis ont l’intention d’utiliser cette nation insulaire comme partenaire paravent dans le nord et l’Asie du Sud-est. La réinterprétation récente de la Constitution, afin de permettre le déploiement de moyens militaires à l’étranger pour le soutien de pays alliés est le signe dangereux montrant que Tokyo envisage de jouer un rôle beaucoup plus affirmé tout au long de la région Asie de l’Est / Pacifique occidental. Le déroulement des événements en Asie du Sud-est a déjà été décrit, mais pour son équivalent nord-est, nous verrons certainement le Japon bander ses muscles en tant que puissance navale et continuer à provoquer la Chine dans la mer de Chine orientale.

C’est un fait peu connu, mais bien qu’il soit un pays officiellement pacifisteles forces d’auto-défense japonaises sont équipées de munitions sophistiquées et ont accès à des outils de haute technologie qui en font une formidable (même si non déclarée) puissance militaire. En outre, l’industrie de l’énergie nucléaire du pays produit suffisamment de déchets pour que Tokyo puisse construire 1 000 bombes nucléaires en un an, si la décision fatidique était prise un jour. Même si cela n’a pas encore eu lieu et pourrait ne jamais se produire, il est indubitable que le Japon est une grande puissance qui doit être prise au sérieux dans tous les calculs géopolitiques, et que la Terre du Soleil Levant est finalement de retour au premier plan des affaires continentales avec le plein soutien des États-Unis.

Andrew Korybko

 

Article original en anglais : East Asia: Greater Eurasia ScenariosKatehon, 28 septembre 2016

Traduit par Wayan, relu par Catherine pour le Saker Francophone.



Articles Par : Andrew Korybko

A propos :

Andrew Korybko est le commentateur politique étasunien qui travaille actuellement pour l’agence Sputnik. Il est en troisième cycle de l’Université MGIMO et auteur de la monographie Guerres hybrides: l’approche adaptative indirecte pour un changement de régime(2015).

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