Attentats de Paris 13-Novembre. Pas en mon nom.

Dans les jours qui ont suivi le massacre du vendredi 13 novembre à Paris, les couleurs du drapeau français ont orné la tour Eiffel et la façade des immeubles publics à travers le monde. De l’Opéra de Sidney au Christ de Rio, en passant la tour du CN à Toronto et la pointe du One World Trade Center de New York. De même, Facebook nous proposa de filtrer notre photo de profil à l’aide du drapeau tricolore. Beaucoup, au Liban, auraient voulu pouvoir en faire autant avec l’image d’un cèdre.

Mais que serait notre drapeau sans cet hymne qui résonne désormais aux quatre coins du monde, porté par des foules à la fois tristes et solidaires : « Aux armes citoyens ! / Formez vos bataillons / Marchons, marchons / Qu’un sang impur / Abreuve nos sillons ». Même l’Orchestre symphonique de New York s’y est mis ! La Marseillaise, hymne national à la portée universelle !

Cette expression de solidarité francophile fait évidemment chaud au coeur. Ayant en partie grandi dans une cité de la banlieue parisienne, dans le 93, et ayant souvent traîné dans les 10e et 11e arrondissements de Paris, principaux lieux du carnage, j’ai été bouleversé par les attentats. « Paris, Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! », pour reprendre les paroles d’un certain général un 25 août de 1944.

Comme des milliers de personnes, j’ai passé une partie de la soirée du 13 novembre à essayer de joindre des amis qui auraient pu avoir le malheur d’être au mauvais endroit au mauvais moment. J’ai pleuré, beaucoup, en voyant ces rues que j’aime tant souillées de sang, en lisant les témoignages et, peu à peu, les noms des victimes. J’ai été particulièrement ému par le courage et la solidarité dont certains ont fait preuve, démontrant une nouvelle fois à quel point nous sommes capables du pire comme du meilleur.

De la solidarité au patriotisme

Et puis le drapeau tricolore et La Marseillaise sont arrivés. Je disais que cette vague de solidarité faisait chaud au coeur, mais elle donne aussi froid dans le dos. Car elle s’accompagne du bruit des bottes et des coups de canon. Ce déploiement patriotique, aussi bien intentionné puisse-t-il être, est une injonction à se conformer, à obéir. Nous sommes sommés de choisir notre camp, les interstices se resserrent, il n’y a plus de place pour la dissidence. Tout au plus, les divergences seront de l’ordre de la surenchère sécuritaire. Préférons-nous un état d’urgence socialiste, ou un état d’urgence nationaliste ? Un bombardement de gauche, ou un bombardement de droite ? Que la déchéance de la nationalité française puisse être faite sous la présidence de François Hollande ou attendre que ce soit sous celle de Marine Le Pen ? Car trêve d’angélisme ! « C’est la guerre ! Il faut choisir son camp ! » nous dit-on. « Avec nous, ou contre nous ! »

Je refuse ce rétrécissement de la pensée, de la parole et de la démocratie ! Tout comme Facebook réduit l’empathie à un vulgaire filtre tricolore, le patriotisme réduit la solidarité à l’amour des siens et à la haine de l’autre. On nous dit souvent que le patriotisme n’est que la protection de notre territoire, de nos institutions, des nôtres, et qu’il ne serait pas aussi belliqueux que le nationalisme, qui, lui, proclame la nation supérieure et appelle à l’agression. Mais dans les deux cas, la patrie ou la nation exige de nous une allégeance exclusive, une loyauté sans faille, un dévouement complet, sans quoi nous serons soupçonnés de cultiver d’autres loyautés, voire plusieurs, et ultimement accusés de trahison. Le nationalisme comme le patriotisme n’ont pas de place pour de multiples allégeances et loyautés.

En tant qu’immigré récidiviste, en tant que métèque, en tant que Français, je rejette toute injonction au deuil patriotique. Certaines figures publiques n’ont de cesse d’exiger des musulmans qu’ils condamnent les attentats et se dissocient du groupe armé État islamique. Je me dissocie, pour ma part, de mon gouvernement et condamne sa politique liberticide et meurtrière.

Les États-Unis et leurs alliés bombardent la Syrie depuis plus d’un an et il est évident qu’il faudra beaucoup plus de temps pour un règlement du conflit, quel qu’il soit. Et une fois que les combats auront cessé et que la Syrie ne sera plus qu’un vaste cimetière, que se passera-t-il ? Les puissances occidentales se lanceront-elles alors dans de fabuleux plans d’ingénierie institutionnelle visant à mettre en place un nouveau régime, comme en Irak avec le succès qu’on sait ? Ou opteront-elles pour un scénario libyen, en abandonnant tout simplement la population à un destin plus qu’incertain ?

Et entre-temps, en France, combien de manifestations auront été interdites, combien de maisons auront été perquisitionnées, combien de personnes auront été placées en garde à vue et internées dans des camps ? D’aucuns diront que nous n’avons pas le choix, que c’est la guerre et que la guerre n’est jamais belle. C’est ce que disait George W. Bush le lendemain du 11 septembre 2001, c’est ce qu’a dit Barack Obama lorsqu’il a été contraint de reconnaître que son gouvernement avait eu recours à la torture. Est-ce que le gouvernement français va torturer pour venger les victimes de Paris ? Pour assurer notre sécurité et celle de la patrie ? Il est vrai que la guerre d’Algérie, entre autres, lui a permis d’acquérir une expertise reconnue en la matière.

Je ne sais ni jusqu’où ira le gouvernement français, ni combien de temps cela durera. Mais c’est bien mal parti. Je refuse de prendre les armes et de former des bataillons. Je refuse de marcher pour la patrie et, surtout, je refuse qu’un sang impur abreuve nos sillons. Et je refuse que cela se fasse en mon nom. Je préfère fredonner les paroles de Renaud, même si elles datent un peu : « J’peux pas encaisser les drapeaux / Quoi que le noir soit le plus beau / La Marseillaise, même en reggae / Ça m’a toujours fait dégueuler / Les marches militaires, ça m’déglingue / Et vot’République, moi j’la tringle ».

Marcos Ancelovici

Marcos Ancelovici : Professeur de sociologie à l’UQAM (Université du Québec à Montréal, Québec, Canada).



Articles Par : Marcos Ancelovici

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