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Attentats terroristes: Piazza Fontana, un film pour réfléchir.
Par Dominique Arias
Mondialisation.ca, 13 décembre 2015

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Paris, Charlie, Beyrouth, Ankara, Londres, Madrid, Bologne, Milan… Deux attentats sanglants à Paris, combien à Bagdad, Mossoul, Damas ? Depuis combien d’années, pourquoi, pour qui et pour combien de temps encore ?

Pourquoi Rue Bichat ou Rue Alibert plutôt que sur les Champs Elysées ? Pourquoi pas Neuilly ou Clamart ? Pourquoi dans le quartier kurde plutôt qu’à Nisantasi le quartier super chic d’Istanbul ? Pourquoi dans les trains de banlieue de Londres, Madrid ou Bologne plutôt qu’à Davos ou sur le Mont Pèlerin ?  Pourquoi New York à la fraiche, plutôt qu’en plein après-midi, quand tous les pontes, les « Big Boss », les « Hot Shots » sont au bureau ? Pourquoi la Banque nationale d’Agriculture plutôt que vers la Via Manzoni, la Via della Spiga ou le Corso Venezia ?

Cette curieuse prédilection des terroristes pour les quartiers populaires, alors que pour défrayer la chronique, rien de tel que de frapper les quartiers chics, les stars, Monaco, La Baule, La Barbade, Hollywood. Et ça ne surprend jamais les journalistes. Ils trouvent ça normal. Où est le problème après tout ? C’est de tradition, pour être médiatiquement efficace, un attentat doit frapper Monsieur tout le monde, pas les élites. Quand on veut terroriser, on ne peut tout de même pas prendre le risque d’être applaudi… On doit viser ceux qui n’ont aucun pouvoir décisionnel sur quoi que ce soit, surtout pas les autres. Bein voyons !

Pour ceux qui se demandent pourquoi on revient toujours aux mêmes schémas, aux mêmes méthodes, aux mêmes réactions ; pour ceux qui se demandent en quoi plus de flics armés et de militaires déguisés en buisson, le doigt sur la gâchette dans les rues d’une grande ville vont empêcher les terroristes de faire leur business ; à qui ils sont supposés flanquer la trouille si ce n’est aux péquins dans la rue ; pour ceux qui se demandent à quoi ça sert l’état d’urgence, ou bien à qui… je conseillerai simplement de voir ou de revoir cet excellent film italien de 2012, Piazza Fontana, de Marco Tullio Giordana. Dur, bien ficelé, tissé très serré comme une toile rêche, mais surtout extrêmement documenté, initialement par le journaliste d’investigation Paolo Cucchiarelli, dans son ouvrage Le secret de Piazza Fontana, paru en 2009 chez Ponte alle Grazie. Et puis, un film ça s’offre, ça se loue, ça se télécharge, ça se prête, et ça rappelle aussi qu’avec une documentation ample et solide on peut aller au-delà de quelques très bons articles ou un excellent bouquin. Le cinéma, c’est pas juste du divertissement. Pour ceux qui sont du métier, à vous de jouer ! C’était l’occasion de le dire.

Non, c’est pas l’histoire d’une opération militaire au Proche-Orient lancée dans l’urgence, un peu précipitamment, totalement hors des clous du point de vue du droit international car elle n’avait, à l’heure des premières frappes et de la mise en route du grand porte-avion, aucun aval de l’ONU ni du gouvernement du pays bombardé, et aucun impératif majeur à faire valoir pour justifier son déclenchement intempestif. Ça pourrait, mais ce n’est pas ça.

C’est l’histoire d’une époque sombre, où la majorité de la population lâche le système et attend autre chose ; d’une époque où les élites dont tout le monde se détourne sont prêtes à tout pour justifier leur maintien à la tête d’un système ouvertement corrompu auquel plus personne ne croit, dont plus personne n’attend rien de bon hormis les hommes d’affaire ; d’une époque où la guerre du Viêtnam est devenue à l’Ouest le seul moyen de faire encore tourner l’économie mondiale, d’injecter massivement (au prétexte d’un cas de force majeure : « l’expansion communiste ») de l’argent public dans les grandes entreprises et toute la chaine de leurs fournisseurs, des matières premières aux composants électroniques en passant par les transports, les pneus, les carburants, la fabrication de camions, de bateaux, d’avions, de cannons, de bombes, larguées par milliers, sans témoins, au milieu d’immenses étendues de forêts somptueuses, bientôt transformées en déserts. C’est l’histoire de gens qui ont peur et qui n’ont pas d’autre perspective à proposer que de faire peur en retour, encore plus peur, pour ne pas qu’on leur arrache le pouvoir des mains en disant « ça suffit, si c’est tout ce que vous êtes capables d’en faire, laissez la place à d’autres. Ce n’est pas votre argent que vous misez là, à la roulette. Il y a d’autres priorités. »

C’est l’histoire de l’inoculation méthodique des prémices mensongères de l’idéologie contre-insurrectionnelle, pudiquement appelée « doctrine », pour lui donner un air plus docte, un semblant de sérieux, par euphémisme, mais qui sert juste à endoctriner, Monsieur machin, Monsieur tout le monde, sa femme et son fils et sa bonne, et les petits soldats, auxquels on va devoir demander de mettre en joue leurs propres compatriotes, prêts à tirer, prêts à le faire, pour de bon, et sans états d’âme ; de casser du manifestant, des vieux, des minots, des bougnoules, des pauvres, des érudits, des justes, à la matraque ou au Flash-Ball, persuadés que s’ils se soulèvent c’est qu’on les y aura poussé de l’extérieur. Un soulèvement populaire, ça peut pas être spontané, justifié, ça n’existe pas, c’est fomenté de l’extérieur, par l’ennemi ; ou bien c’est « l’ennemi intérieur », qui est partout, n’importe qui, tout le monde, et qu’il faut tuer avant qu’il ne tue, tuer dans l’œuf, extirper de la masse, comme un cancer. Sans lui, tout irait bien, personne ne se plaindrait, et la chienlit irait bien sagement au travail, sans se poser de question, et admirerait ceux qui la dirigent.

C’est l’histoire des années de plomb.

Pour ceux qui veulent réfléchir.

Dominique Arias

 

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