Au carrefour des corridors de pipelines stratégiques : le conflit du Haut-Karabagh

 

Bien qu’il ait été le plus sanglant d’entre eux, le conflit du Haut-Karabagh (que les Arméniens appellent aussi Artsakh) semble souvent susciter moins d’intérêt que ceux des autres anciens territoires soviétiques de Pridnestrovie (appelée également Transnistrie ou Transdniestrie), d’Ossétie du Sud et d’Abkhazie. Le Haut-Karabagh est géographiquement plus éloigné des nations de l’Union Européenne et des États-Unis que les autres pays mentionnés. Comme c’est le cas pour bon nombre de conflits, certains considèrent qu’il est difficile de déterminer quel côté soutenir entièrement (arménien ou azéri) en raison des conditions complexes entourant cet ancien territoire de la République soviétique d’Azerbaïdjan aujourd’hui contesté. D’un point de vue matérialiste, l’Azerbaïdjan, riche en combustibles fossiles, constitue le grand prix, mais il existe également un degré de sympathie compréhensible envers le peuple arménien et son passé tragique. En outre, certains expriment de l’appréhension à l’égard de la situation des droits humains en Azerbaïdjan et (généralement dans une moindre mesure) en Arménie.

Depuis la guerre d’août dernier, au cours de laquelle le gouvernement géorgien a lancé une attaque armée contre l’Ossétie du Sud, les efforts diplomatiques se multiplient au sein des pays considérés comme des parties clés dans le conflit du Haut-Karabagh. En septembre, le président de la Turquie (perçue comme sympathique à l’Azerbaïdjan et historiquement hostile envers l’Arménie) et son homologue arménien se sont rencontrés à Erevan, un événement vu comme positif dans l’ensemble. Aussi, les présidents d’Arménie, d’Azerbaïdjan et de Russie se sont rencontrés à Moscou en novembre dans une atmosphère dite optimiste. En février, le président turc a rencontré son homologue en Russie, séjour au cours duquel il a principalement visité la république musulmane du Tatarstan. Lors de cette rencontre russo-turque, la multiplication des liens commerciaux entre les deux pays a été encouragée.

Alors qu’il existe toujours des différends sur le Haut-Karabagh, le climat davantage pacifique entourant les discussions maximise les chances d’arriver à un accord. L’Azerbaïdjan demeure incapable d’asseoir son autorité dans cette région et, parallèlement, aucun pays (y compris l’Arménie) ne reconnaît formellement l’indépendance du Haut-Karabagh, qui, malgré sa proximité de la frontière arménienne, se situe sur le territoire azéri.

Si l’on songe à un compromis, une situation unique peut être envisagée où le Haut-Karabagh serait reconnu comme faisant partie à la fois de l’Arménie et de l’Azerbaïdjan. Les conditions fixées sous cet accord hypothétique concerneraient le retour de réfugiés ainsi que les points plus subtils relevant de l’administration du territoire.

Un référendum sur le statut du Haut-Karabagh (dont on a discuté à la rencontre de novembre à Moscou) offre différentes options. L’Azerbaïdjan n’est pas favorable à celle impliquant uniquement la participation des résidents du Haut-Karabagh, car la majorité d’entre eux sont Arméniens. Ces derniers seraient toujours en majorité même si les réfugiés reconnus du territoire avaient le droit de vote (selon le recensement soviétique de 1989, les Arméniens comptaient pour 75 % de la population de ce territoire). Pour leur part, les Arméniens ne sont pas friands d’un référendum qui inclurait tout l’Azerbaïdjan, sa population étant plus de deux fois supérieure à celle de l’Arménie (environ 8 millions par rapport à 3 millions). Le principal groupe ethnique dans chaque pays (les Arméniens en Arménie et les Azéris en Azerbaïdjan) constitue au-delà de 90 % de la population. Cette statistique compte le Haut-Karabagh comme une partie de l’Azerbaïdjan (la population actuelle du Haut-Karabagh est évaluée à 140 000).

Dans l’ensemble, les Arméniens ne semblent pas enthousiastes à l’idée de faire du Haut-Karabagh une république autonome en Azerbaïdjan. Des analyses font état de l’augmentation du budget militaire azéri comparativement à celui de l’Arménie, une réalité utilisée de façon suggestive pour contrer le désir permanent du Haut-Karabagh de se séparer de l’Azerbaïdjan. Cette vision est contrebalancée par la notion voulant qu’une future guerre pour le Haut-Karabagh serait une expérience probablement trop sanglante d’un côté comme de l’autre pour être envisagée. L’on peut douter du fait que des forces armées suffiraient à intimider les Arméniens afin qu’ils acceptent un diktat pacifique. Sur ce point, il est possible qu’un militarisme azéri considérablement accru pourrait ne pas prédominer advenant une tentative de prise de pouvoir du Haut-Karabagh, puisque, contrairement à l’Azerbaïdjan, l’Arménie est membre de l’Organisation du traité de sécurité collective (ses autres membres étant la Russie, le Belarus, le Kazakhstan, le Kirghizstan et le Tadjikistan). Les gouvernements étatsunien et azéri ont par ailleurs discuté de plans et les ont mis en place afin de soutenir la capacité militaire azérie.

L’Arménie et l’Azerbaïdjan ont tous deux démontré une flexibilité géopolitique dans leurs relations avec l’Ouest et la Russie, une attitude possiblement liée au désir de rapprochement de ces derniers.

Il n’y a aucun doute que l’Arménie est partiellement influencée par ses relations étroites avec la diaspora arménienne à l’Ouest. Dans son refus de reconnaître l’indépendance du Haut-Karabagh, l’Arménie semble prendre en considération la façon dont la communauté internationale voit les frontières des anciennes républiques soviétiques (la non reconnaissance des revendications séparatistes).

Il y a quelque temps, des commentaires ont été émis à l’effet que le Russie avait essuyé un revers au Sommet de la Communauté des États indépendants (CEI) à Moscou en 2006. Ils notaient l’absence des présidents ukrainien, géorgien, turc et arménien (ce dernier supposément malade à l’époque). Ils ne mentionnaient toutefois pas la présence des présidents moldave et azéri. La Moldavie et l’Azerbaïdjan, comme la Géorgie et l’Ukraine, sont membres de du GUAM [Géorgie, Ukraine, Azerbaïdjan, Moldavie], une organisation créée officiellement dans le but de promouvoir le développement politique et économique. Bien que nié officiellement, certains voient la création du Guam comme une tentative pour limiter l’influence de la Russie sur l’ancienne Union soviétique. Depuis la rencontre de la CEI en 2006, la popularité des présidents ukrainien et géorgien a diminué (elle avait déjà chuté auparavant), au moment où la Moldavie et l’Azerbaïdjan semblent se rapprocher de la Russie. La Moldavie et l’Azerbaïdjan ont été incapables de gouverner le territoire contesté à l’intérieur des frontières soviétiques et, qu’on le veuille ou non, la Russie conserve une grande influence sur des sujets concernant les anciennes républiques soviétiques.

En ce moment, l’Azerbaïdjan étudie une entente sur le gaz avec la Russie qui pourrait miner le projet de pipeline de Nabucco (une initiative occidentale visant à réduire la dépendance actuelle au gaz russe transitant par l’Ukraine).


Le pipeline de Nabucco.

Article original en anglais :  » At the Crossroads of Strategic Pipeline Corridors: Settling the Dispute Over Nagorno Karabakh « , publié le 31 mars : 
http://www.globalresearch.ca/index.php?context=va&aid=12967

Michael Averko est un analyste de la politique étrangère et critique des médias indépendant vivant à New York.



Articles Par : Michael Averko

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