Au Niger, des villageois réduits à manger des feuilles
Une fois de plus, un pays africain est touché par la famine. Il s’agit du Niger, dont le gouvernement a lancé un appel à la « communauté internationale » pour sauver les 3 millions de personnes touchées, sur une population de 12,4 milllions d’hab. Face à ce drame, dans un pays classé avant-dernier mondial en matière de développement humain, les réactions du gouvernement nigérien et de la « communauté internationale », peuvent servir d’illustration au cynisme criminel du néolibéralisme.
Le Niger est un vaste pays sahélien de 1’267’000 km2, un pont entre les parties septentrionale (Algérie, Libye) et subsaharienne de l’Afrique, ce qui l’expose souvent aux caprices de la pluviométrie. La production agricole a par ailleurs souffert, en 2004, de l’invasion des criquets pèlerins, qui ont dévasté une grande partie de la récolte de l’Ouest africain sahélien. Dans un pays dont la majorité de la population se livre aux activités agricoles (70%) et vit en milieu rural, 3 millions de paysan-nes de tous âges souffrent actuellement de pénurie alimentaire, dont 800’000 enfants. Parmi eux, plus de 100’000 sont dans un état critique, ce qui provoque la mort des plus fragiles au rythme d’une dizaine par jour. Une telle situation nécessite une aide alimentaire d’urgence.
Une aide marchandée
Après avoir fait l’autruche pendant des mois, le président nigérien Tandja M. (réélu en décembre 2004), vient finalement de reconnaître l’existence de cette catastrophe humanitaire et d’appeler à l’aide la « communauté internationale », qui a mobilisé des fonds pour soutenir le gouvernement nigérien face à la crise. Mais, il s’agit d’une aide bien particulière.
En effet, pour le gouvernement nigérien et les agences de l’ONU, les vivres ne doivent pas être distribués gratuitement aux populations, pourtant physiquement affaiblies et financièrement démunies : ils doivent être vendus à crédit, à des « prix modérés » ou en échange d’heures de travail. « Trade not Aid », disent les Etats-Unis ! Désormais, l’aide aux pauvres est considérée, sous toutes les latitudes, comme préjudiciable à la bonne marche de l’économie, ce qui, dans cette logique, est plus vrai encore pour un Etat classé « Pays pauvre très endetté » (PPTE).
Patriotisme néolibéral
En réaction à cette attitude cynique et criminelle, la Coordination Démocratique de la Société Civile du Niger (CDSCN) a organisé une marche de protestation dans la capitale pour demander au gouvernement de procéder à une distribution gratuite de vivres dans toutes les zones touchées. Pendant ce temps, le président nigérien M. Tandja était l’un des cinq chefs d’Etat africains invités par George Bush, le 13 juin dernier, qui les a présentés ainsi : « Je considère ces hommes comme mes amis, je les considère comme des patriotes convaincus de leur nation respective, et je les considère comme des démocrates » [1] .
Ce sont de véritables patriotes, mais de la mondialisation néolibérale. En effet, la quasi-indifférence du gouvernement nigérien à l’égard de la famine s’explique par son implication dans la « Facilité pour la Réduction de la Pauvreté et pour la Croissance (FRPC) », imposée par le FMI, dont l’une des exigences est « le renforcement de la gestion publique pour aider les pays à bien cibler et hiérarchiser les dépenses » [2] .
C’est dans ce même cadre de l’Ajustement Structurel, qu’au lendemain de sa réélection, le gouvernement de M. Tandja a instauré une TVA de 19% sur les denrées alimentaires de première nécessité et les tranches inférieures de consommation d’eau et d’électricité, dans un pays dont 63%, au moins, de la population vit avec moins d’un dollar par jour. Vu que les salaires n’ont pas connu d’adaptation depuis quinze ans, en dépit de la hausse quasi-permanente du coût de la vie, l’instauration de cette TVA n’est rien d’autre qu’une baisse plus sévère des salaires réels.
C’est, d’une part, ce patriotisme néolibéral qui vaut au Niger de figurer parmi les 18 états qui ont vu leur dette multilatérale « annulée » récemment. Et, d’autre part, ca coopération militaire avec les USA, au nom de la « lutte contre le terrorisme » (salafiste algérien, en l’ocurrence). sans oublier l’uranium…
Franc CFA et uranium
Dans cette sous-région, la France veille encore au grain, notamment au travers de la zone monétaire du franc, un héritage colonial. Concernant le Niger, ses intérêts sont d’une importance stratégique, puisque c’est de ce pays, aujourd’hui l’un des deux plus pauvres de la planète, que l’ex-puissance coloniale a extrait l’essentiel de l’uranium qui a contribué à son statut de puissance nucléaire. Ce pillage continue de plus belle : le Niger est le 3ème producteur mondial et l’uranium représente 61,6 % de ses exportations. Il s’accompagne d’une intoxication des mineurs, par ailleurs surexploités, et d’une pollution de l’environnement, particulièrement des eaux, dans les zones minières.
Cette pollution de l’environnement n’est pas sans compromettre l’avenir agricole et écologique d’un pays déjà confronté à l’aridité sahélienne. Ainsi, l’arrêt de l’exploitation de ces mines est une nécessité du point de vue humain et écologique, de même que dans une perspective anti-nucléaire. Ceci implique la rupture avec une orientation économique fondée sur la priorité aux exportations – un volet de l’ajustement structurel – qui renforce la dépendance et la domination extérieures.
Résistance populaire
Depuis la Conférence Nationale Souveraine (1991) qui a mis fin au monolithisme politique, des organisations de la société civile ont plus d’une fois exprimé leur rejet de l’ajustement structurel, conséquence d’un endettement qui n’a servi ni à combattre l’analphabétisme (81% de la population), ni à développer une politique viable de santé publique, ni à créer des emplois à revenus décents…Les femmes en sont les principales victimes, jusqu’au trafic des jeunes filles par des réseaux de prostitution. Bien au contraire, les très maigres acquis en matière d’éducation, de santé, d’emplois sont chaque fois rognés, dans un climat de démocratie minimale.
Ce régime s’est illustré par la répression des étudiant-e-s opposés à la marchandisation de l’Université, de certains organisateurs du Forum social nigérien, des syndicalistes en grève contre le nouveau plan de retraite des fonctionnaires, des principaux dirigeants de la Coordination Démocratique de la Société Civile du Niger (CDSCN), qui ont organisé la longue mobilisation populaire (en mars-avril 2005), avec une manifestation de 100’000 personnes (à Niamey, la capitale) contre la TVA et la vie chère [3]…
En cette période de mobilisation contre la mondialisation néolibérale, les luttes menées par ce peuple, de façon presque permanente, loin des médias qui édifient « l’opinion internationale » souffrent d’un flagrant déficit de solidarité de la part du mouvement altermondialiste.
[1] (www.whitehouse.gov/news/releases/2005/06/20050613.html)
[2] (www.imf.org/external/np/exr/facts/fre/prgff.htm)
[3] (www.cadtm.org/article.php3 ?id_article=1365)