« Au Venezuela il n’y a pas de retour au passé »
Entretien avec la sociologue Maryclen Stelling
La professeure universitaire Maryclen Stelling est sociologue et analyste politique et des médias. Elle dirige le « Centre latino-américain Romulo Gallegos » et coordonne l’»Observatoire global des médias » à Caracas. Elle enseigne à l’Université Catholique Andrés Bello et à l’Université Expérimentale Polytechnique des Forces Armées. Elle conduit l’émission de la Radio nationale vénézuélienne « La première main » de Caracas.
Manola Romalo : Après 70 jours d`absence, le Président Hugo Chavez est rentré dans la nuit du 18 février à Caracas où il continuera son traitement dans un Hôpital militaire. Des le matin, des milliers de Vénézuéliens sont descendus dans les rues (1) pour manifester leur immense joie. Que signifie le retour du Président pour le Venezuela ?
Maryclen Stelling : Les images parlent d’elles-mêmes. Le peuple « chaviste » est sorti sur toutes les Places Bolivar du pays pour exprimer son amour illimité au Président, son espérance pour la vie et son espoir politique. La gestion de Chavez n’est pas une offre vaine, ni la Constitution lettre morte. En plus d’un compromis politique qui transcende les frontières de la patrie et qui a éveillé dans d`autres peuples une route historique, nommée d’une manière générale « Socialisme du XXI siècle » – en différentes versions-, il existe une importante gestion dirigée fondamentalement pour inclure les personnes qui, traditionnellement exclues, n’étaient jamais incorporées par un pacte social, au-delà de la charité ou bien d`une attention focalisée.
Cette gestion a été renforcée par le charisme d’Hugo Chavez et de son dévouement, au dépend même de sa santé, pour ce peuple qui l’aime et qui s’est « transformé » en Chavez. Le slogan: « Je suis Chavez » veut dire: je suis la révolution», « je suis l’histoire », « je suis le futur » et « je suis le sujet de ce procès historique ». Un tel phénomène ne peut s’analyser à partir d’une perspective simpliste comme « le fanatisme » propre au peuples latino-américains …Il ne peut pas être déchiffré à partir d`autres clés culturelles et théoriques. Le Venezuela est en train de construire son histoire et son futur de concert avec son peuple, en montrant un chemin inédit à beaucoup d’autres peuples du monde.
Manola Romalo : En l’absence du Président, opéré le 11 décembre à La Havane, son Vice-président Nicolas Maduro a conduit les affaires de l`État. « Maduro n’a pas été élu avec le Président par le peuple, comme dans d’autres pays sud-américains. Il n’a donc aucune légitimité (stipulée, mr) par une décision du peuple électeur », affirmait en janvier le correspondant pour l’Amérique Latine du quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung. (2). L’actuel gouvernement manque-t-il de légitimité ?
Maryclen Stelling : Au Venezuela, selon la Constitution, (Constitución Bolivariana de Venezuela, le Vice-président (3) exécutif est nommé et/ou changé par le Président de la République, avec la limitation stipulant qu’il ne peut y avoir un degré de consanguinité entre eux. En plus, ce n’est pas une fonction promue par des élections populaires « comme dans d’autres pays sud-américains ». En ce sens, dans le contexte politique dicté par sa santé, Chavez décide, faisant us de son droit de Président de la République, de désigner Nicolas Maduro en tant que Vice-président.
Le gouvernement du Venezuela est absolument légitime. Hugo Chavez est le candidat victorieux de quatre élections présidentielles : 1998, 2000, 2007 et 2012. La proposition d’amendement impulsée par le Président de la République s’est imposé majoritairement à faveur de la réélection indéfinie de présidents/tes, gouverneurs, législateurs régionaux, maires, députés et n’importe quelle autre fonction publique due à une élection populaire.
Manola Romalo : Au Venezuela on discute actuellement beaucoup au sujet du procès d’inclusion du peuple, prévu par la Constitution (4) ratifiée le 15 décembre 1999 par 71,78% d’électeurs. Elle a été élaborée avec la participation active des bases populaires, des syndicats, des organisations paysannes, des étudiants, etc. De quelle façon se concrétise cette inclusion?
Maryclen Stelling : Actuellement on est en train de finaliser un procès intéressant, multidimensionnel, concernant l’inclusion: sociale, politique et économique (5). La stratégie politique du gouvernement a deux priorités absolues: l’universalité et l’équité. La recherche de l’équité est un critère suprême de l’orientation politique du gouvernement afin de réaliser l’universalité effective des droits ainsi qu`une plus juste distribution de la richesse. Pour cela on a mis en place des instruments politiques qui satisfont les besoins spécifiques et individuels des citoyens, par exemple des personnes ayant des incapacités, se trouvant dans des situations d’indigence, avec des besoins l’alimentation, d’éducation, de santé et de logement, entre autres.
Le pouvoir du peuple (poder popular) est un concept fondamental du processus bolivarien (6). Concernant la « participation et l’organisation populaire » : le peuple organisé participe en tant que pouvoir populaire directement, sans intermédiaire comme les ONG qui s’autogèrent en société civile et substituent ainsi le peuple et ses organisations légitimes de base. La participation populaire est légalisée dans la Loi du Pouvoir Populaire (Conseil communaux, Système économique communal, Contrôle social et Planification, entre autres.)
Au Venezuela il y a un incroyable accroissement de formes diverses et alternatives de participation populaire. Par exemple au niveau des organisations de bases qui prennent des décisions les concernant pour : l’énergie, l’eau, les terres urbaines, les conseils communaux ou bien divers collectifs et réseaux sociaux qui influent et participent aux décisions politiques.
Le financement de la politique sociale est dirigée primordialement a assurer la satisfaction des nécessités sociales des secteurs de la classe moyenne. Ces financements sont conçus en tant que droits sociaux. Le financement de la politique sociale de l’État a de multiples sources : le fisc national, les contributions des entreprises d’État et des réserves excédentaires.
Manola Romalo : De quelle manière les lois politiques et sociales ont changé la vie des Vénézuéliens?
Maryclen Stelling : Selon les dates de l’Institut national de statistiques (Instituto Nacional de Estadística, INE), l’index de pauvreté extrême (7) qui était de 5 millions 400 000 personnes en 1998 a été réduit à 2 millions 440 000 en 12 ans. Grâce à l’investissement social continu du gouvernement cet index est tombé à 6,8 %.
Entre 1999 et 2010 le Venezuela a investi 400 mille millions de dollars dans le secteur social. L’investissement social est monté de 36 % (1986-1998) à 62 % (1999-2011) : + 26 %.
Avec la réduction de 17,1 % (1998) de foyers vivants dans la pauvreté extrême á 6,6 % (2010), au moins la moitié des foyers n`est plus « extrêmement pauvre ». Pour la même période, les foyers vivant dans la pauvreté se sont réduit de 43,9 % à 21,) %. De ce fait, le Venezuela a atteint les objectifs du Millénaire des Nations Unies (8)
En 1998 10,6 % de la population était au chômage, à cause du sabotage pétrolier ce chiffre est monté en 2006 à 14,6 % mais en décembre 2012 il est tombé à 5,9 %.
Un autre signe de justice sociales représente l`investissement du gouvernement dans les pensions. Il y a 12 ans, au Venezuela environ 300 000 personnes recevaient une pension, actuellement 2,5 millions de personnes ont une pension, payée 14 fois par an.
Manola Romalo : Les autorités découvrent tous les jours des milliers de tonnes d`aliments, de produits d`hygiènes et d`autres biens, « confisqués » par les producteurs ou bien par certaines grandes chaines de distribution. Dans quel but?
Maryclen Stelling: Au Venezuela le problème de la spéculation sur les prix, pour des raisons tant économiques et culturelles est très grave. La spéculation est utilisée actuellement comme une arme politique contre le gouvernement. Les médias de communications participent à des campagnes portant sur le manque de biens de première nécessité, – fait pas toujours basées sur la réalité – qui génèrent une pénurie et des achats nerveux.
En 2011 est entrée en vigueur la « Loi des coûts et des prix justes » avec laquelle s’est initiée la première phase du chronogramme de fiscalisation interinstitutionnelle des structures des prix internes des entreprises pour produits d`hygiène, de maison et pour les aliments. L’instrument légal établi les mécanismes d`administration et de contrôle nécessaires pour maintenir la stabilité des prix et permettre à l`ensemble de la population l’accès aux biens et aux services en conditions d`égalité.
Manola Romalo : Depuis 14 ans l’opposition perd toutes les élections, au sein de la population ses représentants ont une réputation misérable. Quelles en sont les principales raisons ?
Maryclen Stelling : Le projet de gouvernement conduit par Hugo Chavez, son style personnel de gestion, son indéniable charisme et sa façon directe de confronter l`adversaire ont perturbé l’opposition vénézuélienne.
Au Venezuela s’est imposée une nouvelle culture politique qui se soustrait à l’entendement des secteurs de l’opposition. Déjà avant la venue de Chávez au pouvoir (1999) ils avaient des difficultés à comprendre cette nouvelle culture politique. Une fois commencée la transition vers ce nouveau projet politique, l`opposition exprime une médiocre habileté à déchiffrer les clés culturelles d’un Venezuela « chaviste » ; ils essayent de construire une image d’un Venezuela qui n`existe plus. Les changements qui ont eu lieu dans notre pays sont sans retour.
L’incapacité de ces secteurs est telle, qu’ils ont généré un style presque irrationnel qui se manifestant par une haine envers Chavez, envers son image et sa gestion politique, en essayant à tout prix de le détruire ou bien en induisant des circonstances d’où dériverait son élimination physique. C`est pourquoi l’opposition a perdu d`importantes occasions, tant électorales qu’idéologiques et politiques de vaincre son adversaire.
Même lorsqu’elle a augmenté quantitativement et de manière graduelle elle ne réussit pas à capter le gros de la population vénézuélienne, convaincue que le « chavisme », le socialisme ou le « bolivarianisme », (doctrine de Simon Bolivar, 1783-1830, militaire et homme politique vénézuélien, considéré le Libérateur de l`Amérique Latine, mr.) l’a transformée en acteur principal, l’a inclue et lui un offre un futur.
Ancré dans un passé qui n`existe plus et ne reviendra pas au Venezuela, l’opposition se disqualifie et se minimise jusqu`à se transformer dans une opposition risible. Elle a des individus compétents et qualifiés qui toutefois ont peu de chose en commun, sauf leur haine contre Chavez. C’est pour quoi lorsqu’elle est convoquée par une conjoncture électorale, l’opposition se dilue sans un projet réel, vu que son unique boussole est de s’opposer à Chavez. Sans leader, sans projet pour le pays, l’unique raison d’être de l’opposition c’est : vaincre Chavez. Ce pourquoi sa maladie représente une circonstance sur laquelle elle s’appuie ouvertement ou de façon occulte pour éliminer cet adversaire qui lui a été impossible de vaincre jusqu’à présent. L’opposition défaite aux urnes en 2012 et 2013, ne réussit actuellement pas à dépasser son projet idéologique néolibéral-capitaliste.
Manola Romalo : Quoique d`après les bulletins médicaux transmis plusieurs fois par semaine par le gouvernement, la santé du Président Chavez s`améliore, les médias de l’opposition locale – repris par la grande majorité des médias internationaux – spéculent sur la situation d`un Venezuela « post-chaviste ». Le projet de transformation socialiste pourra-t-il continuer sans Hugo Chavez?
Maryclen Stelling : Dans l’article intitulé « En espérant le post-chavisme » (9) j’ai analysé sommairement la stratégie médiatique des Etats-Unis face à l`absence du président. On présente le Venezuela au bord de l’abime, incapable d’affronter le vide du pouvoir, comme un pays qui s’enfonce dans une profonde crise institutionnelle à cause de l’absence de Chavez (10) et qui, en plus, est secoué par une profonde crise économique.
On dessine un débâcle en raison d`une profonde crise économique, les biens publiques sont pillés pour assurer sa réélection. On prédit une lutte occulte pour la direction du Venezuela post-chaviste, ce qui se traduirait par une crise institutionnelle au sujet de sa succession. (La sociologue a analysé pour les mois de décembre 2012 et janvier 2013 les suivants médias états-uniens : Boston Herald, Washington Post, The Economist, CNN et ABC News, mr.)
Au cas d’un Venezuela sans Chavez il y aura un immense défit à affronter, tant par le fait qu`il est le président du pays depuis 1999 comme par sa condition de leader indiscutable de ce processus de transformation. Néanmoins je crois qu`il a posé les bases pour surmonter cet écueil, au cas où il s`y présenterait.
En ce qui concerne le processus de transformation ou ce qu’on a appelé l’approfondissement de la transition vers le socialisme, il est très bien développé dans le Programme de la Patrie 2013-2019. Je crois que sa soutenabilité est très faisable et dépend des facteurs suivants :
· Au niveau de la citoyenneté : Maturité politique et compromis politique et idéologique du « peuple chaviste » avec ledit projet. Souvenons-nous que pendant sa campagne électorale pour la présidence de 2012, Chavez l’a promotionné en exigeant qu’il soit discuté au niveau des bases sociales.
· L’équipe de gouvernement doit conserver union et solidité au-delà des différences qui, logiquement, vont apparaitre.
· Constante formation idéologique
· Lutte contre le clientélisme basé sur un Etat qui redistribue la rente pétrolière ce qui minimise le Pouvoir populaire et protagoniste.
· Lutte contre les valeurs capitalistes dont la compulsion à la consommation, éducation des valeurs socialistes.
Manola Romalo
(1) http://www.avn.info.ve/galeria/156713
(2) http://www.faz.net/aktuell/politik/ausland/die-castro-brueder-und-chavez-havanna-club-12027318.html
(3) http://www.voltairenet.org/article177231.html
(4) http://www1.umn.edu/humanrts/research/venezuela-constitution.html
(5) www.cepr.net/documents/publications/venezuela-2012-09.pdf
(6) http://www.internationalnews.fr/article-12951512.html
(8) http://www.ohchr.org/Documents/HRBodies/HRCouncil/RegularSession/Session19/A-HRC-19-12_fr.pdf
(9) http://www.aporrea.org/actualidad/a158271.html
(10) http://www.michelcollon.info/spip.php?page=produit&ref=7peches&lang=fr
Voir également l’entrevue en espagnol (vidéo) :
Maryclen Stelling: Las mentiras de los medios internacionales contra Venezuela, le 10 février 2013.