Barak Ovadya, candidat

L’OBAMA ISRAÉLIEN. Á quoi va-t-il ressembler, l’équivalent israélien de Barack Obama ? Quelles seront ses caractéristiques?

Voilà une question particulièrement tentante. Il va sans dire qu’il n’y a pas de recette pour construire un être humain, comme on fait un gâteau selon les indications d’un livre de cuisine. On peut cependant, au moins, prendre en considération quelques unes des caractéristiques souhaitées.

Par exemple :

D’OÙ VIENDRA-T-IL ?

L’équivalent israélien de la communauté noire aux États Unis est la communauté des juifs orientaux, les juifs qui sont venus en Israël des pays arabes et d’autres pays musulmans. Ils n’appartiennent pas à un autre peuple comme les citoyens arabes d’Israël, ils font partie de la population majoritaire. Ils constituent une communauté patriotique qui est l’objet de discriminations, une communauté de citoyens de seconde classe.

Pour obtenir un parallèle exact avec Obama, le candidat devrait être mi-oriental et mi-ashkénaze, avec le côté oriental de son image dominant. J’ai dans le passé forgé un mot hébreu pour désigner les Israélien d’origine mêlée ashkénaze-sépharade – « ashkénazim » – Le mot n’a pas eu de succès en dépit du fait que nous avons maintenant des centaines de milliers de femmes et d’hommes qui correspondent à cette définition.

Ainsi, l’Obama israélien est un juif oriental d’origine mêlée.

Par commodité, donnons-lui un nom hébreu imaginaire : Barak Hasson Ovadya.

QUEL VA ÊTRE SON TRAVAIL ?

La première réalisation de Barak Obama a été la mobilisation de millions d’électeurs, beaucoup d’entre eux jeunes, qui étaient dégoûtés des politiciens. Il les a enthousiasmés, leur a donné une raison de s’engager dans le processus et en a fait des militants, des donateurs et des agents de mobilisation. Il a mis en évidence une chose extrêmement importante : ce que ce groupe important détestait, ce n’était pas la politique, mais les politiciens. Ils en étaient arrivés à la conclusion qu’il n’y avait pas de réelles différences entre les membres des différents partis, qu’ils étaient tous cyniques, tous avides de pouvoir et la plupart d’entre eux avides d’argent. Lorsque ces jeunes électeurs ont vu un homme politique d’une autre espèce, ils l’ont porté en triomphe.

Voilà exactement ce dont nous avons besoin. La récente expérience des élections municipales de Tel-Aviv prouve que c’est possible. Si un homme politique d’un genre différent apparaît sur la scène, quelqu’un qui ne ressemble pas à ceux du passé, les électeurs vont le reconnaître.

Les Israéliens sont un peuple politique, peut-être plus qu’aucun autre. Mais ils sont lassés des politiciens qu’ils connaissent. Ils considèrent qu’il n’y a pas de différence réelle entre les leaders des trois principaux partis, entre le Premier ministre sortant et les trois candidats qui se disputent sa succession. Ils estiment « qu’ils sont tous les mêmes » et que les leaders des petits partis eux-mêmes ne sont pas différents. Ils ne voient aucune différence dans leurs personnalités ni aucune différence réelle entre leurs messages. Ces électeurs potentiels ne votent pas du tout, ou par pur dépit, pour une liste plus ou moins fantaisiste, comme celle du parti des retraités lors des dernières élections. 

« Barak Ovadya » doit trouver le chemin des coeurs et des intelligences de ces centaines de milliers d’électeurs. Il doit leur apporter espoir et motivation, les convaincre qu’il est possible de tout changer, complètement, et les convaincre ainsi de s’associer à la campagne pour un renouvellement de la scène politique en Israël.

D’OÙ VIENDRONT SES ÉLECTEURS ?

La seconde réalisation importante de Barak Obama a été sa réussite dans la construction d’une coalition multicolore : des jeunes blancs et noirs, des hispaniques, des verts idéalistes, des libéraux, des gens préoccupés par les questions sociales, des gays et des lesbiennes, et enfin des féministes.

L’aptitude à bâtir une telle coalition est essentielle pour Barack Ovadya. Israël n’a pas besoin d’un nouveau petit parti représentant une foule de gens sur un seul thème. C’est le travail de groupes de défense extraparlementaires, chacun d’eux agissant dans sa propre niche et faisant porter ses efforts sur un seul thème. Un parti politique conçu pour changer le système politique et placer le pays sur une nouvelle trajectoire doit constituer une majorité autour d’un message qui prenne en compte tous les domaines de la vie de l’État et des citoyens.

En Israël, cela est plus difficile qu’aux États Unis. Le système américain à deux partis incite à de grands regroupements. Notre système de représentation proportionnelle incite par contre à des solutions absolument opposées – de petits partis constitués autour d’un seul thème.

Pour donner naissance à un grand changement il faut un parti politique solide. Ovadya aura pour tâche de rassembler une large coalition avant les élections. Cela implique de créer un nouveau parti – ou la prise de contrôle d’un parti existant pour le renouveler complètement, comme Obama l’a fait.

Quels seront les éléments d’une telle force nouvelle ? Les masses de jeunes Ashkénazes et d’orientaux, le public « social », les citoyens arabes, la communauté russe, les verts, les laïques, les gays et les lesbiennes, les féministes, les religieux progressistes et naturellement les militants de la paix.

Hercule lui-même réfléchirait à deux fois avant d’entreprendre un tel travail. Parce que nous n’avons pas d’espace pour cela, il y a un abîme béant entre ceux qui luttent pour la paix et la réconciliation avec le peuple palestinien, appartenant presque tous à l’élite ashkénaze, et les juifs orientaux dont la grande majorité vote pour les vieux partis de droite, en contradiction éclatante avec leurs propres intérêts économiques. Le public russe est divisé, tenu à l’écart et amer. Il vit dans une bulle et presque tous ses portes paroles sont des extrémistes nationalistes et racistes. Le vaste public laïque qui déteste la domination de l’establishment religieux et le message d’extrême droite de presque tous ses portes paroles, n’a personne pour qui voter. Même Meretz a mis ce drapeau en berne. (Aux dernières élections municipales de Jérusalem, les laïques ont voté, à défaut d’alternative, pour un candidat laïque de droite.)

Tous ces messages, si différents en apparence, peuvent-ils être reliés les uns aux autres ? La lutte contre la corruption et la préoccupation de l’environnement, le combat pour une paix juste et l’attente d’une justice sociale, l’exigence d’égalité pour les citoyens arabes et ceux d’origine russe (juifs et non juifs), l’égalité pour les femmes et pour les gays et les lesbiennes, l’exigence d’une séparation entre l’État et la religion, l’insistance sur les droits humains, un sain patriotisme israélien et les valeurs humaines universelles.

La réponse est : oui absolument ! Tous ces objectifs ont la même source : le combat pour la justice, pour une société exemplaire, pour un pays où il fait bon vivre, un État dont nous puissions être fiers.

Est-ce que c’est possible ? Il y a des gens qui pensent que si quelqu’un prononce seulement le mot de « Palestiniens », tous les autres électeurs vont fuir. Ou que l’héritage oriental du candidat feront s’écarter les membres de l’élite ashkénaze. Ou que les Russes seront dissuadés par les Arabes.

J’ai la conviction que c’est vraiment possible – pourvu que le message d’ensemble soit suffisamment convaincant, qu’il soit équilibré et qu’il insiste sur ce qui unit et non sur ce qui divise, que chacun des objectifs trouve la place qu’il mérite dans le programme général, qu’il soit clair que les choses sont interdépendantes. (En 1965, un tel effort a été produit par les fondateurs du « Haolam Hazeh – Mouvement Force Nouvelle » qui ont réussi à entrer à la Knesset, ce qui était jusque là considéré comme impossible. Mais l’époque n’était pas encore mure et l’affaire tourna court.)

Le lien entre les divers objectifs n’est pas mécanique. Il faut qu’ils soient les éléments d’un message ambitieux et séduisant. Un message patriotique, humaniste qui fasse appel en même temps au cœur et à la raison. Obama l’a fait en Amérique. Ovadya doit le faire en Israël.

Obama possède une combinaison rare de qualités qui en font un candidat presque parfait.

Il est nouveau. Il n’a pas été atteint par la corruption. C’est un grand orateur, dont chaque parole est convaincante. Il ne commet jamais de gaffe, même quand la pression est forte. Ses positions sont réfléchies et équilibrées. Il ne s’emporte pas. Sa vie privée semble irréprochable. Il respire le calme. Il mène une vie modeste. Il a fait preuve de courage personnel et moral lorsqu’il s’est opposé à la guerre en Irak dès le début. (Combien de gens en Israël se sont élevés contre la première et la seconde guerre du Liban dès le premier jour ? ) Son message unit, il ne divise pas. Il n’a aucun goût pour la controverse. Il n’a pas une « mentalité de tueur ». Il a apporté un message d’espoir, un message totalement positif, un message qui lui permet de trouver le chemin du cœur de ses opposants eux-mêmes.

Et pour couronner le tout – et il ne faut pas le sous-estimer – il est beau.

De tels gens ne poussent pas sur les arbres. Mais une telle combinaison presque impossible de qualités est essentielle pour une tâche qui semble presque impossible. Le mahatma Gandhi était comme cela. Et peut-être Jésus. Et aussi Rabbi Hillel (« l’ancien »). Et peut-être Henry IV, roi de France. Mais à leur époque il n’y avait pas la télé.

UNE TELLE CHOSE peut survenir soudainement, sans signe précurseur, et conquérir une nation d’un coup. Mais les chances que cela se produise cette fois, à seulement 42 jours des élections, sont en vérité minces.

De la façon dont les choses se présentent, la future Knesset sera aussi lamentable que l’actuelle. Elle ne sera pas en mesure de s’attaquer à aucun des grands problèmes nationaux ou sociaux. Elle s’effondrera longtemps avant d’être menacée par l’âge.

Le grand effort de préparation du terrain pour un nouveau parti politique puissant doit commencer dès le lendemain des élections.

Barak Hasson Ovadya, où es-tu ?

 

Article original: « Barack Ovadya, candidate« , Gush Shalom, 29 novembre 2008. 

Traduit de l’anglais pour l’AFPS: FL.  

 Uri Avnery est journaliste et cofondateur de Gush Shalom 



Articles Par : Uri Avnery

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