Berlin rejette la reddition de Tsipras et cherche à renverser le gouvernement grec
Lors d’une allocution nationale télévisée à 17h30 mercredi, le premier ministre grec Alexis Tsipras a déclaré que le référendum sur les plans de sauvetage organisés par l’Union européenne aurait lieu, et qu’il appelait toujours à voter non.
Son appel à voter non est une tactique de négociation dans le cadre de discussions avec l’Union européenne (UE) d’une politique d’austérité. Il a insisté qu’il voulait un nouvel accord avec l’UE et la Banque centrale européenne (BCE), fondé sur ses propositions antérieures qui équivalaient à une capitulation grecque à l’UE.
«Lundi», a-t-il déclaré, «le gouvernement grec sera à la table des négociations après le référendum et sera dans une meilleure position pour le peuple grec».
Tsipras a démontré jusqu’où il accepterait d’aller dans une lettre mardi aux chefs de l’UE, de la BCE, et du Fonds monétaire international. En échange d’un prêt de €30 milliards pour deux ans, il accepterait tout l’essentiel de leurs exigences. Il n’a demandé qu’une réduction de 30 pour cent de la TVA pour les îles grecques, un délai de trois mois pour repousser l’âge de la retraite à 67 ans, et un ralentissement de l’abolition progressive d’une «allocation de solidarité» pour les retraités pauvres.
Après la publication de sa lettre dans le Financial Times de Londres, la presse s’est demandée si Tsipras annulerait le référendum pour négocier un accord. Après le discours de Tsipras, un garde a enlevé une grande bannière posée sur le ministère des Finances qui déclarait «Non au chantage et à l’austérité» en grec et en anglais.
Le ministre des Finances Yanis Varoufakis l’a dénoncée sur Twitter, citant cyniquement le slogan contre la guerre en Irak, «Pas en mon nom», et expliquant que c’était l’œuvre de syndicalistes «qui n’avait pas obtenu la permission du ministère».
L’obstacle principal à l’accord infâme recherché par Tsipras est que l’Allemagne, la principale puissance impérialiste en Europe, cherche carrément à renverser son gouvernement et à en installer un autre, suffisamment fort pour imposer, les armes à la main si nécessaire, les attaques de l’UE contre la classe ouvrière.
Avant l’allocution de Tsipras, la chancelière Angela Merkel a déclaré encore une fois au Bundestag que l’Allemagne «attendrait» les résultats du référendum dimanche et qu’un nouvel accord serait «impossible sans l’aval de l’Allemagne».
Le ministre des Finances allemand, Wolfgang Schäuble, a ajouté, «On ne peut honnêtement s’attendre à ce que nous discutions avec eux dans des conditions pareilles. Il faut attendre et voir ce qui se passera en Grèce».
La position dure de Berlin fait controverse au sein de l’UE, car certains s’inquiètent des conséquences économiques et politiques d’une sortie grecque de l’euro («Grexit»). Le président français François Hollande a dit, «La France, elle se bat, elle n’est pas là dans le veto, elle n’est pas dans la brutalité. (…) Comme Européen, je ne veux pas de la dislocation de la zone euro.»
Mais c’est Berlin qui donne le ton.
Après une téléconférence de l’eurogroupe, son président, Jeroen Dijsselbloem, a brièvement déclaré que «Les conditions ne sont pas réunies pour une extension» du plan de sauvetage de la Grèce. De plus, quant aux «propositions des autorités grecques d’amender encore les propositions des institutions … la principale décision était que, vu la situation politique, le rejet des propositions précédentes, le référendum dimanche, et l’appel du gouvernement grec à voter non, nous ne voyons pas de raisons de négocier davantage maintenant».
Hier, le Times de Rupert Murdoch a publié une interview anonyme avec un «conservateur allemand haut placé», qu’il traitait d’«un des politiciens les plus influents d’Europe».
Celui-ci a esquissé un projet pour renverser le gouvernement grec. «La Grèce ne recevra pas un sou de la zone euro tant qu’Alexis Tsipras et Yanis Varoufakis resteront au pouvoir, car l’Allemagne bloquera tout accord», a-t-il dit à Bruno Waterfield. Le journaliste ajouta: «Il a aussi dévoilé une tentative de l’UE de forcer Syriza, le parti gauchiste de M. Tsipras, à abandonner le pouvoir quel que soit le résultat du vote le 5 juillet».
Selon Waterfield, «Ce conservateur allemand haut placé a dit que l’Union Chrétienne-Démocrate d’Angela Merkel et son allié bavarois l’Union Chrétienne-Sociale bloquerait toute demande tant que ce duo, traité de « communiste », resterait au pouvoir. … « Nous ferons tout pour que le oui l’emporte. Ensuite nous aurons besoin d’un nouveau gouvernement, de prendre des mesures », a-t-il dit».
Ce responsable anonyme a aussi révélé que «Martin Schulz, le président du Parlement européen, participe à des tractations secrètes, peut-être avec M. Tsipras, qu’il considère comme un modéré, pour « diviser le mouvement Syriza »».
«Le but est de créer un « gouvernement technique », qui obtiendrait un nouveau plan de sauvetage de l’UE et qui comprendrait des députés modérés de Syriza afin d’éviter de nouvelles élections. Si le non l’emportait et Syriza restait au pouvoir, a dit le conservateur allemand, « c’est la fin » et la Grèce doit quitter l’euro», écrivait Waterfield.
Depuis des semaines, la presse cite des projets pour changer le régime grec et pour diviser Syriza. Le Daily Telegraph avait évoqué un éventuel «remaniement du gouvernement dur de M. Tsipras pour obtenir une alliance plus centriste» qui comprendrait le parti proeuropéen To Potami (La Rivière).
Les projets actuels correspondent à bien plus qu’un simple remaniement gouvernemental. Alors qu’on discute d’une sortie grecque de l’euro, les préparatifs pour la mobilisation des forces de l’ordre et sans doute de l’armée pour réprimer l’opposition populaire sont à un stade avancé. Le 15 juin, le commissaire européen Guenther Oettinger a déclaré que l’UE devait «d’urgence se préparer à faire face à des troubles sociaux en Grèce et à l’effondrement du ravitaillement en énergie et en médicaments».
La faillite politique de Syriza ne pourrait être plus évidente, ni ses actions plus dangereuses.
La politique de Tsipras n’a été qu’une série d’improvisations lamentables pour tenter d’arriver à un accord qui garderait la Grèce au sein de l’UE au prix de la paupérisation de millions de personnes.
Si le peuple grec vote oui, ce serait le résultat de cinq mois pendant lesquels Syriza a travaillé pour démobiliser et étouffer l’opposition populaire au diktat d’austérité de l’UE. Tsipras tenterait ensuite de faire assumer à la population la responsabilité de la prochaine série de mesures d’austérité.
Si l’opposition énorme envers l’austérité et envers l’UE produit un vote négatif, Tsipras tentera de rouvrir les discussions avec les créanciers en soutenant que sa liste de mesures d’austérité, qui accepte presque toutes les mesures de l’UE, de la BCE, et du FMI, a une légitimité populaire.
Parmi les travailleurs en Grèce, l’hostilité envers la troïka est large et profonde. La bourgeoisie et des sections des classes moyennes aisées sont proeuropéennes et défendent l’austérité. Dans ce milieu social, certains veulent un accord plus favorable avec l’UE ; c’est ce que représente Syriza. Cependant, ils ne peuvent s’opposer sérieusement au diktat des banques européennes, car ils défendent le capitalisme et sont hostiles à la mobilisation indépendante de la classe ouvrière.
Les travailleurs doivent voter non dans le référendum dimanche, mais la lutte contre l’austérité nécessite de rompre politiquement avec Syriza et de mobiliser la classe ouvrière sur un programme socialiste et révolutionnaire. Un tel mouvement devrait affronter et vaincre la base sociale du soutien en Grèce pour l’UE, en expropriant la classe capitaliste et en nationalisant les banques et la grande industrie sous contrôle ouvrier.
Pour combattre l’opposition de l’UE, les travailleurs en Grèce feraient appel à leurs frères et sœurs de classe à travers l’Europe pour une lutte commune contre les capitalistes, les banques, et leurs représentants politiques, et pour la construction des Etats-Unis socialistes d’Europe.
Chris Marsden