Biberman & Cie.
EST-CE le gouvernement de Biberman (Bibi Netanyahou et Avigdor Liberman) ou peut-être de Bibarak ( Bibi et Ehoud Barak) ?
Ni l’un ni l’autre. C’est le gouvernement de Bibiyahou.
Benyamin Netanyahou s’est révélé un politicien accompli. Il a réalisé le rêve de tout politicien (et de tout habitué du théâtre) : une bonne place au centre. Dans son nouveau gouvernement, il peut jouer les fascistes à droite contre les socialistes à gauche, les laïques de Liberman contre les orthodoxes du Shas. Une situation idéale.
La coalition est suffisamment large pour être à l’abri du chantage de l’une quelconque de ses composantes. Si des membres du parti travailliste contreviennent à la discipline de la coalition, Netanyahou tiendra encore les rênes d’une majorité. Ou bien si les gens de droite créent des ennuis. Ou encore si les orthodoxes tentent de lui planter un couteau dans le dos.
Ce gouvernement ne s’est engagé à rien. Ses « Lignes Directrices fondamentales » écrites – un document signé par tous les partenaires du nouveau gouvernement israélien – sont complètement fumeuses. (Et, de toute façon, des Lignes Directrices fondamentales sont sans valeur. Tous les gouvernements israéliens ont rompu sans sourciller avec les Lignes Directrices sur lesquelles ils s’étaient mis d’accord. Elles se sont toujours révélées être des chèques en bois.)
Netanyahou a obtenu tout cela à moindre frais – quelques milliards de promesses économiques qu’il n’imagine même pas de tenir. Les caisses sont vides. Comme l’a déclaré l’un de ses prédécesseurs au poste de premier ministre, Levy Eshkol, dans une formule célèbre : « J’ai promis, mais je n’ai pas promis de tenir mes promesses. »
Il a aussi attribué des ministères à tout le monde. Ce petit pays va avoir 27 ministres et six secrétaires d’état. Et alors ? Au besoin, Netanyahou aurait attribué un portefeuille ministériel à chacun des 74 membres de la coalition.
LE SOMMET de sa performance fut d’obtenir la participation du parti travailliste à son gouvernement.
D’un seul coup, il a fait d’un gouvernement de parias, qui serait apparu aux yeux du monde entier comme un ramassis aberrant d’ultra nationalistes, de racistes et de fascistes, un gouvernement centriste raisonnable et équilibré. Tout cela sans en changer en rien le caractère.
Le plus ardent supporter de cette prouesse a été Liberman, le nouveau ministre des Affaires étrangères d’Israël. Ce raciste extrémiste, ce frère spirituel du français Jean-Marie Le Pen et de l’autrichien Joerg Haider (j’espère que ni l’un ni l’autre, le vivant et le mort, ne se sentiront insultés), était très inquiet de ce qui l’attendait. Il s’imaginait en train de tendre la main à Hillary Clinton pour se retrouver avec le bras en l’air. En train de se pencher pour embrasser Angela Merkel pour seulement la voir se reculer avec horreur. Désagréable.
L’apport du parti travailliste fournit une solution au problème de chacun. Si les sociaux démocrates rejoignent le gouvernement, toute cette qualification de fascisme ne rime à rien. Il est évident que Liberman a été mal interprété. Il n’est pas du tout fasciste, à Dieu ne plaise. Il n’est pas raciste. C’est simplement un démagogue de droite traditionnel qui exploite les sentiments primaires des masses pour glaner des voix. Quel politicien élu pourrait objecter à cela ?
En effet, le gouvernement dans son ensemble a reçu d’Ehoud Barak un certificat de conformité casher. Il s’inscrit dans la glorieuse tradition de prostitution politique du parti travailliste. En 1977, Moshe Dayan est entré au nouveau gouvernement de Menahem Begin en lui donnant un certificat de conformité casher, alors que le monde entier tenait Begin pour un dangereux aventurier nationaliste. En 2001, Shimon Peres est entré dans le nouveau gouvernement d’Ariel Sharon et lui a donné un certificat de conformité casher, au moment où le monde entier voyait en Sharon le responsable du massacre de Sabra et Chatila.
POURQUOI Barak a-t-il fait cela ? Et pourquoi a-t-il reçu le soutien de la majorité du parti travailliste ?
Le parti travailliste est un parti de gouvernement. Il n’a jamais été rien d’autre. Dès 1933, il prit le contrôle du mouvement sioniste, et depuis lors dirigea le Yishouv (la communauté juive de Palestine avant 1948) puis l’État, sans interruption jusqu’à l’accession au pouvoir de Begin en 1977. Pendant 44 années consécutives, il exerça un pouvoir incontesté sur l’économie, l’armée, la police, les services de sécurité, le système d’éducation, le système de santé et l’Histadrout, la toute puissante fédération syndicale de l’époque.
Le pouvoir est inscrit dans les gènes du parti. C’est beaucoup plus qu’une affaire politique – C’est son caractère entier, sa mentalité, sa vision du monde. Le parti est incapable de constituer une force d’opposition. Il ne sait pas ce que c’est, et encore moins quoi en faire.
J’ai observé les membres du parti travailliste à la Knesset, pendant les courtes périodes où ils étaient relégués dans l’opposition. Ils étaient abattus et tristes. Des douzaines d’entre eux erraient seuls dans les couloirs, comme des fantômes, des âmes en peine. Lorsqu’ils montaient à la tribune, ils s’exprimaient comme des porte-parole du gouvernement.
Le Likoud souffre du syndrome contraire. Ses prédécesseurs ont été dans l’opposition pendant toute l’époque du Yishouv et au cours des 29 premières années de l’État. Les membres du Likoud ont l’opposition dans le sang. Même actuellement, après de nombreuses années au gouvernement (avec des interruptions), ils se conduisent en opposants. Ce sont les éternelles victimes de discrimination, malheureux et amers, ceux qui observent du dehors, pleins de haine et d’envie.
Ehoud Barak personnifie le syndrome de son parti. Tout lui est dû. Le pouvoir lui est dû, le ministère de la Défense lui est dû. Je n’aurais pas été surpris s’il avait insisté pour inscrire dans l’accord de coalition une clause lui attribuant le ministère de la Défense à vie (et à son ami Shalom Simchon, le ministère de l’Agriculture à vie). Les gouvernements se font, les gouvernements se défont, mais Ehoud Barak doit être le ministre de la Défense – que le gouvernement soit de droite ou de gauche, fasciste ou communiste, athée ou théocratique. Peu importe comment il exerce son métier – son appréciation ne peut être rien moins que parfaite.
ALORS, QUE va faire ce gouvernement ? Que peut-il faire ?
Pour ce qui concerne la question la plus importante, l’unanimité est totale. Liberman, Netanyahou, Barak, Ellie Yishai du Shas et Danny Hershkovitz du parti le « Foyer juif » (Jewish Home) sont pleinement d’accord à propos des Palestiniens. Tous sont d’accord sur la nécessité de prévenir la constitution d’un véritable État palestinien. Ils sont tous d’accord pour refuser de dialoguer avec le Hamas. Dans leur ensemble ils soutiennent la politique de colonisation. Pendant le mandat de Barak comme Premier ministre, les colonies se sont développées encore plus vite que pendant celui de Netanyahou. Liberman est lui-même un colon, le parti de Hershkovitz représente les colons. Tous pensent qu’il n’y a pas besoin de la paix, que la paix est mauvaise pour nous. (Après tout, c’est Barak et non Netanyahou ou Liberman qui a prononcé a phrase “Nous n’avons pas de partenaire pour la paix”)
Dans ces conditions, quelle sera la réelle plateforme de ce gouvernement ?
En quatre mots : tromperie pour la patrie.
SUR LE chemin choisi par ce gouvernement se trouve un énorme rocher : les États-Unis d’Amérique.
Au moment où Israël faisait un grand bond à droite, les États-Unis faisaient un grand bond à gauche. On peut difficilement imaginer un plus grand contraste que celui que l’on constate entre Benyamin Netanyahou et Barack Obama. Ou encore entre les deux Bara(c)k – Barack Obama et Ehoud Barak.
Netanyahou est conscient de ce problème, peut-être plus que tout autre leader israélien. Il a grandi aux États-Unis, après que son père, professeur d’histoire à Jérusalem, eut éprouvé le sentiment qu’on lui refusait sa juste place à l’université en raison de ses opinions d’extrême droite et eut émigré aux États-Unis. C’est là-bas que Benyamin a fait ses études secondaires et universitaires. Il parle couramment l’anglais américain d’un voyageur d’affaire.
S’il y a une chose qui unit en pratique tous les Israéliens, de la droite à la gauche, c’est la conviction que la relation entre Israël et les États-Unis est critique pour la sécurité de l’État. La principale préoccupation de Netanyahou est par conséquent d’empêcher toute rupture sérieuse entre les deux pays.
Barak est entré au gouvernement précisément pour éviter un tel conflit. Netanyahou désire aller en visite à la Maison Blanche avec Barak, et non Liberman, à ses côtés.
L’affrontement semble inévitable. Obama veut instaurer un nouvel ordre au Moyen Orient. Il sait que le conflit israélo-palestinien empoisonne l’atmosphère à l’égard des Américains dans le monde arabe et même dans l’ensemble du monde musulman. Il veut une solution au conflit – exactement ce que Netanyahou et ses partenaires veulent éviter à tout prix, sauf au prix d’une brouille avec les États-Unis.
Comment faire cela ?
La solution est écrite dans la Bible (Proverbes 24, 6) : « Car tu auras recours à des ruses pour conduire ta guerre. »
(Dans la version du roi James le mot hébreu Takhbulot est traduit par « sage conseil ». En hébreu moderne il signifie ruses, stratagèmes – et c’est dans ce sens que l’entendent aujourd’hui tous ceux qui parlent l’hébreu.)
DEPUIS LES débuts du sionisme, ses dirigeants ont su que leur vision avait besoin d’une bonne dose de dissimulation. Il n’est pas possible de s’emparer d’un pays habité par un autre peuple sans masquer son intention, détourner l’attention, camoufler les actions sur le terrain derrière un écran de mots fleuris.
Tous les États mentent, bien sûr. Il y a 400 ans, un diplomate britannique, Sir Henry Wotton, faisait cette remarque : « Un ambassadeur est un homme honnête envoyé pour mentir à l’étranger au profit de son pays. » En raison des circonstances particulières de leur entreprise, les sionistes ont dû utiliser la tromperie peut-être un peu plus qu’il n’est d’usage.
Maintenant, il s’agit de présenter au monde, et particulièrement aux États-Unis et à l’Europe une fausse image, en prétendant que notre nouveau gouvernement aspire à la paix, agit pour la paix, va jusqu’à remuer ciel et terre à la recherche de la paix – tout en faisant exactement le contraire. Le monde sera submergé par un déluge de déclarations et de promesses, accompagnées de quantités de gestes, de conférences et de rencontres dépourvues de signification.
Les gens qui ont de bonnes oreilles entendent déjà Netanyahou, Liberman et Barak commencer à tourner autour de « l’Initiative de paix arabe ». Ils vont en parler, l’interpréter, l’accepter ostensiblement tout en y mettant des conditions qui la vident de tout contenu.
Le grand avantage de cette initiative tient au fait qu’elle ne vient pas des Palestiniens et qu’elle n’exige donc pas de négocier avec les Palestiniens. Comme la défunte « option jordanienne » et d’autres initiatives du même genre, elle sert de substitut à un dialogue avec les Palestiniens. La Ligue arabe comprend 22 gouvernements, dont certains coopèrent en secret avec les autorités israéliennes. On peut leur faire confiance pour ne pas s’entendre entre eux sur quelque chose de concret.
MAIS POUR TROMPER, comme pour danser le tango, il faut être deux : celui qui trompe et celui qui veut bien être trompé.
Netanyahou croit qu’Obama va bien vouloir se laisser tromper. Pourquoi voudrait-il se disputer avec Israël, affronter le puissant lobby pro israélien et le Congrès des États-Unis, alors qu’il peut se contenter de paroles apaisantes de Netanyahou ? Sans parler de l’Europe, divisée et tourmentée par son sentiment de culpabilité pour l’Holocauste, et du pathétique Tony Blair qui s’agite comme un fantôme qui ne trouve pas le repos.
Obama est-il prêt à jouer, comme la plupart de ses prédécesseurs, le rôle de l’amant trompé ?
Le gouvernement Biberman/Bibarak/Bibiyahou croit que la réponse est un oui retentissant. J’espère que ce sera un non retentissant.
Article en anglais : Biberman & Cie., Gush Shalom, le 23 mars 2009.
Traduit de l’anglais pour l’AFPS : FLPHL
Uri Avnery est journaliste et cofondateur de Gush Shalom.