Biden et la démocratie fantasmée
Si on peut persuader une bonne partie du public qu'un homme incapable de trouver la porte est “vif comme l'éclair”, on peut aussi lui faire croire bien d'autres choses.
Dans l’univers de l’illusion politique qui caractérise l’Occident, l’article du Wall Street Journal sur le déclin cognitif de Joe Biden, flagrant depuis des années, et la dissimulation de ce déclin par ses collaborateurs, ne constituent un scoop que parce que le Wall Street Journal le “révèle”.
Et ce n’est que dans un monde où les médias, propriétés de milliardaires, construisent et contrôlent seuls ce qui est considéré comme la réalité que le WSJ peut publier cet article sans que l’on attende de lui qu’il réfléchisse à ce que cela signifie pour la prétendue démocratie américaine.
L’empereur, nous dit-on maintenant, était nu depuis le début. Comment se fait-il qu’il ait fallu plus de quatre ans aux audacieux et opiniâtres médias des milliardaires pour s’en apercevoir ?
Le WSJ rapporte que, même en 2021, Joe Biden traversait ce que ses collaborateurs qualifiaient de “mauvais jours”, lorsque son esprit fonctionnait si mal qu’il devait être tenu à l’écart des membres du Congrès et de ses propres collègues du cabinet.
Il a été tellement isolé qu’il n’a que rarement rencontré les principaux responsables de la politique de la Maison-Blanche, tels que les secrétaires d’État, de la Défense et des Finances.
Il n’a pu tenir que deux ou trois réunions de cabinet par an au cours de son mandat de quatre ans – neuf au total, contre 19 pour Barack Obama et 25 pour Donald Trump.
Ses assistants ne s’éloignaient guère de lui, car ils devaient lui chuchoter des instructions pour qu’il accomplisse les tâches publiques les plus simples, comme par exemple où entrer et sortir d’une pièce.
L’inquiétude n’a pris de l’ampleur que lors de la prestation catastrophique du débat télévisé non scénarisé contre Donald Trump en juin, et qu’il a finalement dû se retirer de la course à sa réélection pour laisser sa vice-présidente, Kamala Harris, prendre le relais.
Peu après, on a appris qu’il recevait régulièrement à la Maison-Blanche la visite d’un neurologue et d’un spécialiste de la maladie de Parkinson.
De nombreux observateurs – dont moi-même – ont souligné dès le départ l’infirmité mentale de Joe Biden. Depuis des années, Matt Orfalea compile les vidéos des gaffes et confusions verbales du président. Nous n’étions pas des génies. Nous n’avions pas besoin d’avoir accès aux 50 initiés de la Maison Blanche interrogés par le WSJ. C’était une évidence criante.
Biden wanders offstage or walks like a geriatric robot. Yet we are meant to believe he’s carefully navigating us through the nuclear tripwires of the West’s serial wars.
My latest article can be read here: https://t.co/V3J2zCxmRb pic.twitter.com/4EaGcKon0x
— Jonathan Cook (@Jonathan_K_Cook) June 15, 2024
Il fallait être menteur ou hypnotisé pour nier l’évidence.
Et pourtant, chaque fois que nous avons souligné les troubles cognitifs manifestes de Biden, nous avons été accusés de promouvoir des théories du complot, de nous livrer à la maltraitance des personnes âgées, ou de soutenir Trump.
L’empereur, nous disait-on, était tout habillé.
La vérité sur Biden n’a pas été subitement dévoilée par ses collaborateurs. De hauts responsables politiques des deux bords le savaient. Les correspondants de la Maison-Blanche savaient. Les rédacteurs en chef savaient. Et ils ont tous menti pour protéger le système, le système qui leur permet de conserver un emploi rémunéré, le système qui maintient leur statut. Personne ne voulait faire de vagues.
Le WSJ n’a pas subitement découvert ce qu’il ignorait auparavant. La raison pour laquelle il publie maintenant des révélations – tout comme les membres du personnel de la Maison Blanche – est que le président Biden est sur le point de quitter la Maison Blanche. La vérité n’est plus une menace sérieuse pour le système de pouvoir washingtonien.
On peut s’attendre à d’autres révélations sur l’incapacité de Biden – peut-être dans un futur livre de Bob Woodward – une fois que sa présidence ne sera plus qu’un lointain souvenir. Lorsqu’il sera possible de raconter ces années en toute sécurité. Lorsque les mensonges n’auront plus d’importance.
Mais plus que les tromperies véhiculées par les médias, le fait qu’une grande partie du public s’y soit laissé prendre, non pas une fois, mais encore et encore, jour après jour, semaine après semaine, mois après mois, année après année, est encore plus significatif.
Pourquoi ? Parce que nous sommes bien trop nombreux à être sous l’emprise du système de propagande occidental. Nous pensons qu’il faut faire confiance aux médias appartenant aux milliardaires, qu’ils servent le bien public et non leurs fortunes privées.
Si une grande partie de l’opinion publique peut être convaincue qu’un homme incapable de trouver la porte par laquelle il est censé sortir est “vif comme l’éclair”, pourquoi ne croiraient-ils pas que les Etats-Unis promeuvent la démocratie tout en mettant à sac le Moyen-Orient au cours des deux dernières décennies pour contrôler les ressources pétrolières de la région ?
Ou que Washington aspire à la paix dans le monde et en Ukraine en dotant cette dernière d’armes de plus en plus offensives contre une Russie détentrice de l’arme nucléaire, afin que les États-Unis puissent tirer des missiles balistiques aux portes de Moscou ?
Ou que les États-Unis souhaitent un cessez-le-feu à Gaza alors même qu’ils fournissent les munitions, les renseignements et la couverture diplomatique nécessaires à Israël pour y perpétrer un génocide ?
Cette propagande des élites, à laquelle les citoyens ont été soumis toute leur existence, incite nombre d’entre eux à croire cette même propagande plutôt que les preuves tangibles à leur portée. Ils sont littéralement hypnotisés.
Aujourd’hui encore, beaucoup écoutent les “révélations” sur le long déclin de Biden et, tout comme le WSJ, ne se demandent pas comment les États-Unis fonctionnent depuis quatre ans avec un président à peine capable de lire un téléprompteur, à l’esprit si vacillant qu’il peut s’égarer au beau milieu d’une phrase.
Les États-Unis fonctionnent-ils par eux-mêmes ? Ont-ils besoin d’un président ? Ou bien le président n’est-il rien d’autre que la figure de proue d’une bureaucratie permanente qui compte exercer son pouvoir dans l’ombre, sans être remarquée par les électeurs et sans le moindre compte à rendre ? Les États-Unis sont-ils une démocratie, ou la démocratie n’est-elle qu’une façade permettant aux élites fortunées de conserver leur pouvoir ?
Biden nous a donné la réponse. L’avez-vous comprise ?
Jonathan Cook
Article original en anglais : Biden & Make-Believe Democracy, Consortium News, le 3 janvier 2024.
Traduction : Spirit of Free Speech
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Jonathan Cook est un journaliste britannique primé. Il a vécu à Nazareth, en Israël, pendant 20 ans. Il est revenu au Royaume-Uni en 2021.Il est l’auteur de trois livres sur le conflit israélo-palestinien : Blood and Religion : The Unmasking of the Jewish State ( 2006), Israël and the Clash of Civilisations ( Israël et le choc des civilisations) : Iraq, Iran and the Plan to Remake the Middle East(2008) et Disappearing Palestine : Israël’s Experiments in Human Despair ( 2008). Cet article est tiré du blog de l’auteur, Jonathan Cook.net.