Bio-diversité : alerte, l’ONU s’aligne sur l’OMC ! (2/2)

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Agnès Bertrand, co-auteur de «OMC le pouvoir invisible», et Françoise Degert, journaliste, tirent le signal d’alarme: la financiarisation de la nature rapporte aux banques en leur permettant de se garantir sur les actifs naturels. Mais elle représente un véritable danger pour la préservation des écosystèmes.

(Dessin : Louison ) 

Les banques dans les starting blocks

 «Le mal ce n’est pas tant de faire le mal, c’est de dire qu’on fait le bien quand on le fait, c’est de dire les mots à l’envers, les vider de leur sens et pervertir de l’intérieur les critères mêmes de vérité.»

Denis de Rougement, in La part du Diable.
La véritable question qui intéresse les banquiers et les fonds d’investissement, c’est à l’évidence de transformer la biodiversité en fonds monétaire.
 
Des systèmes de compensation, comme le «Paiement et compensation des services environnementaux» (PSE) sont déjà en vigueur. Pratiqué depuis quelques décennies, ce système se résume à cette idée : les écosystèmes fournissent des services essentiels au bien-être humain, pourquoi ne pas les faire payer? Pour les pays du Sud, la FAO a proposé une convention-type de PSE. Elle incite, par exemple, les agriculteurs à cesser la culture sur brûlis ou à pratiquer l’écobuage... «Toutefois, le PSE ne s’applique pas aux multinationales, en particulier celles qui détruisent les forêts pour planter des palmiers à huile.  Il ne contraint que les petits paysans qui mettent fin à leurs droits d’usages » reconnaît Alain Karsenty, du CIRAD [10].  En l’échange d’une compensation arbitraire, les petits paysans du Sud n’auront plus qu’à acheter les engrais et les pesticides… 
Il existe également  les « réserves d’actifs naturels » (RAN), que la filiale biodiversité de la Caisse des dépôts (CDD) commence à créer en achetant des terrains qu’elle remet à l’état de «nature», comme elle l’a déjà fait dans la plaine de la Crau. Par ailleurs, la filiale gère des espaces de compensation pendant 30 à 50 ans pour le compte d’un aménageur (exemple de l’autoroute A 65).  
 
Pour gérer ces contrats, les banques de compensation entrent en jeu. « Elles existent déjà aux Etats-Unis pour les zones humides », a expliqué Capucine Chamoux, de l’ambassade américaine à Paris, lors de la conférence de l’ICREI, réuni à Aix-en-Provence en juin dernier. Une société privée finance, via un crédit bancaire, la restauration d’une zone humide; «celui qui offre la meilleure prestation au plus bas prix emporte le marché de gestion». 

Le trou noir de la finance

Chacun sait que les banques de compensation, telles Clearstream, ne sont absolument pas régulées. Leurs activités sont fondées sur les contrats à terme qu’elles transfèrent ensuite aux chambres de compensation chargées de vérifier les transactions. Leur fonctionnement est si opaque qu’en 2008, elles ont été qualifiées de « trou noir de la finance». Comment peut-on prétendre qu’elles vont protéger la biodiversité et les écosystèmes  ?  

Selon Sarah Hernandez, économiste environnementale, la compensation financière a toutes les chances de devenir «une licence de destruction» de la nature[11] . Le seul intérêt serait donc celui des banques. Elles seront habilitées à transformer les territoires en actifs financiers et ceci n’est pas une vue de l’esprit. L’Allemagne n’a-t-elle pas suggéré, en mars dernier, que la Grèce « offre ses îles » pour compenser sa dette[12]? Grâce aux réserves d’actifs naturels, les banques  auront davantage d’occasion de spéculer. 
Cette préséance accordée aux fonds spéculatifs dans le management global des écosystèmes de la planète, aussi scandaleuse qu’elle soit, n’est pas tout à fait surprenante. La richesse et le pouvoir ont changé de mains aux Etats-Unis en 2007. Devançant pour la première fois les patrons d’entreprises industrielles ou technologiques, les responsables des fonds spéculatifs et privés sont arrivés en tête du classement des fortunes publié dans Forbes Magazine[13] . Et ils comptent bien conserver la première place. Le cœur du capitalisme financier s’apprête à franchir un nouveau pas : se garantir sur nos réserves d’actifs naturels.

Après avoir coulé le système économique par des investissements véreux, il ne manque plus aux banques que de couler la terre.

Dépossession généralisée

Au nom de la biodiversité, cette nouvelle gouvernance affectera le statut et le sort de toutes les ressources naturelles pour des décennies. L’OMC ne s’y est pas trompé. Son rapport sur le commerce mondial 2010, publié fin juillet, s’intitule «Commerce des ressources naturelles ». Son directeur, Pascal Lamy se félicitait dans un communiqué du 27 juillet 2010 que « les choses » allaient bouger en octobre. Bouger pour qui et dans quel sens ? Cette financiarisation de la nature va soustraire  aux communautés locales et aux souverainetés nationales l’usage de leurs ressources et territoires. «On ne peut pas protéger la biodiversité sans toucher au droit de propriété», affirmait Patrick Hubert, ex-conseiller d’État qui a dirigé plusieurs cabinets ministériels, dont celui de Dominique Perben. 

Cette nouvelle gestion implique la transformation du droit de propriété, propriété individuelle, bien sûr, mais aussi propriétés de l’État et des communes, propriétés collectives en Afrique et dans l’hémisphère Sud en général. Certes, l’érosion génétique, la dégradation des écosystèmes et l’épuisement des ressources prennent des proportions alarmantes. Mais les solutions proposées par les technocrates et les financiers à Nagoya, vont à contre-sens de la préservation de la nature. Vont-ils y parvenir à les imposer ? L’alerte sur le détournement de Nagoya est lancée et commence à se répercuter à travers la planète [13].

[10] Alain Karsenty, chercheur au CIRAD, consultant dans plusieurs organisations internationales, dont la Banque mondiale. Il est intervenu lors de la 8ème conférence internationale de l’ICREI, qui s’est tenue à Aix-en-Provence du 17 au 19 juillet 2010. 
L’International center for research on environmental issues (ICREI), ou Centre international de recherche sur l’environnement, fondé par Alain Madelin, est actuellement présidé par Max Falque. 
[11] 5ème colloque sur « la réparation des atteintes à l’environnement » organisé à la Cour de Cassation, le 24 mai 2007
[12] L’Expansion.com et AFP du 4 mars 2010 
[13] « Big Bodies vs the Biosphere. Confronting the global corporate hijack of Nagoya’s COP10 »



Articles Par : Agnès Bertrand et François Degert

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