Blackwater, Far West de la guerre privée

De quatre tireurs autour d’un polygone à leader mondial dans la livraison de mercenaires. L’histoire de la compagnie de contractors en train de semer la mort en Mésopotamie dans un livre de Jeremy Scahill, un collaborateur du magazine The Nation

Falloudjah, 31 mars 2004. Deux jeep, l’une rouge et l’autre noire, avancent dans la rue principale de la ville irakienne. A leur bord quatre Américains armés, « des lunettes noires qui cachent leurs visages et coupe de cheveux à la Tom Cruise ».

La rue est moins animée que d’habitude, mais de toute façon les voitures sont obligées à ralentir et après à s’arrêter. C’est à ce moment qu’une grenade frappe la jeep postérieure, suivie tout de suite par une grêle de projectiles qui en percent la carrosserie « comme le sel le ferait avec la glace ».

Les deux occupants, qui pissent le sang, sont extraits de la voiture par une foule folle de rage. Entre temps l’autre jeep aussi est bloquée et prise d’assaut. Bientôt les restes carbonisés et mutilés des quatre Américains étaient visibles aussi de loin, pendus à un pont de l’Euphrate, où ils restèrent plusieurs heures.

« Blackwater. The Rise of the World’s Most Powerful Mercenary Army », commence par le récit presque cinématographique d’un célèbre épisode de la guerre en Irak, le massacre de quatre contractors affectés à l’escorte d’un convoi. Selon l’auteur du livre, Jeremy Scahill, il s’agit d’un épisode clé du conflit. Non seulement l’hostilité grandissante des Irakiens à l’occupation – que Washington avait toujours minimisé – fut exposée d’une manière sanglante devant les yeux du monde entier. Non seulement de cet épisode s’écoulèrent de désastreuses décisions militaires comme le siège de Falloudjah, qui alimenta davantage cette hostilité. Le 31 mars 2004 fut aussi la première fois où, dans les pages des journaux, le nom de Blackwater apparut en relation avec la guerre, et avec lui la présence de « services de sécurité privée » sur le terrain. Depuis, le rôle en Irak de la plus grande compagnie de mercenaires USA serait devenu encore plus important.

Au centre d’un scandale qui traîne désormais depuis des semaines, Blackwater est le sujet du fascinant et inquiétant livre de Scahill, un journaliste d’investigation et collaborateur de The Nation. Une histoire qui, outre qu’en Irak, nous amène au Salvador, au Chili (où ils recrutent parmi les anciens du régime Pinochet), Soudan, sur les bords de la Mer Caspienne, en Azerbaïdjan (pour superviser l’oléoduc) et à New Orléans, parmi les ruines de Katrina (où Blackwater a totalisé 70 millions de dollars en contrats) ; une histoire peuplée de revenants des guerres centre-américaines des contras, de lobbyistes washingtoniens, de chrétiens évangéliques, d’anciens Navy Seals de l’armée USA, d’ « anciens » provenant de forces spéciales polonaises, philippines, péruviennes et un peu du monde entier.

C’est l’histoire à Far West de la privatisation de la guerre (un dessein de Dick Cheney, de l’époque où il était ministre de la Défense de Bush père, quand il commanda à Halliburton – qu’il aurait ensuite dirigé lui-même – une étude à ce propos) qui ont à faire même avec les présidentielles de 2008, puisque le numéro 3 de Blackwater, Coffer Black, est le conseiller pour l’antiterrorisme du candidat républicain Mitt Romney.

Mais tout commence à Holland, dans le Michigan, aux bords du lac Matacawa, où en 1847 vint s’établir une secte de réformistes hollandais de matrice calviniste. C’est au cœur de cette communauté où la politique et la religion ont toujours allé de pair que fit sa fortune la famille du fondateur et actuel propriétaire de Blackwater, Erik Prince. A la fin des années 60, après son service militaire, son père Edgar fonda une compagnie qui produisait des accessoires pour l’automobile qui le rendit vite richissime. Beaucoup de l’argent d’ Edgar Prince finit dans les caisses des plus importantes organisations de la droite religieuse, comme Focus on the Family, du révérend James Dobson, et le Family Research Council, que Princ Sr. contribua à fonder en 1988, avec ses propres capitaux, avec Gary Bauer.

Capitalisme, politique et ferveur religieuse sont autant de composantes distinctives de la biographie d’Erik Prince. Le deuxième enfant d’Edgar est en effet un habituel financeur de lobby de chrétiens évangéliques et d’extrémistes catholiques (il est lui-même catholique). Dans ses causes favorites, on trouve la promotion active de l’alliance entre catholiques, évangélistes et néo conservateurs qui est à la base du mouvement théocon. Erik a également été stagiaire auprès de Bush Sr. et, l’ayant jugé trop modéré, a travaillé ensuite à la campagne présidentielle de Patrick Buchanan en 1992. Oliver North, Tom De Lay, Jesse Helms et Rick Santorum – représentants de la droite la plus extrême du parti républicain – ont bénéficié de sa générosité économique.

Dans le contexte de l’ADN familial, la guerre revêt cependant pour Prince Jr. (qui s’y enrôle dans les Navy Seals en 1992) une importance toute nouvelle. En effet, à la mort de son père, utilisant les capitaux provenant de la vente du business d’accessoires auto, Erik Prince fonde Blackwater Usa qui n’était, à ses débuts, guère plus qu’un polygone de tir surdimensionné situé dans les marais de la Caroline du Nord. Dés lors, Blackwater a grandi en capitalisant par exemple sur les massacres de Columbine (ils introduisirent un training pour bloquer d’éventuelles attaques contre les écoles) ou sur l’attaque contre la Uss Cole (de nouveaux cours pour entraîner les marins à se défendre des terroristes) et intégrant son expansion progressive à un lobbying intense mené dans les couloirs de Washington.

Mais c’est le 11 septembre qui a fait sa fortune et c’est Bush qui a donné à Blackwater (avec plus de 500 millions de dollars de contrats) des accès et des espaces virtuellement illimités dans les opérations en Irak (on trouve aussi dans le livre de Scahill la description d’une bataille à Najaf où les militaires recevaient les ordres des mercenaires). Les problèmes intrinsèques non seulement à la privatisation de la guerre mais à l’existence d’une armée parallèle qui agit indépendamment de l’armée régulière et qui suit un programme politico-religieux bien précis sont en train de surgir grâce aux enquêtes dont Blackwater est le protagoniste. Pour la première fois, Prince a été lui aussi convoqué il y a deux semaines pour témoigner devant le Congrès. Blackwater compte plus de 2 300 mercenaires actifs et a une base de données de 21 000 ex soldats, policiers, agents Cia et autres sur lesquels compter. Et il est en train d’ouvrir des succursales en Californie, dans l’Illinois et dans la jungle des Philippines.

Article original en italien, il manifesto, le 9 octobre 2007.

Traduit de l’italien par karl&rosa. Publié en français par Bellaciao le 12 octobre 2007.



Articles Par : Giulia D’Agnolo Vallan

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