Bolivie: Evo Morales éjecté par un coup d’État
Le président bolivien Evo Morales du parti du Mouvement pour le socialisme (MAS) a été contraint de démissionner dimanche soir par l’armée bolivienne dans le cadre d’un coup d’État soutenu par les États-Unis. Lundi soir, Morales a tweeté qu’il «partait pour le Mexique» après que ce pays eut accepté de lui accorder l’asile.
Après trois semaines de manifestations suite aux élections présidentielles contestées du 20 octobre, les puissances impérialistes et l’élite de leurs clients boliviens ont renversé le gouvernement de Morales. Dans le contexte d’une crise croissante du capitalisme mondial et d’une résurgence de la lutte de classe à l’échelle internationale, notamment de grèves massives des mineurs et des médecins en Bolivie, la classe dirigeante a perdu confiance dans la possibilité que Morales et l’appareil du MAS puissent continuer à réprimer l’opposition sociale.
Malgré des appels en l’air à «préserver la démocratie», le gouvernement américain soutient la prise de contrôle par des politiciens et des responsables politiques les plus racistes et autoritaires de la Bolivie en vue de mettre en place un régime qui réprimera impitoyablement l’opposition alors que la finance mondiale exige une exploitation débridée des vastes ressources pétrolières et minières stratégiques boliviennes, dont le lithium qui représente 70 pour cent des réserves mondiales.
Lundi, le président américain Donald Trump a publié une déclaration célébrant le coup d’État et applaudissant «l’armée bolivienne pour avoir respecté son serment de protéger non pas un seul individu mais la Constitution bolivienne.» Il a ensuite menacé les gouvernements vénézuélien et nicaraguayen du même sort, en concluant: «Nous sommes maintenant un pas de plus vers un hémisphère occidental complètement démocratique, prospère et libre.»
Des combats acharnés ont eu lieu lundi soir alors que des milliers de paysans et de travailleurs d’El Alto et d’autres régions environnantes de La Paz se sont mobilisés dans la capitale pour protester contre le coup d’État en scandant «Maintenant, l’heure est à la guerre civile». Plusieurs bâtiments de la police ont été occupés puis incendiés à El Alto.
Les forces armées ont réagi en activant «le Plan Sebastián Pagador» pour rétablir «la paix et la stabilité», ce que la police applique en tirant sur des manifestants à coups de balles réelles et de grenades.
Le gouvernement mexicain a accepté lundi la demande d’asile de Morales après l’incendie de sa maison et la délivrance d’un mandat d’arrêt par la police bolivienne. Le ministère mexicain des Affaires étrangères a demandé aux mêmes autorités boliviennes qui ont renversé Morales de fournir un «passage sûr». Cependant, les gouvernements argentin et brésilien ont déclaré qu’ils ne laisseraient pas Morales utiliser leur espace aérien.
Le chef du Tribunal électoral suprême pro-Morales et plusieurs responsables électoraux ont été arrêtés dimanche, tandis qu’une vingtaine de responsables politiques du MAS ont demandé l’asile à l’ambassade du Mexique à La Paz.
Compte tenu de la démission des présidents du Sénat et de la Chambre des députés, ainsi que de Morales, la personne pressentie pour prendre la tête du pays sera la vice-présidente du Sénat, une personnalité de l’opposition, Jeanine Añez.
Cependant, Luis Fernando Camacho, dirigeant d’extrême droite du comité civique de Santa Cruz – une organisation dirigée par des milieux des affaires – qui est devenu de facto le leader des manifestations, a appelé à la création d’une «junte» comprenant les chefs de l’armée et de la police. Les grands médias ont accueilli avec enthousiasme Camacho comme «le Bolsonaro de la Bolivie», en référence au président fascisant brésilien.
Des manifestations avaient éclaté dans tout le pays après que la diffusion des résultats des élections s’est arrêtée pendant 23 heures entre dimanche et lundi soir, du 20 au 21 octobre. Au cours de cette période, l’avance de Morales lors du dépouillement sur son rival Carlos Mesa en deuxième place, passait de 7,87 pour cent à 9,36 pour cent. Le résultat final du TSE a donné à Morales 35 000 voix au-dessus des 10 pour cent nécessaire pour éviter un second tour.
Le vote de Morales est passé de 63 pour cent lors des élections de 2014 à 47 pour cent, tandis que le MAS a perdu 21 sièges à la Chambre des députés et quatre au Sénat, mais en gardant de légères majorités.
Certaines sections de la classe ouvrière ont participé aux manifestations initiales sur fond d’inquiétudes répandues au sujet de la fraude. Cependant, lorsque le caractère d’extrême droite des partis politiques et des «comités civiques» menant les manifestations est devenu évident, de nombreux travailleurs ont abandonné leur participation. Par exemple, des professionnels de la santé ont mené une grève nationale, considérant les troubles comme une occasion potentielle de rassembler le soutien populaire derrière leurs revendications contre l’austérité, mais la grève a pris fin au bout de trois jours seulement.
Des affrontements entre manifestants, partisans du gouvernement et policiers ont fait trois morts, 221 personnes arrêtées et 383 blessées, dont plusieurs par balle. Des voyous syndicaux pro-morales ont été déployés contre les manifestants, tandis que des agresseurs d’extrême droite anti-morales ont été filmés en train de passer à tabac des autochtones. Le 7 novembre, des manifestants ont capturé Patricia Arce, maire du MAS dans la petite ville de Vinto, lui tenant pour responsable de l’un des meurtres. Elle a été relâchée après avoir été recouverte de peinture rouge pendant que les manifestants lui coupaient les cheveux.
Morales et le MAS ont réagi en invitant l’Organisation des États américains (OEA), qui avait déjà demandé un deuxième tour avant les résultats finaux, à effectuer un «audit contraignant». Le principal soutien de l’OEA, le gouvernement américain, a proclamé que le MAS avait «volé» les élections, tandis que l’Union européenne avait également appelé à un second tour.
La décision de Morales de permettre à l’OEA d’approuver ou de désapprouver les résultats signifiait confier le destin de son gouvernement au contrôle du département d’État américain. La vérification débuta le jeudi 31 octobre.
Le lundi 4 novembre, l’hélicoptère de Morales dut effectuer un atterrissage d’urgence en raison de problèmes mécaniques suspects. Vendredi et samedi, des commissariats de police entiers, notamment dans la capitale, La Paz, se sont soulevés et ont rejoint les manifestations anti-Morales. Puis dimanche matin, l’OEA a publié son rapport préliminaire, affirmant que 78 des 333 processus de re-comptage avaient «montré des irrégularités et des manipulations» et que «les manipulations des systèmes informatiques étaient d’une telle ampleur qu’elles devaient faire l’objet d’une enquête approfondie de la part de l’État bolivien.»
Sans présenter les preuves correspondantes, l’OEA a alors appelé à de nouvelles élections supervisées par une nouvelle commission électorale. Peu de temps après, le secrétaire d’État américain, Michael Pompeo, a publié une déclaration soutenant le rapport de l’OEA et ajoutant une déclaration à l’encontre du MAS: «Afin de restaurer la crédibilité du processus électoral, tous les responsables gouvernementaux et les responsables des organisations politiques impliquées dans les irrégularités électorales du 20 octobre devraient se retirer du processus électoral.»
Morales a d’abord réagi lors d’une conférence de presse en acceptant de nouvelles élections dans le cadre d’une nouvelle commission électorale, sans indiquer s’il participerait ou quand les élections auraient lieu. En réalité, cela signifiait qu’il respecterait tout arrangement imposé par Washington.
La Centrale des travailleurs boliviens (COB), qui constituait un pilier central du gouvernement du MAS, a alors appelé à la démission de Morales. De manière significative, la Confédération des syndicats de paysans (CSUTCB), qui fait partie de la COB et rassembla certains des principaux dirigeants autochtones soutenant Morales, a exigé que Morales «pourrisse dans la prison de Chonchocoro, car il s’agissait d’une fraude et d’une tromperie contre les Aymara.»
Plusieurs ministres dont les maisons ont été incendiées ont démissionné de même que les députés du MAS. Ensuite, Evo Morales et le vice-président Álvaro García Linera ont annoncé leur démission depuis la région de Chapare, au centre de la Bolivie, où Morales avait commencé sa carrière politique en tant que syndicaliste.
Lors de son annonce, Morales a déclaré qu’il était victime d’un «coup d’État de la part de la police et de civils» et a annoncé qu’il démissionnait pour éviter de nouvelles violences et persécutions contre ses partisans et lui-même. En même temps, il a déclaré que le rapport de l’OEA reposait sur des considérations politiques et non techniques, mais qu’il «comprenait» et «respectait cela.»
Comme le prouve leur attachement constant aux exigences de l’impérialisme et de ses institutions telles que l’OEA, tout rôle futur joué par Morales, le MAS et leurs apologistes aura pour objectif de fournir une couverture démocratique à la réalité selon laquelle la vie économique et politique bolivienne est dominée par les aristocraties financières américaines et européennes et ses marionnettes militaires en Bolivie, soulignant qu’il n’y a aucune section de la classe dirigeante bolivienne capable de lutter contre l’impérialisme.
Andrea Lobo
Article paru en anglais, WSWS, le 12 novembre 2019