Bolivie – Le projet de complexe hydroélectrique du fleuve Madera

Cet article de Patricia Molina prolonge le débat amorcé dans le dossier DIAL 2905 « AMÉRIQUE DU SUD – Sommets de Cochabamba : vers quelle intégration ? » : l’intégration de l’Amérique du Sud est en route, il reste à savoir qui en seront les bénéficiaires. La question se pose de manière particulièrement aigue lorsqu’il s’agit du développement des infrastructures régionales (routes, voies fluviales…) prévu dans le cadre de l’Initiative pour l’intégration de l’infrastucture sud-américaine (IIRSA) [1]. La construction de voies fluviales ou de grands axes routiers facilitent le transport de marchandises et des personnes et bénéficient aux grandes entreprises exportatrices, mais le coût pour les riverains peut être très élevé (pollution, destruction de l’habitat traditionnel, nuisances de tous genres…). Le texte ci-dessous étudie un exemple précis : celui du projet de complexe hydroélectrique sur le fleuve Madera. Article publié dans le numéro 414-415 de la revue America latina en movimiento (ALEM), daté du 4 décembre 2006.

Le complexe du fleuve Madera est un groupe de projets prévus en territoire brésilien et bolivien, avec deux grands barrages au dessus de la ville de Porto Velho, un autre sur la partie binationale du fleuve Madera et un quatrième, plus petit, sur le fleuve Beni, en territoire bolivien. Les ouvrages ont été prévus à des fins d’utilisation hydroélectrique et de navigation, et complètent l’actuelle voie navigable brésilienne qui va de Porto Velho à Itacoatiara, raison pour laquelle furent sélectionnés les emplacements pour ces ouvrages, précisément sur les petites cascades du même nom, qui constituent des obstacles pour la navigation d’embarcations de gros tonnage.

L’objectif est l’intégration commerciale de la région Nord du Brésil, de la Bolivie et du Pérou en accroissant significativement le transport de soja brésilien, avec l’objectif que, d’ici à 2015, la capacité de transport à travers la Bolivie parvienne à 50 millions de tonnes par an.

Les projets d’utilisation hydroélectrique et de navigation du fleuve Madera cherchent principalement à améliorer la logistique de transport des régions de Madre de Dios au Pérou, Rondonia au Brésil et Pando et Beni en Bolivie. Ils font partie de l’Initiative pour l’intégration de l’infrastucture sudaméricaine (IIRSA), constituant une partie de l’Axe Pérou-Brésil-Bolivie, un des couloirs transversaux du continent prévu par l’IIRSA. L’objectif de cet axe est d’unir physiquement la zone MAP (Madre de Dios-Pérou, Acre-Brésil et Pando-Bolivie) aux ports du Pacifique et aux grands centres de consommation des trois pays, au moyen d’infrastructures terrestres et fluviales à travers d’autres Axes d’intégration et de développement comme l’Axe interocéanique et l’Axe andin.

Voir Les différents Axes d’intégrationSource et copyright : site officiel de l’IIRSA

Le projet de navigation du fleuve Madera, entre Porto Velho et Guayaramerin est le projet principal du groupe de 3 projets de l’Axe sus-nommé. Les autres projets de ce groupe sont la voie navigable Madre de Dios, la voie navigable Ichilo Mamoré, le complexe hydroélectrique du fleuve Madera, la centrale hydroélectrique binationale Bolivie-Brésil et la centrale hydroélectrique Cachuela Esperanza. (http://www.iirsa.org).

Le fleuve Madera est formé de la réunion des fleuves Beni et Mamoré à proximité de la ville de Villa Bella. À son confluent avec l’Amazone, c’est l’un des cinq fleuves du monde au plus grand débit et son principal affluent, tant par sa longueur, son débit que par le fait qu’il est la source principale des sédiments en suspension et des solides dissous du bassin.

En Bolivie, le bassin amazonique occupe 66% du territoire du pays. Presque tous les fleuves du bassin amazonique se jettent dans le fleuve Madera. Le Madera prend sa source dans la Cordillère des Andes ; il est formé par les fleuves Beni, Madre de Dios et Mamoré. Un autre affluent important est l’Itenez.

La partie andine du bassin du Haut Madera présente une grande diversité climatique et biologique. Avec un taux de précipitation de 350 à 7000 mm/an et une grande variation de température associée à l’altitude, cette région possède un des degrés de biodiversité les plus élevés du monde et fait aussi partie de la macro-région (hotspot) des Andes orientales, la plus diverse du monde. Entre le Haut et le Bas Madera se trouvent une succession de cascades de faible hauteur et des rapides qui interdisent la navigation mais pourraient être utilisés pour générer de l’électricité. Ces cascades sont aussi des zones de grande biodiversité.

Le Madera atteint son débit maximum en mars et son débit minimum en septembre. Ce comportement est le résultat de la combinaison des régimes hydrologiques de ses deux principaux affluents : le Mamoré et le Beni, dont les débits maximum ont lieu respectivement en avril et février (Molina, 2006).

Les études d’inventaire hydroélectrique du fleuve Madera ont été réalisées en 2001 et 2003 par les sociétés Furnas Centrais Elétricas SA et CNO-Constructora Noberto Odebrecht SA, qui disposent de la licence de l’Agence nationale d’électricité du Brésil (ANEEL). L’étude de faisabilité pour la construction des barrages Jirau et Santo Antonio au Brésil a été conclue en 2004 et les études de l’impact sur l’environnement en 2005. Le processus d’autorisation par les institutions chargées d’évaluer l’impact sur l’environnement est actuellement en cours [2].


Des Indiens au Brésil protestent contre la construction du barrage hydroélectrique.


Complexe hydroélectrique de Rio Madeira, Porto Velho, Rondônia, Amazonie.

Selon les études, le volet navigation du projet se concrétiserait via la construction d’écluses, ce qui permettrait de naviguer sur plus de 4000 km de voies fluviales en amont des barrages pour le transport de marchandises du Brésil aux ports du Pérou, mais ni les écluses ni la ligne de transmission ne furent intégrées dans l’étude d’évaluation de l’impact environnemental. C’est ainsi que les promoteurs évitèrent d’avoir à prendre en considération les impacts environnementaux que produit une voie fluviale, ainsi que les impacts de la ligne de transmission, dont ils pensent sans doute présenter l’étude après avoir obtenu l’approbation de l’étude environnementale des barrages.

Le projet prévoit d’installer une puissance de 6450 MW sur les deux barrages en territoire brésilien et autour de 3600 MW sur les deux en Bolivie. Dans le cas bolivien, il s’agit de 4 ou 5 fois la demande d’énergie sur tout le territoire national. Il s’agirait d’énergie exclusivement destinée à l’exportation, l’énergie produite servant à alimenter le Système interconnecté brésilien, qui achemine l’électricité vers les villes du sud, par le biais d’une grande ligne de transmission. Du fait du voltage qui sera utilisé (765 000 volts), un transformateur de grande capacité sera nécessaire pour transformer l’énergie en voltages industriels ou domestiques. Vu son coût (plus d’1 million de dollars) ce transformateur ne pourra certainement pas être implanté dans la région, même à Porto Velho, et d’autres formes de distribution d’énergie devront donc être trouvées pour alimenter des localités comme Riberalta, Guayaramerin et Cobija [3], villes qui ne sont pas intégrées dans le Système interconnecté national. L’installation de petites centrales hydroélectriques utilisant le potentiel des fleuves amazoniens comme le Yata ne sera pas possible non plus si les barrages sont construits, car les affluents sont les cours d’eau les plus affectés par l’inondation des barrages. C’est à dire que non seulement l’énergie qui sera produite n’est pas destinée à la région, mais que ces ouvrages rendront impossibles les petites centrales qui constituent la principale solution, rapide et réelle, aux graves problèmes d’accès aux ressources énergétiques exprimés par les habitants de la région qui ont placé leurs attentes dans ces ouvrages hydroélectriques de faible impact environnemental.

Références :

Jorge Molina. 2006. Análisis de los Estudios de Impacto Ambiental del Complejo Hidroeléctrico Del Río Madera. Hidrología y Sedimentos. La Paz. Octobre 2006.

 Dial – Diffusion d’information sur l’Amérique latine – D 2945.
 Traduction de Jean-Luc Fourel pour Dial.
 Source (espagnol) : revue America latina en movimiento (ALEM), n° 414-415, 4 décembre 2006.

En cas de reproduction, mentionner au moins l’auteur, le traducteur, la source française (Dial – http://enligne. dial-infos. org) et l’adresse internet de l’article.

 

Notes

[1] Voir « AMERICA DEL SUR – IIRSA : la integración a la medida de los mercados ».

[2] Ce processus est toujours en cours – NDLR.

[3] Voir la carte ci-dessus. Cobija, la capitale de l’État de Pando, le plus au nord de la Bolivie, ne figure pas sur la carte. La ville se trouve en amont du fleuve Abuná – NDLR.



Articles Par : Patricia Molina

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