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Bombardements américains en Afghanistan : ça suffit !
Par Françoise David
Mondialisation.ca, 28 octobre 2001
Le Devoir 19 novembre 2001
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/bombardements-am-ricains-en-afghanistan-a-suffit/1625

Une bombe est tombée hier, le 16 octobre, sur un entrepôt de la Croix-Rouge, à Kaboul, détruisant des tonnes de vivres et de vêtements. Avant, ce sont des travailleurs affectés au déminage que les frappes avaient tués, en plus de quelques bombes (moins intelligentes que les autres?) qui avaient détruit un village afghan.

Ça suffit!

Qu’on ne vienne pas me dire que ma réaction ressemble à de l’antiaméricanisme primaire, ce beau prétexte pour ne rien dire, ne rien dénoncer. Et mettons les choses au clair.

Comme tout le monde, j’ai ressenti de la douleur, de la révolte, de l’incompréhension devant les actes terroristes odieux et cruel perpétrés le 11 septembre dernier. Comme bien des gens, j’ai pleuré sur le sort des victimes, de leurs parents, de leurs amis. J’ai eu le sentiment que plus jamais la vie ne serait comme avant. Avant le 11 septembre.

Une guerre si proche

Je suis pourtant une personne informée, politisée, et j’ai 53 ans. J’ai suivi plusieurs guerres et conflits à la télévision. L’invasion russe en Tchécoslovaquie, le coup d’État au Chili, la guerre civile au Nicaragua, de même que le génocide au Rwanda, m’ont profondément bouleversée. En janvier 2000, je suis allée en Irak, où j’ai pu observer les effets dramatiques de l’embargo sur les femmes, les jeunes, les enfants. Mais jamais je n’ai senti la guerre si proche. Jamais je n’ai été si inquiète.

Bien des gens réagissent comme moi, et surtout les femmes. Nous avons peur, nous haïssons la guerre, nous craignons les actes vengeurs des fanatiques. Et nous réalisons tout d’un coup que notre planète est bien petite, que nous devons y faire très attention sous peine de mort annoncée. Nous nous sentons vulnérables et cherchons un sens à tout cela, loin de la pensée unique, où qu’elle se trouve.

On nous dit qu’il faut riposter, arrêter les fanatiques d’un dieu guerrier qu’ils ont inventé de toute pièce, se défendre, empêcher l’invasion des barbares, limiter les libertés civiles. Et c’est là que je décroche parce qu’on mêle tout.

Oui, Oussama ben Laden et ses supporters sont des terroristes pervers et malfaisants, des fascistes réactionnaires qui s’en prennent aux musulmans modérés, aux femmes, à toutes les valeurs comprises dans les chartes des droits. Bien sûr, ils cherchent des prétextes pour s’en prendre à l’Occident. Et nous sommes tous d’accord pour trouver ces gens, les juger et sanctionner leur conduite. Mais – car il y a un «mais» – pourquoi n’est-ce pas l’ONU qui pilote une campagne internationale de lutte contre le terrorisme? Pourquoi permet-on aux États-Unis, juge et partie dans ce conflit, de diriger des opérations militaires qu’ils décident seuls et selon leur convenance? Si ce prix Nobel de la paix qui vient d’être attribué aux Nations unies signifie quelque chose, pourquoi ne pas confier à l’ONU la mission hautement délicate de travailler non seulement à trouver et juger les coupables des attentats du 11 septembre mais aussi à construire la paix, ce qui est autrement plus difficile?

Je n’ai pas confiance en George W. Bush. Cet homme de droite a envoyé à répétition des condamnés à la chaise électrique, même lorsqu’ils avaient des problèmes de déficience intellectuelle. Parmi ses appuis, on trouve une droite religieuse américaine misogyne, homophobe et souvent raciste. Son premier geste, lorsqu’il a accédé à la présidence, a été d’annuler les subventions américaines aux réseaux internationaux d’ONG qui mettent en place, dans des pays en développement, des services de planning pour les femmes et soutiennent leur droit à l’avortement. Avant les événements du 11 septembre, le président Bush ne manifestait aucun intérêt pour la résolution des conflits les plus aigus de la planète, entre autres le conflit israélo-palestinien. Et c’est à cet homme-là qu’on est en train de confier le sort de l’humanité?

Nous sommes assis sur une poudrière et nous aimerions penser que les personnes qui détiennent des solutions durables sont gens de paix, de justice et de liberté. Devant l’atrocité des attentats du 11 septembre, devant les causes multiples et complexes de ces événements, la sagesse commande que les représentants de tous les pays s’unissent et recherchent de véritables solutions, loin des comportements revanchards. Le Canada pourrait jouer un rôle important à cet effet.

Mais c’est tout le contraire qui se passe. Une fois la riposte américaine décidée et organisée, le gouvernement canadien ne trouve rien de mieux à faire que d’apporter un appui quasi inconditionnel à des actes de guerre qui dévastent un des pays les plus pauvres de la Terre. En passant, si ben Laden s’était réfugié en Chine, voire au Pakistan, pays qui possèdent l’arme atomique, les États-Unis feraient-ils pleuvoir des bombes sur ces pays?…

Notre bon gouvernement va plus loin. Il cède aux pressions du gouvernement américain et de la droite canadienne et concocte une loi antiterroriste qui ratisse large et pourrait mener à des dérives démocratiques importantes. Par exemple, cette loi pourrait être hypothétiquement utilisée contre des militants antimondialisation décidés à bloquer une route ou contre des autochtones qui ferment un pont. Je refuse qu’au nom de la lutte légitime contre le terrorisme, on aille jusque-là.

Le NPD est le seul parti fédéral à avoir osé remettre en question les frappes américaines sur l’Afghanistan. Qu’attendent nos députés québécois à Ottawa pour adopter une attitude ferme et consistante contre la guerre? Quand ont-ils consulté la population québécoise avant d’appuyer, avec de molles réserves, les actions du gouvernement Chrétien? L’heure est pourtantgrave, et nous devrons vivre longtemps avec les conséquences des décisions qui se prennent en notre nom en ce moment.

Mais alors, que faire?

Quant à moi, je refuse tout à la fois l’angélisme du pacifisme absolu et le militantisme guerrier. Je n’accepte pas qu’on me mente, prétendument au nom d’Allah ou alors de la civilisation occidentale. Un attentat contre des personnes innocentes, c’est du terrorisme. Point. Mais des bombes qui mettent des millions de personnes sur les routes et détruisent le peu d’infrastructures d’un pays sans avoir l’ombre d’une assurance que cela aura un impact certain sur la «chasse aux terroristes», c’est de la barbarie déguisée en bonne conscience: puisque nous sommes les victimes, nous devons nous défendre, n’est-ce pas?

Mais où étions-nous lorsque d’autres victimes sont mortes par centaines de milliers sans que personne ne lève le petit doigt? Avons-nous dénoncé les bombes atomiques américaines sur Hiroshima et Nagasaki? Avons-nous agi pour prévenir le génocide rwandais alors que le général Dallaire suppliait l’ONU de lui donner les moyens d’intervenir? Avons-nous dénoncé haut et fort le coup d’État au Chili, soutenu par les dirigeants américains de l’époque, la dictature argentine, la mainmise soviétique sur les pays de l’Est, l’appui du Canada à Suharto, le président indonésien responsable des milliers de morts au Timor oriental?

Et il y a l’Irak, où une population entière subit un embargo inhumain qui la laisse sans ressources aux mains d’un dictateur que les États-Unis ont choisi de laisser en place après la guerre du Golfe. Et puis la Palestine, toujours en quête d’un pays, qui fait face, du côté israélien, à un gouvernement dont le chef, Ariel Sharon, choisit le plus souvent la répression et les assassinats dits ciblés plutôt que des négociations honnêtes en vue d’une paix acceptable pour les deux parties.

Ce que je veux dire, c’est que nos larmes et notre colère doivent s’exprimer partout où des humains sont opprimés, exploités, tués par des dirigeants politiques et économiques sans conscience et sans coeur. Ces temps-ci, comme souvent, notre solidarité est sélective, et encore plus cette fois-ci, parce que nous avons peur.

À la place de cette guerre implacable contre l’Afghanistan, à la place des lois de plus en plus répressives qui nous donneront une fausse impression de sécurité, je propose que nous entrions avec lucidité et courage dans un processus de paix. C’est bien plus difficile que la guerre, mais c’est bien plus prometteur.

Pour commencer, il faut mettre fin aux bombardements en Afghanistan. Ça suffit! Et si d’aventure la proposition des talibans de remettre Oussama ben Laden à un pays neutre était sérieuse, il faudrait l’accepter. D’autre part, ce gouvernement réactionnaire est désavoué par l’ensemble de la communauté internationale: il faut donc le démettre. L’Organisation des Nations unies doit aider l’opposition afghane à se regrouper, la soutenir dans ses efforts pour mettre sur pied un gouvernement d’unité nationale qui devra respecter les droits humains fondamentaux de sa population et, en premier lieu, ceux des femmes que les talibans ont enfermées depuis 1995 sans que les pays occidentaux ne s’en émeuvent beaucoup. Si les talibans ne l’ont pas fait, le nouveau gouvernement afghan devra s’engager à remettre Oussama ben Laden à un tribunal international qui le jugera. Quant à la lutte générale contre le terrorisme, il revient aux Nations unies de s’en occuper. De plus, les gouvernements occidentaux auront un devoir d’aide économique face à un pays ravagé par deux décennies de guerre.

Deuxièmement, le Conseil de sécurité de l’ONU doit mettre fin à l’embargo contre l’Irak et trouver avec les peuples palestinien et israélien une solution politique au conflit qui déchire cette région du monde. C’est d’abord une question d’humanité et de justice. Mais aussi, le règlement de ces deux questions donnera aux populations du Moyen-Orient l’espoir d’un développement, d’un avenir pour les jeunes, et la preuve qu’il vaut mieux négocier que s’entretuer. Les assassinats récents de militants du Hamas par les Israéliens et du ministre du Tourisme israélien par le Front populaire de libération de la Palestine (FPLP) nous rappellent dramatiquement l’importance d’un dialogue basé sur la coexistence de deux peuples dont le destin est désormais inextricablement lié. L’occupation israélienne des territoires usurpés par la force doit cesser mais, en même temps, le peuple palestinien doit permettre à la population israélienne de vivre en paix.

Troisièmement, les députés du Québec à Ottawa doivent s’opposer aux bombardements contre l’Afghanistan, insister sur l’aide humanitaire canadienne à la population de ce pays et apporter une extrême vigilance à leurs réactions devant les actions et législations proposées par le gouvernement canadien. Nous voulons continuer à vivre dans un pays accueillant pour les immigrants, démocratique et libre. Nous réclamons du Canada qu’il se fasse artisan de paix et qu’il récuse ainsi la spirale de violence dans laquelle on tente, d’un côté comme de l’autre, de nous enfermer. Il y va non seulement de notre vision d’un monde où les enfants n’auront plus faim mais de notre propre sécurité. Car le meilleur outil que nous ayons pour continuer à vivre en paix ici, c’est soutenir les efforts de paix et de justice sociale, ici et ailleurs.

Enfin, j’en appelle à tous les mouvements sociaux, à tous ceux et celles qui ont manifesté pour des Amériques solidaires à Québec en avril 2001, aux syndicats, aux Églises. Il faut dire haut et fort notre refus de la violence, du terrorisme, des dictatures politiques, économiques ou religieuses, et, en même temps, apporter nos solutions, élever notre voix pour que nos représentants élus l’entendent et pour que nos enfants ne puissent jamais nous reprocher d’avoir laissé échapper une occasion de paix.

Françoise David est ex-présidente de la Fédération des femmes du Québec.

Droit d’auteure, Françoise David, 2001.

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