Bonheur National Brut
Le comité ad hoc du gouvernement thaïlandais l’a promis : « l’indicateur de bonheur » pour définir les objectifs du dixième plan quinquennal sera prêt pour le mois de juin. C’est le quotidien « The Nation » de Bangkok qui l’annonce. On croirait la dernière trouvaille d’un régime paternaliste qui fait souvent recours à des jolis coups d’état pour remettre au pli ces vauriens de citoyens. Et pourtant non : ça fait pas mal d’années que, dans les meilleures intentions, de l’Australie à Hong Kong en passant par les Usa, les spécialistes essaient de lancer une « économie du bonheur » qui reformate les indicateurs productivistes utilisés jusque là : pendant les 50 dernières années, le Produit National Brut (Pnb) des Etats-Unis a triplé, mais les américains n’en sont pas plus heureux pour autant. D’où la pression pour trouver un nouvel indicateur du bien-être des nations, pour passer du Pnb au Bnb (Bonheur National Brut). A première vue, « économie du bonheur » est une expression contradictoire : c’est pour cause que l’écrivain victorien Thomas Carlyle, en 1849, forgea avec succès, pour cette discipline, la définition de « triste science » (dismal science). L’économie du bonheur veut en finir avec sa maudite tristesse et aspire à devenir une « gaie science » qui devrait inclure parmi ses indicateurs – dit le professeur Ed Diener – « satisfaction dans la vie et dans le mariage, sentiments positifs de confiance envers les autres, sécurité, sens et but de la vie, bas niveaux de dépression et de stress, intérêt dans le travail »… C’est quand même inquiétant cette perspective de devoir déclarer le bonheur au lieu des revenus. Que sera cette Italie où les fraudeurs cacheront au fisc une quote-part de joie, et où les commerçants déduiront les arriérés de malheur ? Mais la réalité est plus prosaïque : la majorité des thaïlandais interrogés pense que le « bonheur » c’est gagner pas trop mal, ne pas avoir de dettes, une bonne santé, un bon environnement et pouvoir envoyer ses enfants à l’université : il faut si peu pour être heureux.
Edition de samedi 24 mars 2007 de il manifesto
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio