Boris Johnson et le brasier de Grenfell Tower

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Lorsque la liste sera établie de ceux qui sont pénalement responsables du brasier de Grenfell Tower à Londres, le nom de Boris Johnson devra être en première place.

L’ancien Maire de Londres (2008-2016) a récemment rejeté ce qu’il a qualifié de « jeu de rôles politique » sur le brasier dans l’ouest de Londres qui a coûté la vie d’au moins 79 personnes. Les suggestions selon lesquelles « cette tragédie a été causée par des coupes dans des services de pompiers » étaient « impensables », a-t-il déclaré.

Johnson parlait le jour où un clip vidéo de 2013 était en train d’être visionné de plus en plus sur YouTube. Dans le vidéo, on voit Johnson dire à un membre du Parti travailliste qui siège à l’Assemblée de Londres « va te faire foutre » lorsque celui-ci accuse Johnson de mentir sur l’ampleur et les conséquences des coupes budgétaires à la Brigade de pompiers de Londres (LFB).

Maintenant Secrétaire des Affaires étrangères au gouvernement, Johnson se définit comme l’enfant terrible du Parti conservateur. Ses affrontements célèbres, cependant, n’ont rien à voir avec le fait d’être original ou avec le « franc-parler ».

Alexander Boris de Pfeffel Johnson, de son vrai nom, incarne l’arrogance de classe et le privilège social de la classe moyenne supérieure de la Grande-Bretagne. C’est un homme dont l’expérience avec les « classes inférieures » ne concerne que le fait de donner des ordres.

Si Johnson réagit de façon tellement défensive, c’est parce que, en sa qualité de Maire, il a imposé des coupes massives dans le budget de la LFB malgré les avertissements répétés que celles-ci coûteraient des vies.

Le service des pompiers de Londres est le cinquième au monde et couvre une zone métropolitaine de près de 14 millions de personnes – la plus peuplée de l’Union européenne. En plus de la lutte contre les incendies, elle répond à des situations d’urgence, y compris des accidents de la circulation et des incidents terroristes, il y en a eu trois dans la capitale au cours des quatre derniers mois.

Johnson a attaqué cette allocation de ressources essentielle au bazooka. En 2012, il a proposé et appliqué des réductions de 75 millions d’euros, ce qui représente une réduction de 15 pour cent du budget annuel de la LFB valant 512 millions d’euros. Dans des mots qui devraient être marqués sur son front, il a justifié cela par « la diminution du nombre de morts par incendie ».

En raison de l’opposition à l’Assemblée de Londres, Johnson a ordonné à l’Autorité des incendies et des plans d’urgence de Londres (LFEPA), qui comprend 17 personnes nommées par les maires d’arrondissement, d’entamer des consultations sur les coupes. Quatre-vingt-quatorze pour cent des personnes consultées se sont opposées aux coupures, mais leurs opinions ont été rejetées comme étant présumées peu représentatives des opinions de tous les Londoniens. Au lieu de cela, le nombre de casernes et de camions à éliminer a été réduit légèrement, à 10 et 14 respectivement, tandis que le nombre de pompiers à éliminer a été porté à 522.

En utilisant les pouvoirs introduits par le Parti travailliste, qui permettent au maire de renverser le vote de l’Autorité et d’« ordonner » l’Autorité à mener à bien ses instructions, Johnson a décrété que les coupes devraient continuer. Dans une déclaration à l’époque, il a signalé qu’il n’avait « pas l’intention de fournir un financement supplémentaire » à la LFEPA pour 2014-15.

Il a été soutenu par le Commissaire aux incendies de Londres, Ron Dobson, qui avait élaboré le lot de coupes sous le grotesquement mal nommé : « plan de sécurité de Londres 5 ». Seulement deux ans auparavant, en novembre 2011, Dobson a pu prendre sa retraite de son poste à 229 000 euros par an, à 52 ans, afin de pouvoir toucher une pension d’environ 152 000 d’euros par an, avant d’être immédiatement réemployé au même poste.

La décision de Johnson a été contestée devant la Haute cour par sept conseils municipaux d’arrondissements de Londres – Tower Hamlets, Camden, Greenwich, Hackney, Islington, Lewisham et Southwark. Ils ont soutenu qu’elle « ne tient pas compte des risques d’incendie posés par une concentration de cibles terroristes potentielles, des attractions touristiques, des logements sociaux et étudiants et des bâtiments de grande hauteur dans les arrondissements touchés ».

La huitième requérante était Mme Ingrid Richardson, qui vivait avec son mari au septième étage d’un immeuble du sud de Londres de 15 étages. Elle souffrait de la maladie de Parkinson et ne pouvait se déplacer qu’avec l’aide d’un déambulateur, et son mari avait la maladie d’Alzheimer. Sa demande a été ajoutée pour souligner l’augmentation des risques d’incendie auxquels sont confrontées les personnes âgées et handicapées.

Le juge Foskett a statué que la décision de clôture était licite, car le Maire avait une liberté de décision dans ce domaine. Sa décision rendit d’autant plus impardonnables les efforts du Parti travailliste et du syndicat des pompiers (FBU) pour concentrer l’opposition considérable des résidents et des pompiers sur les arguments juridiques dont ils connaissaient la faiblesse.

Dobson a affirmé avec arrogance à ce moment-là que « les casernes de pompiers et les camions des pompiers n’empêchent pas les incendies d’avoir lieu – mais un travail de prévention et proactif le peut ». Toutefois, il n’y avait pas de « travail de prévention et proactif contre les incendies » à Grenfell Tower, ni dans bien d’autres résidences. Tout au contraire.

Le conseil officiel de « rester chez soi » dans un incendie ne s’applique qu’aux immeubles de grande hauteur équipés des portes anti-feux. Mais toutes les portes de Grenfell Tower n’étaient pas protégées contre le feu. Dans des conditions dans lesquelles des bardages connus pour être combustibles avaient été ajoutés sur tout l’extérieur du bâtiment comme un moyen peu coûteux de l’enjoliver, Grenfell Tower était un piège mortel.

Un rapport des assurances RSA sur un incendie d’août 2016 dans l’immeuble de grande hauteur de Shepherd Court, également à West London, avait révélé que le matériau inflammable dans ces panneaux isolants « fond et prends feu relativement facilement » et pourrait provoquer une propagation de feu extrêmement rapide et la sortie de gros volumes de fumée toxique ». Le rapport a ajouté : « Cela permet à des feux étendus et violents de se répandre et rend la lutte contre les incendies presque impossible ». [Italiques ajoutés]

Des chefs de pompiers ont écrit aux autorités locales pour les avertir, mais aucune action n’a été prise.

Vendredi, la police a confirmé que les essais préliminaires sur les échantillons d’isolant prélevés sur Grenfell Tower « brûlaient peu de temps après que les essais aient commencé ». Ils ont poursuivi : « Le test initial sur les cloisonnements a également été négatif sur la sécurité ».

Pourtant, lors de la rénovation de Grenfell Tower, quand l’installation de la gaine a eu lieu, le bâtiment avait été inspecté 16 fois entre 2014 et 2016 par le conseil d’arrondissement de Kensington et Chelsea, qui a validé le travail.

Au cours de ce terrible incendie, il est apparu clairement que le LFB (et peut-être beaucoup d’autres services d’incendie à travers le pays) est équipé de tuyaux qui ne peuvent pas aller au-delà du 12 étage d’un bâtiment. Le service des incendies a dû « emprunter » une plus grande plate-forme qui pourrait atteindre 42 mètres – seulement le 15 étage sur 24 – à Surrey, à près à deux heures de route.

Comme beaucoup d’autres immeubles de grande hauteur au Royaume-Uni, Grenfell Tower n’avait qu’un seul escalier. Au fur et à mesure que les flammes se répandirent, il a dû devenir rapidement évident que ceux qui se trouvaient au-dessus du 15 étage n’avaient aucun moyen d’échapper aux fumées toxiques rejetées, et encore moins au feu, et qu’il n’y avait aucun moyen de leur porter secours.

Ils ont attendu de mourir.

Les résidents de North Kensington ont fait l’éloge du courage et de l’engagement des pompiers qui ont combattu le feu à Grenfell Tower et ont lutté pour sauver ceux qui étaient pris à l’intérieur, contre des chances presque insurmontables. Ils l’ont fait au-dessus et au-delà de l’appel du devoir, dans certains cas travaillant plus que dix-neuf heures d’affilées.

Au total, environ 200 pompiers et officiers ont participé à l’intervention, avec 40 camions de pompiers. Les pompiers ont raconté comment ils ne pouvaient pas dépasser le 15 étage et comment ils devaient choisir ceux qu’ils devaient essayer de sauver.

Pourquoi les pompiers ont-ils dû travailler d’aussi longues heures dans de telles conditions ? Pourquoi la plupart des récits décrivent-ils les équipes de pompiers de Whitechapel qui entrent dans le bâtiment, une station située à l’est de Londres, à plus de 40 minutes en voiture ? Qu’arrive-t-il aux mesures de « prévention des incendies », qui selon Johnson permettaient de réduire le budget de la LFB ?

La réponse est claire. Il n’est pas étonnant que les pompiers et les résidents locaux qui ont assisté aux événements se soient effondrés en pleurs de larmes et de fureur.

L’année dernière, un rapport d’un statisticien de l’Université Lancaster, le docteur Benjamin Taylor, a révélé que les coupes de Johnson avaient entraîné des décès. En analysant les données de temps de réponse à 24 000 appels téléphoniques pour des incendies de logements privés entre 2012 et 2015, Taylor a constaté que le temps moyen dans certaines zones avant que les postes de pompiers ne soient fermées était de « bien moins de cinq minutes », alors que certaines stations après les coupes prenaient jusqu’à 10 minutes pour arriver sur les lieux.

Ce rapport intitulé « Londres brûle » a déclaré que les pompiers n’étaient pas en mesure de répondre dans le temps imparti de six minutes au plus de la moitié des cas d’incendies étudiés. Au moins huit décès étaient attribuables à ces retards.

En novembre 2015, Johnson et Dobson ont éliminé 13 autres camions à Londres, deux semaines seulement après qu’un homme soit mort en sautant d’un immeuble de grand hauteur en feu à Camden. L’homme, Choi Yip, a été obligé de sauter, car les pompiers ont mis plus de 13 minutes pour arriver au logement en feu.

Les 13 camions de pompiers avaient déjà été retirés du service en prévision de la grève des pompiers contre les atteintes à leurs pensions et devaient y retourner. Mais une étude ordonnée par Johnson a décidé qu’ils étaient excédentaires par rapport aux exigences du service. Cela a laissé la LFB avec 142 camions, un quart de moins qu’en 2013.

Julie Hyland

Article paru d’abord en anglais, WSWS, le 24 juin 2017



Articles Par : Julie Hyland

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