Boutros Boutros-Ghali (1922-2016) : un secrétaire général à l’esprit indépendant

« Le génocide au Rwanda était à 100% la responsabilité américaine. » le 21 novembre 2002
Feu Boutros Boutros-Ghali a eu la malchance d’occuper le poste de secrétaire général de l’ONU au moment où les États-Unis venaient de proclamer le Nouvel ordre mondial. En gros, cela voulait dire le Nouvel ordre mondial américain, un monde où une superpuissance décidait de tout. Boutros-Ghali croyait encore en un monde multipolaire, sinon au moins bipolaire. Voici comment l’ancien secrétaire général a décrit ses relations avec les États-Unis pendant qu’il était à la tête de l’ONU.
« Ils ne voulaient pas quelqu’un qui discute de leurs décisions. Ils voulaient tout, et tout de suite. Quand on est très puissant — j’ai travaillé avec des souverains absolus toute ma vie. They cannot accept discussion, they cannot accept even a minimum of contradiction. Je veux ça, fini! Comment ça? Discuter? C’est moi le dieu des dieux, je veux ça. Et vous me dites que ‘je vais réfléchir’[1]? »
Boutros-Ghali a commencé son mandat de secrétaire général de l’ONU en janvier 1992. Premier africain a ce poste, il a dû faire face à son plus grand défi en 1994 lors de la guerre au Rwanda. À ce sujet, il n’y allait pas par quatre chemins. Selon lui, « le génocide au Rwanda était à 100% la responsabilité américaine. » Il a précisé que «Les États-Unis, avec l’appui énergique de la Grande-Bretagne, ont tout fait pour empêcher la mise en place au Rwanda d’une force des Nations unies, et ils y sont parvenus. »
Washington exécrait tant M. Boutros-Ghali — la secrétaire d’État Madeleine Albright le traitait de « Frenchie » — qu’ils ont ourdi un plan pour l’éjecter du poste, culminant par l’imposition de leur véto contre son deuxième mandat. Kofi Annan l’a remplacé en 1996.
À l’instar d’autres dirigeants balancés, l’administration de Bill Clinton lui avait offert divers honneurs, dont une réception à la Maison-Blanche offerte par le président, des doctorats honorifiques dans de prestigieuses universités, mais à condition qu’il parte de son propre gré dans un an. Et Boutros-Ghali de répondre : « je leur ai dit que je refusais les pourboires. »
Quand on songe à ses déclarations et à son indépendance d’esprit dans ce Nouvel ordre mondial, est-ce surprenant qu’il ait été si grossièrement congédié du plus haut poste de l’Organisation des Nations Unies?
Qu’il repose en paix!
Robin Philpot
Robin Philpot est éditeur de Baraka Books. Il a interviewé M. Boutros-Ghali à deux reprises pour son livre Ça ne s’est pas passé comme ça à Kigali, dont l’adaptation anglaise of Rwanda and the New Scramble for Africa, From Tragedy to Useful Imperial Fiction a paru en 2013.
[1] Ça ne s’est pas passé comme ça à Kigali, p. 195.