BRÉSIL : Des riches plus riches, des pauvres toujours pauvres

Le Brésil, depuis l’investiture de Lula en 2003, a connu une incontestable réussite. 19 millions de Brésiliens ont pu accéder à la classe moyenne depuis lors. 22 % des Brésiliens vivent en dessous du seuil de pauvreté (contre 35 % il y a huit ans). La croissance du pays reste soutenue (8,8 % pour 2010, selon Reuters), les aides aux plus démunis ont augmenté (le programme Bolsa Familia concerne 12 millions de foyers). On observe également une hausse du salaire minimum, passé en 2009 à 510 réaux (210 euros), soit une augmentation de 9,68 %. Le chômage touche moins de 7 % de la population active et l’inflation ne dépasse pas les 4,5 % par an. Le Brésil demeure toutefois en tête des pays émergents pour l’écart entre riches et pauvres.

Marcio Pochmann, le président de l’Institut de recherches économiques appliquées (IPEA)

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Marcio Pochmann, le président de l’Institut de recherches économiques appliquées (IPEA)

S’il est un mythe qui a la vie dure à propos du Brésil de Lula, c’est bien celui de la diminution des inégalités. Le pays est depuis toujours celui des inégalités sociales les plus obscènes, mais la propagande officielle soutenue par certains universitaires spécialistes de la question veut nous faire croire à une fable selon laquelle les inégalités seraient en diminution, ne serait-ce qu’un tout petit peu.

Pur mythe ! Certes, les inégalités salariales ont diminué, mais pas celles entre le capital et le revenu du travail. L’abîme qui sépare le capital et le travail atteint précisément le comble de l’obscénité. “Les revenus de la catégorie des plus nantis proviennent moins du travail que d’autres sources liées à la propriété (terres, actions, titres financiers)”, rappelle Marcio Pochmann, le président de l’Institut de recherches économiques appliquées (IPEA).

Cela ne change pas. Pendant ce temps, le programme Bolsa Familia [sorte de RSA local], dont le gouvernement Lula a considérablement étendu la portée, constitue le pivot de l’immense popularité du président brésilien. La Bolsa Familia bénéficie aujourd’hui à 12,6 millions de familles, pour un coût annuel de 13,1 milliards de reais [5,8 milliards d’euros]. Mais, parallèlement, les intérêts versés aux détenteurs de titres de la dette publique se sont élevés en 2009 à la somme astronomique de 380 milliards de reais, soit l’équivalent de 36 % du budget brésilien. Si, comme l’affirme João Sicsú, un autre économiste de premier plan de l’IPEA, 80 % de l’amortissement de la dette ne profitent qu’à 20 000 familles, celles-ci ont dû percevoir de l’Etat en 2009 une somme dont le montant est 23 fois supérieur à celui versé aux 12,6 millions de familles démunies.

Le mythe de la réduction des inégalités est également battu en brèche par une étude des Nations unies sur l’emploi et le développement humain au Brésil. Elle montre que “les intérêts, les revenus locatifs et les bénéfices constituent la part des revenus brésiliens qui a connu la plus forte croissance au cours de la décennie écoulée. Ceux-ci ont dépassé les revenus provenant du travail. En 1990, les gains financiers représentaient 38,4 % du revenu national, l’une des composantes du produit intérieur brut (PIB). Ils ont atteint en 2003 un pic de 51,7 %. La rémunération des personnes actives affiche la tendance inverse. Elle est passée de 53,5 % à 42,9 %.” Les données de cette étude s’arrêtent à 2003, exactement l’année où Lula est arrivé à la présidence de la République. Mais les chiffres des années suivantes, dont se servent les économistes, indiquent clairement que la situation n’a pas – ou guère – changé. L’ONU conclut que “les bénéfices de la croissance du PIB et ceux des entreprises brésiliennes obtenus grâce aux avancées de la technologie n’ont sans doute pas été répercutés dans les mêmes proportions vers les travailleurs”.

Face à cette évidence statistique, on ne peut que s’interroger sur les raisons de la persistance de ce mythe tenace de la diminution des inégalités. L’explication en est simple : l’indice [ou coefficient] de Gini, l’indicateur le plus communément utilisé pour mesurer les inégalités, prend en compte les revenus d’une classe sociale en y incluant non seulement les salaires, mais aussi toutes les aides sociales dont elle bénéficie, comme la Bolsa Familia, et même les retraites. De plus, au Brésil, les chercheurs n’ont pas accès aux revenus du capital des classes les plus riches. “Dans quelques mois, le recensement de 2010 montrera que nos inégalités en matière de salaires et de revenus restent à un niveau très élevé. Mais, tout comme moi, la majorité de ceux qui auront répondu à ce rapide questionnaire auront omis (intentionnellement ou non) les revenus autres que ceux du travail”, explique le Pr Cláudio Dedecca de l’université de Campinhas.

Parions donc qu’il existe au Brésil un niveau d’inégalités bien supérieur à celui qu’indiquent les statistiques. Mais cela ne signifie pas que l’existence de nos compatriotes ne s’est pas améliorée, bien au contraire. On vit mieux parce que les salaires ont connu une forte hausse, parce que la population active est plus nombreuse et parce que le crédit – qui était une utopie en période d’inflation – est désormais accessible à la plupart des gens. Bien sûr, comme souvent, les classes les plus aisées ont vu croître leur niveau de vie. Et, comme il en est de même pour les plus démunis, ceux-ci ne semblent pas soucieux de faire les comptes pour voir si leur vie s’est améliorée dans une plus faible ou une plus grande proportion que celle des riches. Ce qui les intéresse est de posséder un nouveau réfrigérateur, une nouvelle voiture, et de manger plus – et mieux – à table. C’est la raison pour laquelle la candidate de Lula à la présidence, Dilma Rousseff, a de très grandes chances de l’emporter dès le premier tour, le 3 octobre 2010, bien qu’elle n’ait jamais participé à la moindre élection.


Clovis Rossi : Éditorialiste au quotidien Folha de Saõ Paulo.



Articles Par : Clovis Rossi

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