Brésil : Bolsonaro encourage les massacres dans les zones agricoles et l’holocauste écologique

L’assassinat du leader paysan Aluisio Sampaio par des hommes en armes (mercenaires) dans sa maison, à Castelo dos Sonhos, dans l’Etat du Para, le mardi 11 octobre 2018, pourrait être l’annonce d’une explosion de violence dans les zones agricoles.

Membre du syndicat des travailleurs et des travailleuses de l’agriculture familiale, il était le meneur d’un combat contre des accapareurs illégaux de terre « grileiros », terme brésilien désignant des personnes ou des entités qui fabriquent de faux documents pour prendre illégalement possession de terres, notamment des terres protégées pour des raisons environnementales. Il semble que beaucoup des soutiens de Bolsonaro ne votent pas pour un candidat mais pour un mercenaire. Le candidat extrémiste qui défend le port du fusil pour les fermiers renforcerait en effet leurs milices rurales pour tuer les activistes et promouvrait ainsi un carnage dans les zones agricoles brésiliennes.

Exterminer les indigènes, exécuter les paysans, tuer les leaders des populations quilombolas –descendants d’esclaves fugitifs –, les peuples vivants dans les zones de réserves extractivistes (zones protégées au Brésil, appartenant au domaine public mais sur lesquelles les peuples traditionnels peuvent exercer des pratiques extractives anciennes comme pêcher, chasser ou cueillir des plantes) et les communautés traditionnelles.

Par le biais de ses discours et de son programme de gouvernement, beaucoup d’innocents pourraient venir grossir les sombres statistiques du pays le plus violent du monde, notamment les défenseurs de l’environnement et les défenseurs des droits de l’homme, d’après les données du Global Witness.

Et le plasticage (« pistolagem », terme brésilien pour décrire les actions meurtrières des « pistoleiros », experts du tir au revolver) se déchaine dans les zones agricoles, investissant dans les armes pour de nouvelles œuvres de mort. Peu après le premier tour, Bolsonaro a déclaré qu’il en terminerait avec l’activisme dans les zones agricoles, incitant à l’assassinat de militants du MST, de syndicalistes et d’indigènes.

Les promesses faites verbalement ou bien que l’on peut lire dans son programme de gouvernement sont terrifiantes. Elles pourraient signifier un holocauste écologique et humanitaire. L’écocide et le génocide seront des mises en pratique de la politique de la mort et la matérialisation de la nécropolitique de Bolsonaro.

Dans son programme de gouvernement, « la propriété privée » n’a pas une fonction sociale comme c’est le cas actuellement dans la constitution. C’est à peine un euphémisme pour légitimer le vol, la dépossession, la spoliation et l’accaparement illégal des terres (grilagem). De même, le mot « liberté », n’est pas lié à une garantie de droits, mais à une violation des droits : avec l’autorisation d’exercer la violence contre les autres, la liberté devient permission de tuer. Ces deux piliers du programme de Bolsonaro signifient la construction d’un ordre de violentes injustices, de retours en arrière et de sang. Il sera mis en pratique autant par des milices et des groupes de haine que par des moyens provisoires, des tractations avec le congrès, ou des normes d’exception comme la « garantie de la loi et de l’ordre ».

Pour les zones agricoles, cela représente la fin des réformes agraires et des démarcations (des terres indigènes notamment), la légalisation de l’accaparement des terres (grilagem) sur les territoires indigènes, quilombolas et paysans. Le ministère de l’Environnement sera purement et simplement supprimé et transformé en un secrétariat du ministère de l’Agriculture, dont il promet de donner la direction au président du l’Union Démocratique Rurale (UDR), d’après le journal l’Estadao, (et non de favoriser seulement une fusion comme l’écrit le journal pauliste). Donner aux tortionnaires de l’écologie le pouvoir de promouvoir l’écocide.

Avec cette mesure, l’institut Chico Mendes pour la conservation et la biodiversité (ICMBio) pourrait être sous le commandement du chef de l’organisation justement responsable de l’assassinat de Chico Mendes : l’UDR. Il y a un long historique de l’implication des membres de l’UDR dans l’assassinat des leaders ruraux. Marcos Prochet, ex-président de l’entité, fut condamné pour l’assassinat du sans-terre Sebastiao Camargo, au Parana, en 1998. En 2016, il a été condamné à 15 ans de prison. Ibama et ICMBio sous un commandement ruraliste représenteraient un banquet pour les nantis.

Contacté pour devenir ministre des transports, le chef de la construction de l’infrastructure dans le pays, le général Oswaldo Ferreira s’enorgueillit de dire que de son temps, sous la dictature, « il n’y avait pas Ibama ou MP pour casser les pieds ». Et le général de s’enorgueillir : « J’ai rasé tous les arbres qui étaient devant moi sans que personne ne vienne m’embêter ».

Sans ministère de l’Environnement, sans Ibama et sans ICMBio, avec des milices armées et libres de raser les arbres qui se trouvent sur leur chemin, cela signifie une isolation du pays du cadre international. Or la pression internationale a été responsable des compromis pour contrôler la déforestation qui impacte le climat du monde entier.

Bolsonaro promet de sortir de l’accord de Paris, il promet la fin du compromis de contrôle de la déforestation mais aussi de sortir de la convention 169 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et de sortir de la déclaration des Nations-unies sur les droits des peuples indigènes.

Si après la Seconde Guerre mondiale et la barbarie du nazisme, l’ONU a approuvé la convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, c’est seulement en 1989 que l’OIT a approuvé la convention 169. Promue au Brésil le 19 avril 2004, elle a une force constitutionnelle. C’est elle qui est responsable de la reconnaissance de l’existence des peuples indigènes dans le monde et qui donne la responsabilité aux gouvernements de défendre leurs droits. La convention 169 a donné naissance à la déclaration des droits des peuples indigènes, dont le Brésil a été l’un des principaux acteurs.

Bolsonaro promet de sortir de la convention 169 afin de mettre en œuvre sa politique de déforestation de l’Amazonie et d’appliquer sa fameuse phrase qui affirme que « les indiens n’auront plus un centimètre de terre pour les terres indigènes ». Il s’agit également d’en finir avec les procédures de titrage des terres des quilombolas qui « ne servent même pas à procréer » et d’arriver à « un octroi de licences environnementales dans les trois mois » c’est-à-dire l’approbation automatique sans aucun critère de projets qui détruisent l’environnement et affectent les communautés indigènes, quilombolas et traditionnelles. « Les minorités doivent se plier aux majorités. Elles s’adaptent ou elles disparaissent » dit Bolsonaro.

Dans un discours au congrès national, il a attaqué la déclaration des Nations-unies sur les droits des peuples indigènes. Il a répété être contre la démarcation de la terre indigène Raposa Serra do Sol à Roraima. Les terres indigènes Raposa Serra do Sol, Vale do Javari et Yanomami sont dans son viseur. Il accuse les indigènes de vouloir se séparer du pays et considère les démarcations de leurs terres comme un « crime de lèse-patrie ».

L’élection de la députée fédérale Joenia Wapichana (REDE), avocate indigène qui a gagné de la notoriété en défendant la démarcation de Raposa Serra do Sol au STF est un élan pour la résistance et pour le mouvement indigène.

Le scénario actuel prévoit une explosion de conflits. Sonia Guajajara, leader politique indigène de grande envergure aujourd’hui au Brésil dit que Bolsonaro souhaite « légaliser le génocide des peuples indigènes au Brésil et ouvrir un précédent pour un retour en arrière en Amérique du Sud ».

La violence sociologique que le candidat prétend utiliser est tellement forte que les producteurs ruraux les plus sensés sont préoccupés de l’impact que cela aura sur le commerce. Il n’y aura pas de marchés pour manger le sang de ces zones agricoles. Ni ici, ni à l’extérieur. Les négociants agricoles, écrit la Folha de Sao Paulo, « ont peur du radicalisme ». Le mal qui sera causé pour en finir avec la préservation de la forêt amazonienne, du Cerrado et d’autres biomasses brésiliennes sera irréversible d’après Luiz Marques, historien du Unicamp. « Si cela se passe, si nous continuons à perdre la couverture végétale naturelle de ces biomasses, une politique économique qui viserait à améliorer les standards de vie de la société brésilienne ne sera plus possible, peu importe laquelle, », écrit-il dans un échange de courriels. Les vies perdues seront également irréversibles.

Felipe Milanez



 

Source : Publié le 13/10/2018 sur le site Carta

Traduction d’Oriane Petteni. Les explications entre parenthèse sont de la traductrice. CADTM

Felipe Milanez  :Professeur d’Humanités à l’université fédérale de Bahia. Chercheur et militant en écologie politique.



Articles Par : Felipe Milanez

Avis de non-responsabilité : Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.

Le Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) accorde la permission de reproduire la version intégrale ou des extraits d'articles du site Mondialisation.ca sur des sites de médias alternatifs. La source de l'article, l'adresse url ainsi qu'un hyperlien vers l'article original du CRM doivent être indiqués. Une note de droit d'auteur (copyright) doit également être indiquée.

Pour publier des articles de Mondialisation.ca en format papier ou autre, y compris les sites Internet commerciaux, contactez: [email protected]

Mondialisation.ca contient du matériel protégé par le droit d'auteur, dont le détenteur n'a pas toujours autorisé l’utilisation. Nous mettons ce matériel à la disposition de nos lecteurs en vertu du principe "d'utilisation équitable", dans le but d'améliorer la compréhension des enjeux politiques, économiques et sociaux. Tout le matériel mis en ligne sur ce site est à but non lucratif. Il est mis à la disposition de tous ceux qui s'y intéressent dans le but de faire de la recherche ainsi qu'à des fins éducatives. Si vous désirez utiliser du matériel protégé par le droit d'auteur pour des raisons autres que "l'utilisation équitable", vous devez demander la permission au détenteur du droit d'auteur.

Contact média: [email protected]