BRÉSIL : C’est le bazar

La réunion du Tribunal supérieur de justice concernant l’habeas corpus de Lula n’était pas encore terminée que l’information tombait : un militaire de la force aérienne brésilienne (FAB) avait été arrêté à Séville, sur un vol présidentiel qui l’emmenait à la réunion du G20 au Japon, en possession de 29 kilos de cocaïne.

La surprise passée – bien que cette année un cas semblable se soit produit, celui d’un militaire brésilien sur un vol vers Paris –, les questions se posent : avant tout, comment avait-il pu quitter le Brésil avec des sachets de cocaïne dans son sac de voyage ? Que signifie qu’un membre de la FAB soit impliqué dans un cas de trafic de drogue ?

Outre les spéculations sur les manquements concernant la sécurité de la présidence du Brésil, d’autres ont circulé sur le risque d’extension du trafic vers les Forces armées brésiliennes (FFAA). On a immédiatement associé l’utilisation des FFAA dans la lutte contre le narcotrafic à Rio de Janeiro à la contamination possible par contact de cette institution. La participation d’un militaire lié à la présidence, voyageant en toute impunité dans un avion de la suite présidentielle, est le signe que sont impliquées d’autres personnes au sein de la Force aérienne ou même des Forces armées.

Une autre préoccupation est que ce manque de sécurité sur un vol présidentiel reflète le désordre généralisé au sein de ce gouvernement qui change de ministres et de secrétaires toutes les semaines. En pleine crise des dénonciations de The Intercept [1], le président du Brésil a ouvert un autre front de crise dans deux secteurs fondamentaux du gouvernement. Il a relevé de leurs fonctions quatre assesseurs militaires importants, y compris celui du plus haut rang du gouvernement, pour le remplacer par un membre de la police fédérale, d’un rang très inférieur. Le principal militaire remplacé a déclaré, dans un entretien, que le gouvernement est un vrai bazar qui ne se concentre que sur ce qui n’est pas prioritaire, engendrant ainsi crise sur crise.

Par ailleurs, le président a demandé la démission du directeur général de la BNDES, une grande banque publique de financement, car aucune irrégularité dans le fonctionnement de la banque n’a été détectée contrairement à ce que le président a toujours prétendu. Les chefs d’entreprise ont très mal pris la façon abrupte et sans motif du remplacement du directeur général de la banque.

Dans ce climat, le président du Brésil a modifié son itinéraire pour se rendre à la réunion du G20, troquant Séville contre Lisbonne, comme si cela résoudrait le problème. Il a manifesté son mécontentement suite aux déclarations d’Ángela Merkel qui a déclaré être très préoccupée par la situation grave que connait le Brésil et qui a l’intention d’avoir une conversation sérieuse avec le président du Brésil, en particulier sur le thème de la dévastation des forêts. Le président brésilien contrarié a déclaré qu’il accepterait les critiques lors de la réunion du G20, dans laquelle il n’aura aucune représentation significative y compris parce qu’il a publié un document donnant ses positions extravagantes sur la mondialisation et les thèmes prioritaires de la réunion du Japon.

Pendant cela, le Tribunal suprême fédéral (STF), votait deux requêtes présentées par la défense de Lula. La première est une demande d’annulation d’un procès, en raison d’un comportement partial de la part du juge qui le préside. La seconde est une demande de récusation du juge Moro, ce qui, dans le cas où elle serait retenue, devant les évidences présentées par The Intercept, impliquerait que toutes les accusations portées par ce juge seraient annulées, ce qui conduirait à la remise en liberté de Lula.

La présidente du Parti des travailleurs (PT), Gleisi Hoffman, a déclaré que Lula est soumis à une vraie torture judiciaire. Régulièrement un nouveau recours de la défense de Lula crée un climat de tension et d’expectative, comme s’il s’agissait de la finale d’un championnat. Prévisions, analyses, entretiens avec les juges, transmission par la voie du canal judiciaire, expectatives : tout cela inonde les médias, autant traditionnels qu’alternatifs.

Lula recommande toujours de garder les pieds sur terre, reste serein, sans illusions exagérées. Mais les décisions actuelles du Tribunal suprême fédéral (STF) revêtent des caractéristiques particulières. Ce sont les premières depuis les révélations des conversations dévoilées par The Intercept, où des données réitérées confirment ce que la défense de Lula a toujours soutenu : Moro et tous ceux de Lava Jato, ne sont pas impartiaux, n’agissent pas comme des juges mais comme membre d’un parti, se mettent d’accord, agissant comme un parti politique, qui a eu un objectif : poursuivre Lula, l’empêchant d’être candidat aux élections de 2018, alors que toutes les enquêtes prédisaient la victoire de Lula au premier tour.

Parmi les déclarations absurdes du STF il y a la déclaration réitérée que le juge Moro est apte à juger Lula. La révélation des conversations entre le juge et les accusateurs de Lula qui les instruisait directement sur la façon d’agir, – ce qui est absolument interdit– a remis en cause cette décision.

La première requête de la défense de Lula a été rejetée, la seconde a été repoussée au mois d’août, après les vacances du pouvoir judiciaire. L’un des juges s’est montré inquiet des révélations, un autre a déjà dit que sa position n’a pas varié.

Ce qui est certain c’est que ces révélations ont modifié le climat politique. Suite à leurs publications la situation de Moro et de ses collègues est de plus en plus compromise. Bizarrement, Moro et ses plus proches collaborateurs se sont envolés vers les États-Unis. Moro a l’intention de rendre visite à des organismes de sécurité du gouvernement états-unien. Le jour même où éclatait le scandale du trafic de drogue dans l’avion présidentiel brésilien, Moro était en visite à la DEA, organe nord-américain chargé de la lutte contre le trafic de drogue, pour signer un accord avec le gouvernement brésilien.

 Emir Sader

Photo en vedette : Bolsonaro.

Photo par Orlando Brito/Os Divergentes

Article original en espagnol : El quilombo brasileño, Alai, le 27 juin 2019.

http://www.alterinfos.org/spip.php?article8506

Traduction française : Françoise Couëdel, Bolivar Infos

Emir Sader, sociologue et politiste brésilien, est coordinateur du Laboratoire des politiques publiques de l’Université d’État de Rio de Janeiro (UERJ).



Articles Par : Emir Sader

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