Brésil: la grande désillusion

Les Brésiliens iront aux urnes cet automne pour la première fois depuis la destitution de la présidente Dilma Rousseff en 2016.

Violence endémique, économie instable et inégalitaire, prolifération de groupes de trafiquants, les enjeux électoraux ne sauraient être plus déterminants pour l’avenir et la sécurité du pays. Or, bien que, déjà, 16 partis politiques aient déjà annoncé leur candidature ou précandidature, les plus récents sondages démontrent qu’une large portion d’électeurs annuleraient leur vote s’il avait lieu aujourd’hui.

Le journal Poder360 révèle en effet que le premier candidat en lice, l’ancien président Luiz Inácio Lula da Silva, ou Lula, reçoit toujours un fort appui de 35 % des intentions de vote, suivi par l’ancien militaire Jair Bolsonaro qui en récolte 25 %. Malgré cela, remarquablement, le sondage indique que 31 % des électeurs préfèrent invalider leur bulletin de vote le 7 octobre prochain.

Comment expliquer ce désaveu démocratique ? Certes, il faut d’abord reconnaître la nature controversée et polarisée des deux principaux aspirants à la présidence. Mais il faut aussi admettre que la jeune démocratie brésilienne, compromise par la corruption et le désordre, est aujourd’hui gravement cynique et désillusionnée.

Lula : icône controversée

S’il parvient à être candidat, celui qui récolte le plus grand nombre de voix est l’icône de gauche, l’ancien président Lula. Le hic : il purge depuis mars dernier une peine contestée de 12 ans et un mois pour corruption dans une prison de Curitiba, au sud du pays.

Lula est la figure la plus notoire à s’être retrouvée dans les filets de l’enquête Lava Jato (lave-auto), qui a permis de mettre au grand jour une corruption vraisemblablement systémique, et qui a fait maintenant plus de 140 condamnés. Mais les partisans du mouvement Lula Livre (Lula libre) sont sans équivoque : le président a été victime d’un complot.

« Sa condamnation fait partie du long coup d’État promu par la droite, croit Juliano, fervent partisan de la gauche. Ce coup a commencé par la mise en accusation (impeachment) de Dilma et se termine avec l’exclusion de Lula à la prochaine élection. »

Qu’il s’agisse de récriminations légitimes ou d’aveuglement volontaire, il est vrai que cette condamnation empêche légalement Lula de se présenter aux élections. La loi de la Ficha Limpa (casier vierge) stipule que toute personne qui a été reconnue coupable d’un crime par un tribunal est inéligible à servir la fonction publique pour une période de huit ans.

Or, comme tous les autres aspects du système brésilien, rien n’est absolu, et quelques interprétations imaginatives et manoeuvres juridiques pourraient tout de même mener l’ancien président sur le bulletin de vote.

En attendant, le Parti des travailleurs, auquel il appartient, déploie tous les moyens juridiques pour faire invalider sa peine avant la date limite des inscriptions du 15 août prochain. Une véritable course contre la montre qui s’est presque avérée un succès il y a quelques jours lorsqu’un juge de la Cour d’appel a créé une véritable onde de choc en annonçant sa libération, pour ensuite voir sa décision renversée — non pas sans un long manège — par un second magistrat, convoqué d’urgence depuis ses vacances au Portugal.

De tels soubresauts juridiques ne font qu’aggraver la perception négative des citoyens envers la variabilité des règles et l’apparente partisanerie du système judiciaire.

Enfin, le scénario le plus probable voit le Parti des travailleurs tenter de présenter Lula jusqu’à la dernière minute, sans quoi le parti annoncerait un candidat de remplacement ou se rangerait simplement derrière le candidat du Parti démocratique travailliste, l’ancien gouverneur de Ceará, Ciro Gomes.

Mais ce pourrait être trop peu trop tard. Sans Lula, les sondages donnent le pouvoir au militaire d’extrême droite Jair Bolsonaro.

Bolsonaro et le changement

Député au congrès de Rio de Janeiro, Jair « Messias » Bolsonaro, le candidat homophobe apologiste de la dictature, qui promet de ramener « la loi et l’ordre » avec un cabinet composé de militaires, a su s’attirer de nombreux appuis. En dépit de ses propositions sexistes, racistes et ultraconservatrices, Bolsonaro ne séduit pas que l’extrême droite.

« Je ne suis pas un partisan de Bolsonaro, mais Dilma et Lula ont conduit le pays à l’une des pires crises économiques et sociales de notre histoire », explique Cauê, qui se décrit comme un centriste. « Si ça devait se jouer entre Bolsonaro et Lula, je serais derrière Bolsonaro. »

Sa démagogie, son ultranationalisme et ses attaques contre « l’élite politique » ne sont pas sans rappeler Donald Trump, à qui on le compare d’ailleurs.

Mais son discours anti-establishment et anticorruption trouve écho dans un pays malmené par sa classe politique. La gigantesque opération Lava Jato, dont les débuts remontent à 2014, a révélé au grand jour un complexe réseau de crimes financiers et de détournement des ressources publiques. Le dévoilement de l’existence du vaste plan de corruption de la compagnie Petrobras, impliquant des politiciens de plusieurs partis politiques et de certaines des plus grandes entreprises publiques comme privées du pays, domine toujours l’espace public.

Ainsi, même s’il fait lui-même partie de la classe politique depuis plus de vingt ans et qu’il soumet des idées réactionnaires, Bolsonaro représente ironiquement « le changement », ou à tout le moins, une direction nouvelle, puisque diamétralement opposée à celle de ses prédécesseurs.

Aujourd’hui gérée par le gouvernement impopulaire et non élu de Michel Temer, la démocratie brésilienne souffre de cynisme et de désabusement. Le taux d’homicides a battu des records en 2016, dépassant les 61 619 meurtres (7 par heure). L’intensité de l’inégalité des revenus et de la pauvreté est bien visible.

Les Brésiliens ont perdu confiance en leurs institutions démocratiques. L’engouement pour les faux prophètes et la résurgence des demandes d’intervention militaire en témoignent. Si elle ne voit pas au-delà de ces deux principaux candidats controversés, la jeune démocratie brésilienne risque de ressortir encore plus fragilisée au lendemain des élections le 7 octobre prochain.

Geneviève Lasalle

Geneviève Lasalle : Professeure à São Paulo et diplômée en histoire à l’Université d’Ottawa



Articles Par : Genevieve Lasalle

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