Brésil : vague d’agressions homophobes et contre les électeurs de gauche

Tué de douze coups de couteau dans un café pour avoir déclaré qu’il avait voté pour le candidat de gauche. C’est le soir du premier tour de l’élection présidentielle brésilienne, le 7 octobre, que Romoaldo Rosário da Costa [1], 63 ans, activiste culturel de Salvador, dans le nord-est du pays, a perdu la vie. L’auteur du crime, de 36 ans, confesse à la police avoir une motivation politique : il est partisan du candidat d’extrême droite Jair Bolsonaro. Après que le sexagénaire ait déclaré avoir voté pour le candidat du parti des travailleurs (PT), Fernando Haddad, le meurtrier est rentré chez lui chercher un couteau avant de revenir dans le bar pour assassiner l’électeur du PT [2].

« Si Bolsonaro gagne, on va pouvoir tuer plus de singes »

C’est l’une de la cinquantaine d’agressions violentes perpétrées par des partisans de Bolsonaro dans le pays depuis quinze jours, selon un travail de recensement et d’enquête du site d’informations brésilien Agência Pública [3] À Curitiba, le 7 octobre, une voiture fonce sur le groupe où se trouve un journaliste de télévision de 26 ans, devant un bar. L’homme attaqué portait un t-shirt rouge avec effigie de l’ex-président Lula. Quand il tente de porter plainte, il aperçoit des autocollants avec le visage de Bolsonaro sur l’ordinateur du policier, et se rend alors à un autre commissariat. Dans la même ville, le 9 octobre, un étudiant portant une casquette du MST, le Mouvement des paysans sans terre, et un t-shirt rouge, est agressé par six hommes devant un bâtiment de l’université. Ceux-ci crient « ici c’est Bolsonaro », relate l’Agência Pública. À São Paulo, dans un café, un homme a lancé à une famille noire, le 7 octobre : « Bolsonaro va en finir avec vous tous, on va pouvoir vous mettre des balles. »

De nombreuses attaques homophobes et transphobes accompagnées de propos pro-Bolsonaro ont aussi été signalées. Le 6 octobre, à Belo-Horizonte, la capitale de l’État du Minais Gerais, un jeune trans de 21 ans, Guil, attend à un arrêt de bus. Des partisans de Bolsonaro manifestent à proximité. L’un d’entre eux colle un autocollant pro-Bolsonaro sur Guil. Qui l’enlève en disant qu’il ne veut pas voter pour lui et qu’il faut respecter ce choix. L’homme lui en colle alors un deuxième, Guil l’enlève, l’homme le fait tomber au sol. Une amie de Guil, trans aussi, est violemment attaquée le 30 septembre, dans la même ville, par quatre hommes portant des t-shirts en appui à Bolsonaro. « S’il gagne, on va pouvoir tuer plus de singes », déclarent les agresseurs.


« Quand le commandant gagnera l’élection, la presse mourra »

Les journalistes sont également des cibles des partisans de Bolsonaro. Dans le Pernambuco, le 7 octobre, une journaliste est menacée de viol et de mort par des hommes, l’un vêtu d’un t-shirt à l’effigie du candidat. « Quand le commandant [c’est-à-dire Bolsonaro, qui est un ancien militaire] gagnera l’élection, la presse mourra », lui lancent les hommes. Au moins 16 journalistes ont été agressés dans le Nord-est par des partisans de Bolsonaro, selon l’Agência Pública. Il y a aussi ce cas, d’une violence plus sourde : un médecin de l’État de Rio Grande do Norte, déchire l’ordonnance d’un patient dans un hôpital public après lui avoir demandé pour qui il avait voté. Le vieil homme avait voté à gauche.

Cette violence risque évidemment de s’amplifier si Bolsonaro est élu. Son parti, le PSL, minuscule jusqu’ici, a déjà fait élire 52 députés lors des élections législatives qui se déroulaient aussi le 7 octobre. Les programmes de ces députés bolsonaristes laissent présager du degré de violence dont est capable cette frange de l’extrême droite brésilienne. Márcio Labre, par exemple, député pour l’État de Rio de Janeiro, préconise dans son programme une nouvelle constitution avec « des mécanismes de contrôle gouvernemental sur la société », la mise en place du « travail forcé » pour les prisonniers, et « l’interdiction des partis et mouvements communistes ».


Vers l’interdiction des partis de gauche ?

Dans la rhétorique de l’extrême droite de Bolsonaro, le Parti des travailleurs, comme le Mouvement des sans terres, sont souvent associé à des mouvements communistes. Le travail forcé et la qualification du « communisme » comme un crime sont aussi deux mesures défendues par le député du PSL Cabo Junio Amaral, policier militaire de 31 ans, élu dimanche. Accuser des organisations comme étant « communistes » permettra ainsi de les interdire. Des mouvements sociaux tels le Mouvement des sans terre (MST) et le Mouvement des travailleurs sans toit [4] sont dans le collimateur.

Parmi les nouveau députés, « des personnes qui défendent une “sécurité judiciaire” pour que les policiers tuent sans être punis, la castration des violeurs, la classification des mouvement sociaux comme terroristes, la réduction de la majorité pénale (en certains cas à 14 ans), l’adoption de la prison à perpétuité, l’interdiction des partis de gauche », souligne le site d’informations The Intercept Brasil. Le journal rappelle aussi que sur les 52 députés du PSL, vingt sont policiers ou militaires.

Le policier Daniel Silveira, élu à Rio de Janeiro, s’était fait filmer pendant la campagne en train de détruire la plaque commémorative installée par la ville en mémoire de Marielle Franco, conseillère municipale, femme, lesbienne, noire, assassinée par balles le 14 mars 2018 dans le centre de Rio (sept mois plus tard, ses meurtriers courent toujours). Pour le moment, au second tour, Jair Bolsonaro est donné vainqueur, avec environ 45 % d’intentions de vote, contre 40 % pour Fernando Haddad et 15 % d’indécis et d’abstentionnistes.

Rachel Knaebel

 

Notes :

[1connu sous son nom de scène, Moa do Katendêde.

[2Voir cet article d’El País Brasil.

[3Voir aussi le recensement effectué par le site #VítimasDaIntolerância.

[4MTST, mouvement social des sans toits qui mobilisent des milliers de personnes par exemple dans la région de São Paulo, Guilherme Boulos, candidat du parti de gauche PSOL à l’élection présidentielle, en a été le coordinateur pendant longtemps.

Journaliste, basée à Berlin, Rachel Knaebel publie régulièrement des articles pour le média indépendant Basta !



Articles Par : Rachel Knaebel

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