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Burkina Faso – Au « pays d’un homme intègre »: Thomas Isidore Noël Sankara et la continuité de l’hiver politique
Par Maryse Laurence Lewis
Mondialisation.ca, 17 décembre 2015

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Le 21 décembre. Pour la plupart des gens, qu’ils se proclament ou non croyants, cette date signifie l’approche de Noël et le début de l’hiver. Pour la population lucide du Burkina Faso, le 21 décembre c’est  réellement la naissance de Noël… Thomas Isidore Noël Sankara. Tous les bons cours d’histoire contemporaine devraient comporter l’écoute du discours que cet homme fit, le 4 octobre 1984, à l’assemblée de l’Organisation des Nations Unies. Il venait d’être nommé président de son pays, ayant entamé une véritable révolution communiste dès l’âge de 33 ans.

Né en Haute Volta, il en a éradiqué le nom, en même temps que le néocolonialisme qui y persistait. Une fois devenu le Burkina Faso, la reprise du pouvoir passa par la nationalisation des entreprises et la redistribution de terres aux paysans. Comme ce fut le cas de l’Argentin Ernesto Guevara, Sankara pensait devenir médecin et bifurqua vers une formation militaire, en vue de mettre fin à l’exploitation des peuples par les États impérialistes et les multinationales. Comme lui, il souhaitait une grande union des pays partageant un même continent. Il fut, lui aussi, assassiné, peu avant d’atteindre l’âge de 39 ans, également en octobre. Octobre! Certains d’entre nous savent tout ce que peut représenter ce mois…

 

Le premier acte présidentiel de Sankara fut d’abaisser son salaire et ceux des fonctionnaires de l’État (un geste des plus téméraires!). Il vendit les grosses voitures gouvernementales pour des Renault 5, annula l’immunité diplomatique, nomma des femmes à des postes ministériels, interdit la polygamie et l’excision. Il procéda à des campagnes de santé publique, fit construire des hôpitaux, puis des écoles afin d’augmenter le niveau d’alphabétisation. On érigea des logements abordables et les locataires n’eurent rien à payer durant un an. Il fit planter des arbres pour contrer l’avancée du désert. Et le désert des droits humains, jusque-là, assoiffait la population depuis trop longtemps.

Dans son discours du 4 octobre, il dénonce les conditions déplorables dans lesquelles vivent certains peuples. Il pointe les multinationales et les gouvernements « démocratiques » qui reçoivent à bras ouverts les dictateurs qu’ils maintiennent en place, afin qu’ils leur permettent d’exploiter la main d’œuvre et les richesses de leurs pays. Il demande la fin du régime de l’apartheid en Afrique du Sud, son retrait de l’ONU et la libération de Nelson Mandela. Il propose la sécession de l’ONU avec Israël qui fait subir aux Palestiniens des horreurs semblables à celles de la guerre de 1945. Il recommande à l’ONU de modifier sa structure et de cesser l’injustice du droit de veto. Tout ça, en un seul discours! À partir de 1987, on saura davantage combien d’hypocrites l’ont applaudi ce jour-là…

Le 29 juillet 1987, au Sommet des États Africains d’Addis-Abeba, en Éthiopie, il explique avec humour et fermeté pourquoi les pays du « tiers monde » ne devraient pas payer leur dette à la Banque Mondiale. Deux mois plus tard, on l’assassinait. Plusieurs présidents africains préservant les intérêts étrangers ont trempé leur cupidité dans son sang, avec l’aide de la France, des États-Unis et de la Central Intelligence Agency (CIA). À l’époque, l’hexagone était dirigé par François Mitterrand, du parti « communiste » et Ronald Reagan chevauchait le pentagone. Blaise Compaoré, l’assassin principal de Sankara, pris le pouvoir le 15 octobre 1987, sans jugement, même si le Comité des droits de l’homme a dénoncé l’absence d’enquête sur la mort de Sankara. Il s’y est maintenu pendant 27 ans. François Hollande l’a lui aussi reçu fièrement… Mais à la fin d’octobre 2014, un de ses proches, Roch Kaboré démissionne et 70 de ses cadres le suivent et fondent le Mouvement du Peuple pour le Progrès. Les manifestations se sont propagées au pays et Compaoré ne put que s’enfuir en Côte d’Ivoire. Un putsch, dirigé par un participant à l’assassinat de Sankara, Gilbert Diendéré, aurait pu faire régresser une possible mise en place de démocratie. Heureusement, le peuple n’a pas cédé. Des élections viennent d’avoir lieu et Kaboré est officiellement élu. Que se passera-t-il dans les prochains mois?… Tout peut arriver, l’inhumation définitive des rêves de Sankara ou leur renaissance. Car le 21 décembre, dans de trop nombreux pays tropicaux, on célèbre encore la continuité de l’hiver politique.

 Maryse Laurence Lewis

Un documentaire reprenant des documents d’archives a été réalisé en 2014, par le Suisse Christophe Cupelin, en hommage au « Capitaine Thomas Sankara ».

« L’émancipation des femmes et la lutte de libération de l’Afrique », par Thomas Sankara, aux Éditions Pathfinder.

Burkina Faso, littéralement « Pays des hommes intègres »

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