Bush le destructeur

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A l’issue de ses deux mandats, le président aura réussi à remettre en cause les principaux acquis du système démocratique américain. Le constat inquiet de l’hebdomadaire de gauche The Nation. 

A quelques mois du départ de Bush et de sa clique, cette tâche difficile qu’est la restauration de notre démocratie va pouvoir commencer. Car, si l’actuel président parle beaucoup d’exporter la démocratie, il n’a cessé de lui porter atteinte ici, chez nous. Ce n’est pas que cette démocratie ait été parfaite avant que Bush n’arrive pour abuser d’elle. Si démocratie signifie règne de la majorité, respect des droits des minorités et de l’Etat de droit, force est de constater que notre Constitution employait parfois un langage loin d’être démocratique. Seuls les hommes possédant des biens avaient le droit de vote, et un Noir ne comptait que pour trois cinquièmes d’individu. Malgré ce mauvais départ, la démocratie s’est renforcée. Les sénateurs sont élus par le peuple depuis 1913 ; les femmes ont gagné le droit de vote en 1920, et les Africains-Américains quarante-cinq ans plus tard. Dans les années 1930, 1960 et 1990, des gouvernements démocrates ont montré qu’une démocratie pouvait étendre la sécurité sociale et mettre en place une assurance-vieillesse.

Ces progrès, qui ont demandé deux siècles pour s’établir, ont récemment été ébranlés. Au Congrès, dans les églises et les entreprises, un puissant groupe de “nouveaux autoritaires” a manifesté un mépris profond pour le dialogue démocratique. Pourtant, cette crise silencieuse de la démocratie ne suscite que très peu d’émoi. Il est donc temps de réparer une machine gouvernementale disloquée. Voici quatre grands domaines dans lesquels des réformes populaires s’imposent.

Prendre des libertés avec la loi

En jurant d’“appliquer scrupuleusement les lois”, Bush a manifestement pris ce serment au premier degré. En six ans, ce gouvernement a envahi un pays en violation de la charte des Nations unies, justifié la torture, refusé de demander des mandats pour installer des écoutes, organisé la fuite d’informations secrètes dans des objectifs partisans, fait arrêter sans preuve des milliers d’Américains musulmans, emprisonné sans inculpation à Guantanamo des centaines d’entre eux et revendiqué son pouvoir d’ignorer des centaines de lois adoptées en bonne et due forme. Tout cela au nom d’une “guerre contre le terrorisme” dont personne ne voit la fin. Quand, en cherchant à justifier sa violation flagrante, Bush a soutenu que la législation exigeant un mandat pour l’installation d’une écoute pouvait être ignorée, cet argument a fait dresser les cheveux de Bruce Fein, vieux briscard de la justice sous Reagan. “C’est un moment déterminant de l’histoire constitutionnelle des Etats-Unis. La théorie invoquée par le président pourrait tout aussi bien justifier l’ouverture du courrier, le cambriolage, la torture ou les camps d’internement, le tout au nom de la collecte de renseignements sur l’étranger”, assure l’éminent constitutionnaliste.

Une démocratie sans électeurs

Si la démocratie se mesure à l’aune de la participation électorale, les Etats-Unis comptent parmi les nations les moins démocratiques au monde. Comparez donc notre taux moyen de participation aux derniers scrutins présidentiels : il est de 48 % aux Etats-Unis, 90 % au Cambodge, 77 % en Europe de l’Ouest et 68 % en Europe de l’Est. S’il existait un “indice de pauvreté démocratique”, notre pays pourrait bénéficier d’une importante aide internationale.

Dans la plupart des Etats, une réglementation contraignante dissuade l’électorat de se rendre aux urnes. Des acteurs politiques locaux découragent souvent le vote de façon discriminatoire, comme on l’a vu dans l’Ohio en 2004. Il y a bien sûr l’exemple tristement célèbre de ces responsables républicains qui fournissent intentionnellement un nombre insuffisant de machines à voter dans les cantons défavorisés à tendance démocrate. Anecdote moins connue, des militants conservateurs avaient installé des panneaux dans les quartiers africains-américains du comté de Cuyahoga, dans l’Ohio, informant les électeurs qu’ils pourraient perdre la garde de leurs enfants si un membre de leur famille votait illégalement (sic), qu’ils n’avaient pas le droit de voter s’ils avaient des factures de services publics impayées et que les républicains devaient voter le mardi [jour traditionnel d’élections] et les démocrates le mercredi ! L’objectif de ces manœuvres d’intimidation grossières a été exposé sans ambages en 2004 par le représentant républicain du Michigan, John Pappageorge. “Si nous ne limitons pas le vote à Detroit, nous allons passer un mauvais quart d’heure lors de ces élections”, avait-il déclaré.

Culture du secret et démocratie

Vous vous souvenez de ce vieil aphorisme des balbutiements de l’informatique, “Garbage in, garbage out” [littéralement, “déchet à l’entrée, déchet à la sortie”]. Tout comme les ordinateurs plantent quand on entre de mauvaises données, la démocratie plante lorsque les décisions importantes sont fondées sur des données erronées, voire en l’absence de données.

Tout comme les bonnes gens de la ville de Salem étaient convaincus que certaines femmes étaient possédées, de nombreux Américains étaient persuadés de la nécessité de l’invasion de l’Irak pour la bonne et simple raison que George W. Bush en minimisait les risques et soutenait que Saddam Hussein était lié aux attentats du 11 septembre 2001. Quand l’idéologie fabrique des faits de toutes pièces, les résultats sont souvent désastreux.

Pour garantir une démocratie saine, nourrie par des débats nombreux et intelligents, il importe que le secret soit réduit au minimum. Or, pendant toutes les guerres du XXe siècle, les chaudes comme la froide, une culture du secret s’est enracinée à Washington. Et le gouvernement Bush a ancré cette culture plus profondément encore, s’appuyant sur la tragédie du 11 septembre pour pratiquer la rétention d’information au nom de la “sécurité nationale” et concentrer les pouvoirs entre les mains du seul président.

Economie et démocratie

Dans une analyse de l’économie américaine rédigée en 2003, l’économiste Jeff Madrick posait d’épineuses questions : “A partir de quel moment les inégalités de revenus commencent-elles à avoir des répercussions sur les droits civiques et politiques ainsi que sur l’attachement ancien des Etats-Unis à l’égalité des chances économiques ? A partir de quand ces inégalités commencent-elles à la fois à refléter un échec de la démocratie et à contribuer à son affaiblissement ?” Quand on sait que le PDG d’ExxonMobil gagnait il y a peu 368 millions de dollars [258 millions d’euros] par an, on comprend parfaitement les conclusions de Jeff Madrick, selon lesquelles “de solides arguments nous poussent à croire que nous avons déjà atteint ce moment”. Les riches sont devenus superriches, et la classe moyenne n’a cessé de s’appauvrir.

Le grand capital n’avait plus exercé pareille influence depuis le Gilded Age [l’âge d’or, période de prospérité qui a suivi la guerre de Sécession], une époque à laquelle les sénateurs étaient de facto nommés par les riches entrepreneurs. D’innombrables lois et orientations politiques mises en œuvre par George W. Bush (érosion du salaire minimum, diminution des impôts pour les riches et des aides sociales pour les pauvres) ont accéléré la dévaluation du travail au profit du capital. George Bush a redistribué les richesses bien plus activement que n’en fut jamais accusé George McGovern [candidat démocrate malheureux à la présidentielle de 1972, présenté par les républicains comme un gauchiste radical]. A ceci près que Bush a redistribué les richesses aux riches. Une situation déjà résumée en son temps par Louis Brandeis [juge à la Cour suprême et démocrate, 1856-1941] lorsqu’il affirmait que, “dans ce pays, nous pouvons ou bien avoir la démocratie, ou bien avoir de grandes richesses concentrées aux mains de quelques-uns, mais pas les deux à la fois”.

En six petites années, George W. Bush a non seulement dilapidé l’excédent budgétaire fédéral conséquent dont il avait hérité, mais a aussi englouti l’héritage de plusieurs siècles de progrès démocratique. Et il ne s’agit pas là d’une affirmation alarmiste. C’est la pure et simple description de la crise silencieuse que traverse actuellement notre démocratie.  Mark Green The Nation      Vers la dictature ? On connaissait Naomi Wolf pour ses prises de position féministes, la voici sur le terrain de la critique politique. Dans son dernier livre, The End of America (La fin de l’Amérique, éd. Chelsea Green, non traduit), l’essayiste radicale s’en prend directement à Bush et épingle la dérive de son gouvernement. Selon l’auteur, il suffit de franchir dix étapes pour transformer un régime démocratique en dictature, une recette que Bush semble avoir suivie au pied de la lettre.

1. Invoquer une terrible menace extérieure et intérieure.

2. Créer un goulag.

3. Encourager le mercenariat.

4. Intensifier la surveillance intérieure.

5. Harceler les associations citoyennes.

6. Pratiquer la détention arbitraire.

7. S’en prendre aux individus.

8. Contrôler la presse.

9. Assimiler toute dissidence à de la trahison.

10. Piétiner les lois.



Articles Par : Mark Green

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