Bush signe la loi autorisant des tribunaux dignes d’un Etat policier et la torture

Le président Bush a signé la loi sur les commissions militaires mardi matin, établissant un système de tribunaux militaires qui jugeront les prisonniers désignés comme « ennemis combattants illégaux ». Cette catégorie comprend à la fois les personnes emprisonnées à Guantanamo et toute autre personne, citoyen américain ou non, que l’administration Bush désignera ainsi.

Le changement légal le plus important amené par cette loi est l’élimination de l’habeas corpus pour tout non-citoyen arrêté par le gouvernement américain et emprisonné en tant qu’« ennemi combattant illégal ». Ces individus n’auront pas le droit à être entendus devant une cour pour juger s’il existe une preuve suffisante pour justifier leur détention.

L’habeas corpus est la défense de base contre la détention arbitraire par l’Etat et il n’a jamais été retiré de façon permanente pour une section de la population américaine — avant aujourd’hui. Ce geste, un défi flagrant à la constitution américaine autant que de la décision de la Cour suprême de juin dernier dans l’affaire Hamdan v. Rumsfeld, a été approuvé par le Sénat et la Chambre des représentants le mois dernier, avec un nombre important de démocrates se joignant aux républicains presque unanimes.

Dans ces remarques lors de la cérémonie de signature, Bush a donné déclaré que la mesure de la loi la plus importante à ces yeux était l’autorisation donnée à la CIA pour qu’elle interroge des prisonniers avec des méthodes interdites par les Conventions de Genève, ce qu’il a décrit comme « un outil vital pour protéger le peuple américain dans les années à venir ». Il faisait référence à une provision qui donne le feu vert à la CIA pour torturer des prisonniers et légaliser rétroactivement la torture commise par des agents de la CIA entre 2001 et 2005.

Bush a déclaré que la loi rendrait possible de poursuivre des agents d’al-Qaïda actuellement dans des prisons américaines, comme Khalid Sheikh Mohammed, que l’administration considère comme celui qui a orchestré les attentats terroristes du 11 septembre 2001. Il n’a pas discuté du fait que Mohammed, Ramzi bin al Shidh et d’autres personnes soupçonnées d’appartenir à al-Qaïda sont aux mains des Américains depuis plusieurs années. Le principal empêchement à leur procès était que leurs soi-disant confessions, obtenues après une longue période de torture, y compris le supplice de la noyade (waterboarding), n’auraient pas été admises comme preuve dans une seule cour dans le monde.

Tant qu’ils pouvaient être détenus indéfiniment dans les prisons secrètes de la CIA, l’administration Bush n’était pas très concernée par le fait que les soi-disant organisateurs du 11-Septembre ne soient pas poursuivis. Cela n’est devenu important qu’après que l’existence des prisons secrètes de la CIA ait été connue du public après des fuites dans le Washington Post et que l’Union européenne a commencé une enquête sur les vols de la CIA pour amener et déplacer des prisonniers emprisonnés dans l’UE. Il y a ensuite eu la décision de la Cour suprême dans l’affaire Hamdan, qui a réitéré la primauté des droits constitutionnels tels que l’habeas corpus sur les prétentions de Bush que le « commandeur en chef » avait une autorité illimitée.

Dans la déclaration qu’il a faite lors de la signature de la loi, Bush a décrit la question des techniques d’interrogation de la CIA comme étant complexe légalement. La nouvelle loi « offre la clarté dont nos professionnels du renseignement ont besoin pour continuer à interroger les terroristes et à sauver des vies ». En réalité, la « clarté » que donne la loi est une amnistie pour les actions passées des tortionnaires de la CIA et un feu vert pour des actions semblables dans le futur.

Bush a affirmé que les interrogations de la CIA ont empêché des douzaines d’attentats terroristes et « sauvé des vies américaines ». Ces affirmations sont plus que douteuses. Aucun des complots auxquels il fait référence n’a été suivi d’une seule poursuite d’un soi-disant terroriste devant les tribunaux, pas plus qu’il n’y a eu de confirmation indépendante de l’existence de ces complots.

Bush a aussi affirmé que les commissions militaires qui sont au cœur de la loi « vont offrir un procès équitable, dans lequel l’accusé est supposé innocent, peut être représenté par un avocat et peut entendre la preuve contre lui ». Ces affirmations sont un mélange de demi-vérité et de mensonges éhontés.

* Les procès seront manifestement injustes, permettant la preuve obtenue par la torture aussi bien que par ouï-dire.

* Les accusés ne sont pas vraiment considérés comme innocents, puisque tous les défendeurs auront le statut d’« ennemi combattant illégal », ce qui en fait des personnes qui sont présumées coupables d’avoir pris les armes contre les Etats-Unis.

* Les avocats seront des officiers militaires sous la discipline du commandant en chef, et ils pourront méditer l’exemple du commandant Charles D. Swift, l’avocat militaire du prisonnier de Guantanamo Salim Hamdan. Deux semaines après avoir obtenu gain de cause pour son client à la Cour suprême, Swift s’est vu refuser sa promotion et a été obligé de mettre fin à sa carrière militaire.

* Pour ce qui est de présenter toutes les preuves au procès, cela est un mensonge. Dans les cas des éléments classés secrets, les prisonniers ne pourront avoir accès qu’à un résumé non classifié, les obligeant ainsi se défendre contre des preuves confidentielles.

La prétention la plus cynique a été la conclusion de Bush qu’« en mémoire des victimes du 11-Septembre, j’ai l’honneur de signer la loi sur les commissions militaires de 2006 ». En fait, cette loi n’a rien à voir avec une vengeance des morts des innocentes victimes du 11-Septembre ou une punition des responsables de cette tuerie.

Il n’y a pas encore eu d’enquête sérieuse sur les événements du 11-Septembre, et particulièrement sur le rôle des agences du renseignement américaines. Des rapports continuent de paraître, comme le récent livre de Bob Woodward, sur la politique délibérée de l’administration de ne pas se préoccuper durant l’été 2001 des avertissements selon lesquels une attaque terroriste était imminente. L’explication la plus plausible est que l’administration Bush a permis ou directement facilité une attaque terroriste afin d’obtenir le prétexte nécessaire pour que l’opinion publique se range derrière sa campagne planifiée d’agression militaire des régions riches en pétrole du golfe Persique et de l’Asie centrale.

La Maison-Blanche, avec les élections du 7 novembre en tête, a bien planifié le moment de la cérémonie de ratification, tentant de présenter les démocrates qui ont voté contre la loi comme « laxistes face au terrorisme ». La Maison-Blanche, le leadership républicain du Congrès ainsi que la machine électorale républicaine ont donné libre cours à des diffamations à la McCarthy.  

S’y prenant de façon indirecte, Bush a déclaré à la cérémonie : « Chaque membre du Congrès qui a voté pour cette loi a aidé notre nation à s’élever au niveau de la tâche que l’histoire nous a donnée. Certains ont voté pour cette loi même si une majorité de leur parti a voté autrement ».

Le président de la Chambre des représentants, Dennis Hastert, impatient de trouver une diversion de la question de son implication dans l’affaire Mark Foley, où l’on aurait caché le comportement du membre républicain du Congrès, a dénoncé l’alternative un peu moins draconienne présentée par ses opposants démocrates, affirmant que « Le plan démocrate dorloterait délicatement les terroristes qui projetteraient détruire d’innocentes vies américaines ». À quelques minutes de la ratification du projet de loi, le Comité national républicain a émis un point de presse intitulé « Les démocrates laisseraient les terroristes en liberté ».

Bien qu’un groupe de pacifistes religieux ait organisé une manifestation à l’extérieur de la Maison-Blanche, criant « Bush est le terroriste », et « La torture est un crime », et qu’environ 15 personnes aient été arrêtées, le Parti démocrate ne partage en aucune façon de telles préoccupations à propos des implications de la nouvelle loi pour les droits démocratiques. Même si la loi sur les commissions militaires est l’assaut le plus fondamentalement important sur les droits constitutionnels voté par le Congrès en au moins un siècle, les démocrates du Sénat ont pris une décision calculée pour que le projet de loi soit accepté, refusant d’opposer une obstruction, qui aurait pu être maintenue par les votes de 40 sénateurs (les démocrates détiennent maintenant 44 sièges, et un indépendant vote avec eux).

Plus fondamentalement, chaque dirigeant démocrate accepte le cadre de la « guerre à la terreur » établi par l’administration Bush, dans lequel les droits démocratiques et les normes constitutionnelles doivent être sacrifiés dans l’intérêt d’une lutte indéfinie dont le champ de bataille est la terre entière. Sur cette base, l’administration Bush peut justifier tous les crimes, de l’invasion de l’Afghanistan et de l’Irak et son appui à la guerre d’Israël contre le Liban, à de nouvelles guerres contre l’Iran, la Syrie ou la Corée du Nord.

Depuis les trois semaines de l’adoption de la loi sur les commissions militaires, d’autres informations ont été mises à jour sur le caractère arbitraire des arrestations et détentions qui ont mené les prisonniers à Guantanamo. Et sur l’ampleur des attaques sur les droits démocratiques qui ont été réalisées sous l’administration Bush.

Le 15 octobre, la presse rapportait la souffrance endurée par Abdul Rahim al Ginco, un étudiant de niveau collégial originaire des Emirats arabes unis qui a été emprisonné par les talibans et torturé par al-Qaïda alors qu’il était en visite en Afghanistan en 2000. Il a été libéré des prisons des talibans seulement pour être arrêté par les militaires américains et, en tant qu’arabe en territoire afghan, présumé être un agent d’al-Qaïda, ce qui lui a valu d’être transféré à Guantanamo, où il est toujours après 5 ans.

Le même jour, le Los Angeles Times rapportait que les Marines américains ont tenté de taire deux membres de l’équipe légale militaire représentant un prisonnier de Guantanamo parce qu’ils s’étaient prononcés publiquement sur des rapports d’abus par des gardiens sur des détenus à la base. L’ordre du bâillon a été prononcé contre le lieutenant-colonel Colby Vokey et le sergent Heather Cerveny par l’avocat en chef de la défense des Marines, a révélé un porte-parole de l’organisation militaire.

Le 13 octobre, le New York Times rapportait qu’un document militaire interne, obtenu par l’Union américaine des libertés civiles, en vertu d’une poursuite intentée en vertu de la loi sur l’accès à l’information, montrait des responsables militaires avaient désigné des activités anti-guerre aux États-Unis comme des « activités terroristes potentielles ».

Les activités citées incluaient une manifestation pour « la fin immédiate de la guerre » à Arkon dans l’Etat d’Ohio en mars 2005. Un rapport interne militaire de mai 2005 sur les activités à l’université de la Californie à Santa Cruz a catégoriquement affirmé que l’organisation « Etudiants pour la paix et la justice représentent une menace potentielle pour le personnel du département de la Défense ».

Du matériel suggérant que les activités anti-guerre soulèvent la menace de terrorisme criminel « étaient largement partagé parmi les analystes militaires, le bureau fédéral d’enquête et le département de la sécurité nationale », rapporte le Times.

Les implications de tels rapports sont claires : les plans sont déjà avancés, au sein de l’administration Bush et des agences militaires et du renseignement, pour criminaliser la dissidence politique et menacer ceux qui s’opposent à la guerre américaine en Afghanistan et en Irak ainsi que ceux qui défendent les droits démocratiques, de terroriste potentiel, qui peuvent ensuite être étiquetés comme étant un « combattant ennemi illégal », arrêté et enfermé dans le nouveau goulag américain.

(Article original anglais publié le 18 octobre 2006)

WSWS.org



Articles Par : Patrick Martin

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