CAMARADE ZIOUGANOV « le retour des Rouges » ?
Elections présidentielles le 4 mars en Russie

GUENNADI ZIOUGANOV, le secrétaire général du PARTI COMMUNISTE DE LA FEDERATION DE RUSSIE (KPRF), est LE SEUL CANDIDAT susceptible de rivaliser avec Vladimir Poutine si celui-ci ne l’emportait pas au premier tour.
Un personnage original et curieux, assurément, qui tranche dans le paysage politique institutionnel russe.
Il défend l’héritage soviétique « tout compris » – la révolution, Lénine (mais pas Trotski), la révolution culturelle, Staline, la Victoire de 1945, les spoutniks et les grandes réalisations sociales – et comme on dit il « surfe sur la vague de nostalgie » des générations qui ont connu et regrettent l’ère soviétique de multiples façons et pour de multiples raisons. On fait à Ziouganov ce reproche : sa fidélité absolue aux idéaux communistes de type soviétique, son refus de condamner Staline (même s’il reconnaît quelques erreurs et crimes de ce passé tragique), son refus de suivre la voie social-démocrate ou « néocommuniste » que lui ont proposé plusieurs de ses compagnons, voire même de renoncer à l’étiquette « communiste ». C’est tout du contraire : Ziouganov la revendique, s’en fait une fierté, mise sans réserve sur un héritage révolutionnaire qu’il estime « glorieux ». Pour lui, lâcher prise sur cette question d’identité, c’est faire comme Gorbatchev et Eltsine : aller à la trahison et à la débâcle. Vingt ans après la chute de l’URSS, on y réfléchit à deux fois ! Il est à noter que personne ou presque, en Russie, n’a « fêté l’événément » ! Même des libéraux regrettent l’URSS en tant que famille de peuples et…marché unique. L’antisoviétisme n’a plus la cote.
Mais Ziouganov, en même temps, flirte avec les héritiers de la contre-révolution que sont les hiérarques de l’Eglise Orthodoxe. Il se souvient qu’ils furent les alliés de Staline face à l’envahisseur nazi . Ils seraient donc les siens aujourd’hui face à l’invasion des valeurs capitalistes occidentales. Ziouganov se réclame, en fin de compte, de la « Grande Russie éternelle » où les chœurs orthodoxes et ceux de l’Armée Rouge auraient entonné un long chant unique. Il flirte également avec des nationalistes qui feraient se retourner dans son mausolée ce vieil internationaliste qu’était Lénine. Précisons : pas avec l’extrême-droite libérale anticommuniste à la Jirinovski (sauf pour des initiatives électorales tactiques) ni avec les fascistes et autres néonazis de la « Marche Russe » du 4 novembre, dont le nationalisme « ethnique » répugne au partisan de la Russie multinationale que reste Ziouganov. Ni davantage avec le « national-bolchévisme » d’un Edouard Limonov qui, après s’être déclaré « rouge et brun », s’est rallié aux libéraux.
Non ; Ziouganov flirte avec un national-stalinien volontiers antisémite et xénophobe tel qu’Alexandre Prokhanov, adepte du néo-impérialisme russe. Ou encore avec des sympathisants de l’eurasisme au sens d’alliance anti-occidentale préservant la « singularité » russe et nouant des liens avec la Chine, l’Inde et le monde musulman plutôt qu’avec le bloc euroatlantique. Ziouganov est l’homme d’une géopolitique continentale eurasienne qui assurerait la continuité entre l’Empire des tsars, l’Union Soviétique et une Russie puissante à faire renaître. Ce qui est un peu la quadrature du cercle : comment réconcilier le drapeau rouge et la tradition monarchique aux couleurs noir-jaune-blanche ? Ziouganov y croit, tout en exhibant toujours, et exclusivement, les slogans et les symboles communistes et soviétiques. Jusqu’à nouvel ordre ? L’un de ses alliés critiques, le politologue Serguei Kourguinian, s’efforce d’entraîner les communistes dans un front « anti-orange » rassemblant tous les patriotes contre la manœuvre de déstabilisation de la Russie que les Etats-Unis seraient en train de téléguider, via les contestations, sous prétexte de fonder une improbable « Russie sans Poutine ». Mais l’opposition de Ziouganov à Poutine paraît rester plus forte que son désir de résister à cette « offensive impérialiste » qu’il croit exagérée par la propagande du Kremlin et la passion antiaméricaine de Kourguinian.
Ziouganov est concurrencé, côté nationalisme, par Poutine, qui lui a repris une partie du fonds de commerce patriotique. Ainsi, le 7 novembre, le PC célèbre toujours la Révolution d’Octobre que réprouve Poutine, mais le Kremlin organise ce même jour, comme à l’époque soviétique, un défilé militaire sur la Place Rouge pour célébrer…non la Révolution, mais…le défilé militaire historique du 7 novembre 1941, lorsque les troupes de la parade rejoignaient directement le front, les Allemands étaient aux portes de Moscou. Poutine ne rappelle pas que ce défilé de 1941 célébrait lui aussi « la Révolution », mais il accepte qu’en soient portés les drapeaux rouges. De même que le 9 mai, Jour de la Victoire de 1945, on y porte encore le drapeau planté sur le Reichstag.
De là, une concurrence autour des symboles « communistes » dont la valeur déborde en fait largement les rangs communistes.
Ziouganov joue évidemment sur ce prestige des valeurs soviétiques, nettement supérieur à celui des idées communistes : ce sont les valeurs auxquelles ont cru des générations et qui sont associées à des victoires, alors que l’idéologie et le parti communiste de l’URSS sont identifiés au mieux au « passé d’une illusion », au pire à une erreur tragique et à une impasse finale qui a coûté la vie à l’URSS. Il reste une minorité, il est vrai, attachée aux idéaux originels du communisme, ce n’est pas elle qui donne le ton, mais Ziouganov en tient compte.
Mais que propose un candidat à ce point tourné vers le passé aux jeunes générations qui – ni spécialement « pro », ni nécessairement « anti » soviétiques – vivent dans une Nouvelle Russie, transformée par le capitalisme, et dont il n’est pas imaginable qu’elle puisse « retourner vers le passé » ? Ziouganov a-t-il des propositions concrètes, crédibles dans un proche avenir, répondant aux attentes de couches sociales qui ne sont plus « le prolétariat » ou « la paysannerie kolkhozienne » et les « intellectuels soviétiques » – les trois couches sociales officielles de l’ancienne URSS – mais de nouveaux intellectuels, des informaticiens, des employés de banques, autant que de fonctionnaires, d’ouvriers salariés, de paysans individuels, de petits entrepreneurs, voire de « grands patrons » conviés à faire « renaître la patrie » ? Conscient de cette hétérogénéité de la société, le PC de Ziouganov a renoncé à « la lutte des classes » et cherche plutôt à « unir le peuple ». Sans renoncer à un anticapitalisme de principe.
Inutile de chercher chez Ziouganov ce que l’on trouve parfois dans les gauches radicales ou libertaires : une alternative au système industriel, une perspective écologique…. Ces problèmes là n’ont aucune actualité dans le débat politique russe. Ce qui est « actuel », c’est d’extraire la Russie de son rôle de réserve de matières premières et de fournisseur d’énergie au monde développé, c’est de la sauver en tant qu’état fédérateur de nombreux peuples tout en redéfinissant une « identité russe » qui, après la chute de l’Empire et de l’URSS, s’avère extrêmement confuse.Ce qui est « actuel » et politiquement « réel », c’est la capacité du PC à se poser en parti de gouvernement responsable. On en jugera d’après son programme. Sinon d’après les « actes » que le PC ne peut poser tant qu’il reste « interdit de gouvernement ». Or, Poutine n’a pas encore réussi à totalement le marginaliser. On dit volontiers qu’un tel parti lui est « utile » car il démontre qu’une opposition parlementaire subsiste. Exact: mais c’est dans la mesure où les pouvoirs du parlement sont très limités par la Constitution présidentielle adoptée en 1993 (par les démocrates libéraux et très profitable à Poutine) et où le PC peut « végéter » (et vieillir) à l’écart des affaires.
Mais il est clair que dans l’hypothèse où Ziouganov était élu et capable d’appliquer son programme, la Russie connaîtrait un tournant radical « à gauche ».
Jean-Marie Chauvier 2 mars 2012
QUELQUES IDEES FORCE DE ZIOUGANOV
En préambule, le constat de la banqueroute du capitalisme qui sème partout misère, conflits et guerre, dégradation culturelle et problèmes écologiques et qui a occasionné d’énormes pertes à la Russie dans tous les domaines, notamment une inégalité sociale colossale, une catastrophe démographique. Ziouganov promet de stopper cette dégradation, d’imposer le respect des Droits de l’Homme et de restaurer « l’Amitié des Peuples ».
LES REFORMES POLITIQUES
Un système électoral « ouvert et honnête ». Les pleins pouvoirs au Parlement. Le mandat présidentiel réduit à 5 ans. L’élection directe des gouverneurs.
LA POLITIQUE EXTERIEURE
Elargissement du nombre d’alliés et de partenaires de la Russie.
Renforcement du rôle de l’ONU, diminution de celui de l’OTAN.
Nouvelle « Union des peuples frères », formation d’un espace économique comun Russie-Biélorussie-Ukraine-Kazakhstan.
Renforcement des capacités défensives du pays.
ECONOMIE
NATIONALISATION des ressources naturelles, des banques, de l’énergie, de la construction aéronautique, du transport ferroviaire.
« 99% des citoyens en profiteront, y compris le petit et moyen business ».
Nouvelle industrialisation fondée sur le progrès scientifique et technique.
Renaissance de l’agriculture et du village russes.
Instauration d’une fiscalité progressive.
SOCIAL
Nouveau Code du travail pour défendre les salariés.
Abolition des mesures de commercialisation de la sphère sociale.
Augmentation des pensions de deux fois. (trois fois les plus basses)
Crèches et jardins d’enfants : combler le manque.
Restauration « de la plus grande conquête du Pouvoir soviétique » : l’enseignement général gratuit ». Elever son financement de 4% à 8-10 % du PIB
propositions analogues pour le système de santé publique
CULTURE
Restaurer valeurs culturelles et traditions de tous les peuples de Russie. Relever le niveau culturel de la télévision, « libérer » les téléspectateurs de la publicité. Défendre les langues et les cultures russe et des autres peuples de Russie.Elections présidentielles en Russie