Print

Canada: Course effrénée aux dépenses militaires
Par Prof. Jules Dufour
Mondialisation.ca, 17 janvier 2008
17 janvier 2008
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/canada-course-effr-n-e-aux-d-penses-militaires/7826

L’année 2007, avec l’application de la politique «Le Canada d’abord», a  été une année faste pour la grande famille militaire canadienne, soit la Défense nationale et les industries de l’aérospatiale et de la défense. Le gouvernement canadien, en effet, annonçait, en mai dernier, l’achat de matériel de guerre et de services de soutien connexes pour une valeur de 17,1 milliards de dollars. Des aéronefs de transport stratégique et tactique, des hélicoptères de transport, des camions logistiques, des composants connexes sur les plans de la logistique et de l’entraînement, des navires ravitailleurs, des navires de patrouille armés pour l’Arctique, etc. En septembre, le total des dépenses avait dépassé les 22 G$ sans compter les coûts d’entretien.  

Des engagements budgétaires d’une telle ampleur contractés en catimini par un gouvernement minoritaire et en l’absence d’un débat parlementaire sérieux en cette matière nous amènent à nous interroger sur leur bien-fondé. Pourquoi tant de ressources allouées à l’armée canadienne et pourquoi s’avère-t-il si soudainement nécessaire de moderniser maintenant ses équipements? 

Le Canada, sous la gouverne du gouvernement de Paul Martin, dans sa politique étrangère revisitée en 2005, s’est engagé dans cette voie sans rencontrer une véritable opposition à l’intérieur du pays. L’unanimité silencieuse a prévalu dans toutes les régions. Bien au contraire, les débats ont surtout porté sur la répartition régionale des retombées économiques de ces dépenses et sur les aspects plutôt techniques concernant le choix des types d’équipement propres à répondre aux besoins spécifiques de l’armée.

Le Canada est entré dans un processus de réarmement qui nous fait croire que le pays est désormais engagé dans une spirale belliqueuse trouvant, du moins officiellement, ses fondements dans la nécessité d’assurer la défense de l’Amérique du Nord et dans la logique d’augmenter son influence dans le monde. En 2002, il s’est engagé dans une guerre d’invasion sans trop savoir pourquoi, c’est-à-dire, en étant de facto contraint par les Étatsuniens de répondre à leurs attentes comme l’exprimait avec satisfaction l’ex-ambassadeur des USA au Canada, Paul Celucci en avril 2005 : «Washington était encouragé de constater ce qu’il a qualifié «d’augmentation substantielle» des dépenses militaires. «C’est ce que nous avions respectueusement suggéré… Les Forces canadiennes sont très bien et il est important qu’elles disposent des ressources dont elles ont besoin pour poursuivre leur travail en Amérique du Nord et partout dans le monde» : (argent.canoe).

Cet article a pour objectif de dresser un bilan des dépenses militaires du Canada en 2007, de relever les éléments, les motifs ou les justificatifs qui ont été invoqués par le gouvernement canadien pour effectuer ces dépenses et d’en analyser les conséquences sur l’image du pays et sur la société. Il pose aussi un regard sur les mouvements de résistance populaire contre ce processus de militarisation du pays. Le Canada serait-il en déroute, se serait-il engagé sur la voie de l’insécurité voire même de l’absurdité? Son comportement ne peut que nous laisser perplexe et même inquiet pour l’avenir du pays quand on se rappelle le rôle déterminant qu’il a joué, dans les années 1990, dans la négociation et le processus de ratification de la Convention d’Ottawa et quand on connaît les traditions et pratiques dans les domaines du maintien de la paix et de la reconstruction à la suite d’un conflit armé (Jasmin, P., 2007). 

I. Le processus de réarmement du pays

Nous avons très succinctement présenté, en mai dernier, la situation qui s’annonçait alors dans ce domaine si important de la sécurité dans un article intitulé : «Réarmer le Canada aux dépens du développement humain » et nous écrivions en conclusion : « En cette première partie du XXIième siècle, au lieu de lutter contre la pauvreté le Canada a opté pour la guerre contre la terreur. Ce choix constitue, pour les citoyens et citoyennes du pays, un mirage, soit celui de faire miroiter à leurs yeux qu’ils seront ainsi davantage en sécurité. Les nombreuses opérations militaires des Étatsuniens et leur omniprésence à l’étranger n’ont pas été des facteurs de nature à les rassurer. Ils continuent de croire que la conquête et l’occupation armées d’un pays permettront de faire la paix et de protéger leurs propres intérêts » (mondialisation.ca) . En serait-il autrement pour le Canada?

II. Le budget de la Défense 2007 ou la danse des milliards

Sous le gouvernement Martin Ottawa s’était engagé, dans le budget fédéral 2005, «à augmenter le budget de la Défense de 12,8 milliards de dollars entre 2006 et 2011 et ce pour faire l’acquisition d’hélicoptères et pour construire une nouvelle base pour les forces spéciales canadiennes». Il s’engageait aussi à entreprendre d’importants investissements lors de l’entrée en vigueur de sa politique de la défense. Les dépenses militaires atteindraient alors 20 G$ par année vers 2009-2010 si le gouvernement de Paul Martin demeurait au pouvoir jusque-là : «Nous vivons dans un monde où l’incertitude va grandissante, les Canadiens savent que nous devons faire notre part, a déclaré le ministre des Finances Ralph Goodale. Notre responsabilité consiste à faire en sorte que (…) nos capacités correspondent aux nouvelles demandes d’une nouvelle ère. Les contours de notre rôle sont en évolution. » (argent.canoe). 

Ces engagements quinquennaux incluaient :

– 3 G$ pour recruter, entraîner et intégrer 5000 nouveaux soldats à temps plein ainsi que 3000 réservistes. Seulement 80 M$ de ce financement sera rendu disponible dans le budget 2005;

– 3,2 G$ pour améliorer les services médicaux spécialisés destinés aux soldats qui rentrent au pays; pour répondre à d’importants retards dans les approvisionnements et les réparations; et pour réparer des infrastructures vieillissantes comme les pistes d’atterrissage et les jetées maritimes;

– 2,7 G$ pour des hélicoptères de transport de troupes, des camions logistiques, des avions légers polyvalents, ainsi qu’une nouvelle base ou l’agrandissement de la base actuelle de la force opérationnelle mixte, dont les effectifs augmentent;

– 8G$ investis à partir de 2007-2008, pour des projets qui n’ont pas été annoncés mais qui pourraient inclure un nouveau navire d’assaut amphibie ainsi que l’augmentation des capacités d’interventions d’urgence, comme celles qui seraient effectuées par l’Equipe d’intervention en cas de catastrophes (DART) (argent.canoe).

Sous Harper Ottawa passe de la parole aux actes 

Selon la teneur des communiqués officiels, le plan budgétaire fédéral de 2007  «a confirmé l’engagement du gouvernement à renforcer considérablement la sécurité des Canadiennes et des Canadiens au pays, à veiller à ce que le Canada exerce un leadership encore plus efficace dans les affaires mondiales et à améliorer le bien-être des membres de Forces canadiennes ». Le budget de 2007 a confirmé que la Défense recevrait les 3,1 milliards de dollars prévus sur 3 ans pour le plan de défense Le « Canada d’abord », annoncé dans le budget 2006 qui comprenait :

– 900 millions de dollars pour 2007-2008, dont 175 millions de dollars ont été avancés pour accélérer la mise en œuvre du plan, un milliard pour 2008-2009 et 1,2 milliard pour 2009-2010;

– 60 millions par année pour harmoniser les indemnités opérationnelles versées aux soldats des unités de campagne de l’Armée de terre afin qu’elles concordent avec celles que reçoivent les membres de la Marine et de la Force aérienne (forces.gc.ca/). 

L’acquisition d’une série d’équipements militaires

Entre le 2 février et le 11 août un total de 22 communiqués annoncent l’acquisition de nouveaux équipements militaires pour l’armée (mdna.ca):

–           Des avions de transport stratégique et tactique;

–           Des hélicoptères de transport moyen à lourd;

–           Des camions logistiques;

–           Des navires de soutien interarmées;

–           Des chars;

–           Des véhicules blindés;

–           La modernisation de la classe Halifax (MCH) ainsi que la prolongation de la vie de l’équipement des frégates (FELEX);

–           Des navires de patrouille extracôtiers pour l’Arctique.

Voici, pour illustrer nos propos, quelques exemples de ces acquisitions.

Des chars Léopard C-2

Le 12 avril, Ottawa annonce l’achat de 100 chars Léopard 2 (figure 1) au coût de 650 millions de dollars afin de renouveler sa flotte vieillissante de blindés, inadaptés pour l’Afghanistan. Il s’agit de blindés déjà en service aux Pays-Bas qui devraient être livrés cet automne. Entre-temps, le MDN empruntera à l’Allemagne 20 chars Léopard 2 qui entreront en service en Afghanistan dès l’été (Radio-Canada.ca).

 

Figure 1. Un char Léopard C-2

Le char Leopard C2 de l’armée possède une formidable puissance de feu! Il est armé d’un canon de 105 mm relié à un système de conduite de tir informatisé, à un système de vision nocturne thermique et à un télémètre laser. Le moteur de 830 Ch du Leopard et la capacité de ce char à se déplacer sur presque n’importe quel terrain en font le véhicule tout-terrain dernier cri!

 Source : http://www.army.forces.gc.ca/lf/francais/2_display.asp?FlashEnabled=1&product=55

Des hélicoptères Chinook

Le 26 juin, un communiqué annonçait le projet d’acquisition de 16 hélicoptères de transport moyen à lourd (figure 2) pour une somme estimée à 4,7 milliards de dollars : « Cette acquisition permettra au gouvernement du Canada de respecter son engagement d’augmenter la puissance de nos forces armées, et elle nous redonnera une capacité essentielle dont nos aviateurs et nos soldats sont privés depuis plus d’une décennie » (forces.gc.ca).

Figure 2. Hélicoptère Chinook

 Source : http://www.oniros.fr/Chinook.jpeg

Des aéronefs de transport stratégique C-17 Globemaster III

Le MDN annonçait, dans un communiqué émis le 11 août, la livraison du premier avion de transport aérien stratégique C-17 Globemaster III (figure 3) (mdn.ca).

Par la même occasion, il faisait l’annonce qu’ « un contrat a été accordé à l’entrepreneur retenu pour le projet de transport aérien stratégique en vue de la livraison de quatre aéronefs stratégiques qui satisfont à toutes les exigences en matière de capacités obligatoires des Forces canadiennes ».

Il  possède les capacités propres à l’utiliser  dans des opérations de secours humanitaires par l’entremise de l’Équipe d’intervention en cas de catastrophe des Forces canadiennes, pour le transport de secours dans une situation de crise au Canada, comme les inondations, les tempêtes de verglas ou les incendies de forêt et pour le transport en Afghanistan de deux (sic) véhicules blindés légers, prêts au combat.

Figure 3. L’aéronef de transport stratégique C-17

 

Source : http://www.conservative.ca/media/20070813-subpage-c17.jpg

Voici les capacités du C-17 Globemaster III :

Son rayon d’action et sa charge utile maximale est d’environ 76 657 kilogrammes sur 2 400 milles nautique, soit un rayon d’action suffisant pour appuyer les opérations qui se déroulent à l’échelle nationale et sur la scène internationale.

Il peut être utilisé pour des opérations dans des endroits reculés du globe – L’aéronef peut décoller de pistes courtes, sans revêtement (sur 2 359,15 mètres avec la charge utile maximale), y atterrir et y larguer du personnel ou de l’équipement, assurant ainsi la souplesse nécessaire pour soutenir les opérations des Forces canadiennes au Canada et sur des théâtres potentiellement hostiles à l’étranger.

Son espace de chargement fait environ 27 mètres de long sur 5 de large et 4 de haut, soit un espace adéquat pour transporter l’équipement sur roues et le matériel sur palettes normalisées de l’OTAN, l’équipement sur roues dans une configuration prête au combat et les hélicoptères de transport tactique des Forces canadiennes. L’aéronef permet également de charger et de décharger des marchandises sur palettes dans des endroits austères, sans équipement spécialisé. L’aéronef a été certifié à la date d’octroi du contrat selon les normes de certification des aéronefs reconnues par le Canada.

Une flotte de quatre aéronefs est suffisante pour fournir l’aérotransport et l’entretien stratégiques voulus et pour offrir la souplesse opérationnelle permettant de mener à bien des tâches multiples à l’appui de déploiements sur la scène nationale et internationale. Il s’agit du premier aéronef à être livré. Le deuxième devrait l’être à l’automne et les deux derniers, au printemps 2008 (mdn.ca). Ces quatre aéronefs coûteront plus de 8 G$ y compris les dépenses liées au soutien.

Des navires de patrouille armés pour l’Arctique

En juillet, on annonce que des navires de type Polar 5 seront acquis par le DDN pour patrouiller dans l’océan arctique dans le but de défendre la souveraineté du Canada dans cette région (figure 4). Ces navires coûteront environ 3.1 G$ et au total 7.4 G$ si on inclut les coûts de leur entretien et de leurs opérations pour une période de 25 ans (mondialisation.ca). Ces navires patrouilleront le Passage du Nord-Ouest au cours de la période au cours de laquelle la présence navale canadienne sera nécessaire. Ils seront blindés et renforcés pour être en mesure de naviguer à travers des glaces d’un mètre d’épaisseur. (cbc.ca).

Figue 4. Navire de type Polar

Source : http://www.ifremer.fr/com/dossier-presse/05-04-04-logachev.htm

Les navires de type Polar 5  sont caractérisés par les éléments suivants :

– Longueur hors tout : 104,5 m

– Hauteur du pont : 10,2 m

– Tirant d’eau en charge : 5,8 m  

– Déplacement maximal : 5620 t

– Puissance du moteur : 2 x 3500 h.p.

– Truster : 2 x 680 h.p.

– Vitesse maximale : 14,5 nœuds

Somme toute, selon le lieutenant colonel à la retraite Michael Drapeau, « there has been no other time since then (World War II) that we have such a concentrated way in a new generation o weapons, a new generation of equipment »(« on n’a jamais assisté depuis cette époque  (la Seconde Guerre Mondiale) à un tel déploiement de nouvelles générations d’armements et d’équipements ».)  (ctv.ca).

III. Les conséquences sociales du réarmement du pays

Le processus de réarmement du Canada exerce des conséquences considérables sur la société canadienne. Celle-ci devient de plus une copie fidèle de celle de l’Oncle Sam, une société dominée par les règles implacables du marché capitaliste trans-nationalisé dont les effets se font sentir dans toutes les sphères de l’activité sociale et humaine. Ce processus mine les valeurs universelles promues dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de même que celles que les mouvements sociaux tentent de sauvegarder, soit celles de la coopération, de la solidarité, de l’entraide et de la justice sociale. La militarisation se développe aux dépens de la santé, de l’éducation et des programmes sociaux. Elle a comme incidence de diviser la société entre les tenants du militarisme et ceux qui défendent et protègent les droits humains et les libertés fondamentales. Elle exerce un effet pernicieux sur le système démocratique global du pays en assujettissant encore davantage le politique aux exigences des entreprises multinationales et des mieux nantis.

Une image transfigurée du Canada

Les orientations de la nouvelle politique étrangère du Canada correspondent aux visées des Étatsuniens pour l’Amérique du Nord : Offrir le pays et ses ressources stratégiques aux États-Unis et les intégrer encore davantage à leur économie (Chossudosky, M., 2007). Dans le but de favoriser ce processus il est primordial de doter le Canada d’un système de défense efficace qui va assurer la sécurité des réservoirs de ressources. Le rôle du Canada restera fondamentalement le même : fournir des matières premières indispensables et assurer surtout l’approvisionnement énergétique nécessaire aux industries nord-américaines. Le nouveau Canada, cependant, sous la gouverne du gouvernement Harper, a dû ignorer, pour ce faire, les valeurs qui en ont façonné le visage politique au cours des dernières décennies. Le ‹nouveau› Canada n’est plus pacifique ou pacificateur, mais il est entré dans le concert des puissances dominatrices qui veulent s’emparer et contrôler, par la violence armée, les ressources planétaires. Le tout s’est fait lentement, en sourdine, et les citoyens de ce pays se retrouvent maintenant devant des faits accomplis, devant une situation intolérable. Ils doivent consentir à réarmer le pays au détriment du développement humain (mondialisation.ca).

Le Canada appartiendra d’emblée au cortège des grands producteurs d’armements dans le monde

Les dépenses militaires mondiales ont été en hausse constante au cours de la dernière décennie pour dépasser le chiffre astronomique de 1 200 milliards de dollars en 2006. Celles du Canada ont été passablement stables au cours des années 1990, mais ont commencé à augmenter lorsque le pays s’est engagé, en 2002, dans la guerre contre le terrorisme en participant directement à l’invasion armée de l’Afghanistan (Voir les dépenses militaires au Canada (en dollars)  sur le site du SIPRI.: http://first.sipri.org/non_first/milex.php ). Ces dépenses ont été effectuées en partie dans le pays en faisant fonctionner à plein régime les principales industries de guerre. Le réarmement s’est avéré, dans les faits, une réponse aux sollicitations répétées de cette industrie (mondialisation.ca ). En 2006, selon le SIPRI, le Canada se classait au 13ième rang parmi les pays présentant les dépenses militaires les plus élevées dans le monde avec un total de 13.5 G$ et de 16.7 G$ selon sa base de données.  Ces dépenses ont été effectuées en partie dans le pays en faisant fonctionner à plein régime les principales industries de guerre. Le réarmement s’est avéré, dans les faits, une réponse aux sollicitations répétées de cette industrie (mondialisation.ca). 

En 2007, selon le Centre canadien de politiques alternatives, les dépenses militaires du Canada ont atteint la somme de 18.2 G$ correspondant à une augmentation de 9% par rapport à 2006-2007. Il est ainsi passé du 16ième au 13ième rang parmi les pays ayant le plus important budget militaire et du 7ième au 6ième rang parmi les pays de l’OTAN (policyalternatives.ca).  

Les exportations d’armements à la hausse

Selon E. Regehr, il est difficile d’avoir une idée juste de l’importance des exportations d’armements effectuées par le Canada, parce que les rapports officiels ne contiennent pas toute l’information pertinente et, notamment, ceux du Canada Border Services. Les données rendues disponibles font état de la production et de l’exportation de quelques équipements tels que des chars et des véhicules blindés fabriqués au pays, des munitions ainsi que des armes à feu et leurs composantes. Nous savons, cependant, que le Canada produit, pour l’exportation, un large éventail de produits, électroniques et de communication ainsi que d’autres équipements militaires.

Radio-Canada rapporte qu’entre 2000 et 2006 les exportations canadiennes ont triplé pour atteindre la somme totale de 3.6 G$. Cependant, cette hausse ne s’applique qu’à une catégorie d’exportations et ce total ne concerne que le quart de toutes les exportations. Il en est de même pour les deux milliards de dollars rapportées de ventes d’armements aux USA pendant la même période.

La base de données de l’industrie de la défense de Project Ploughshares estime que les ventes aux États-Unis sont de l’ordre de deux G$ par année, ce qui signifie un total de près de 14 G$ pour la période 2000-2006. Les exportations vers les clients autres que les Américains sont estimées se situer entre 500 et 700 millions de dollars par année avec un autre milliard ou plus destinés aux USA (igloo.org).  

Une érosion des droits et des libertés fondamentales

Sur le plan des droits de la personne, le Canada s’engage peu à peu sur la voie tracée par Washington. En effet, il a promulgué une vingtaine de lois antiterroristes; a procédé à la constitution d’une liste d’interdits de vols, a refusé de co-parrainer une résolution de la commission des droits de l’homme de l’ONU demandant l’instauration d’un moratoire sur la peine de mort, il envisage la déportation des objecteurs de conscience américains et entend de pas intercéder en faveur des citoyens canadiens s’ils sont condamnés à mort à l’issue d’un procès équitable dans un pays démocratique sans oublier la position qu’il a tenue à la Conférence de Bali en décembre dernier dans le cadre du renouvellement de l’entente de Kyoto (ledevoir).

IV. La riposte est-elle possible?

De façon générale, on peut constater qu’une certaine torpeur a envahi l’opinion publique canadienne. Ces dépenses ne font pas l’unanimité, mais elles sont admises comme étant inévitables étant donné l’état «lamentable» des Forces canadiennes qualifié comme tel par les stratèges de Washington et leurs «subordonnés» canadiens. Cinq facteurs favorisent le maintien de cette perception : 1) Les pressions exercées par les Étatsuniens ; 2) La complicité des medias qui ne cessent de chanter la bravoure et le courage de «nos» soldats en ‹mission› dans la province de Kandahar en Afghanistan; 3) La propagande du MDN qui s’active dans tous les secteurs économiques et sociaux (y compris dans les écoles et les universités); 4) L’absence d’un véritable débat à la Chambre des Communes et 5) Les pressions exercées par les industries de guerre et, en particulier, par l’Association canadienne des industries de défense et de sécurité (AICDS) qui organise à chaque année CANSEC, une foire des équipements et des produits militaires (defenceandsecurity.ca).

Les complices de cette imposture s’entendent sur une stratégie bien orchestrée visant à contrer le discours anti-guerre et selon les propos des représentants de l’armée canadienne à ‹démystifier› la présence canadienne en Asie centrale. Le gouvernement Harper ne cesse de répéter qu’il ne fait que remplir ses engagements et fait la sourde oreille aux critiques des partis d’opposition qui s’indignent et formulent certaines restrictions non pas sur lla nature du réarmement, mais sur son ampleur : «The Convervative government is bying enough hardware to support a military much larger than the current force of 64,000» (ctv.ca).

La résistance à ce processus est venue principalement de l’Alliance canadienne pour la Paix et du Collectif Échec à la guerre. Des campagnes de sensibilisation du public, des manifestations dans les rues et des actions de protestation telles que celle visant à perturber le premier discours officiel du nouveau ministre des Affaires étrangères, Maxime Bernier, le 19 septembre dernier, dans le cadre d’un colloque international sur la mission du Canada en Afghanistan organisé par le Centre d’études et de recherches internationales de l’Université de Montréal (CÉRIUM) (ledevoir).

Il importe de souligner. Ici,  le travail remarquable du Collectif Échec à la guerre qui publiait, en février, une brochure d’information fort étoffée sur la participation du Canada à la guerre d’occupation en Afghanistan en répondant ainsi à une série de 18 questions sur la légitimité de cette guerre au regard du droit international, sur ses conséquences cinq ans après le début des hostilités ainsi que sur les prétextes ou motivations réels qui sont invoqués pour la justifier. Le Collectif lançait, en même temps, un appel pour le retrait immédiat des troupes canadiennes de l’Asie centrale (aqoci.qc) . De plus, en septembre, le Collectif a également dénoncé avec véhémence la couverture des événements proposée par la télévision de Radio-Canada et a demandé à l’Ombudsman des services français de R.-C. «d’investiguer et de donner l’heure juste sur la couverture profondément biaisée de la guerre en Afghanistan (des mois juillet et août)» (lautjournal.info). Enfin, le 27 octobre le Collectif se joignait à une journée d’action pan-canadienne contre la guerre et le retrait des troupes canadiennes de l’Afghanistan (mondialisation.ca).

En août, le Centre de ressources sur la non-violence (CRNV) lançait une campagne d’opposition à travers le Québec au recrutement militaire dans les établissements d’enseignement en collaboration avec des associations étudiantes collégiales (nonviolence.ca).

Conclusion

Des dizaines de milliards de dollars sont désormais engagés dans le processus de réarmement du Canada et ce pour de nombreuses années et l’année 2007 en marquera le point de départ. Des décisions sont prises par un gouvernement minoritaire qui mobilise l’ensemble des ressources du pays sans rencontrer une véritable opposition. Des dépenses qui trouvent une certaine légitimité dans un programme de propagande gouvernementale bien appuyé par les medias.

Il y a lieu de nous demander ce qui se passe dans notre société. S’est-elle à ce point transformée pour se confondre à celle des États-Unis? Il est bien difficile de penser qu’une telle métamorphose ait pu s’opérer en profondeur et il est permis d’espérer que le bon sens de la paix sans armes devrait un jour triompher.

Le mouvement pacifiste canadien lance une campagne nationale contre ce processus. En effet, le 9 février prochain se tiendront des audiences publiques à Montréal sur le retrait des troupes canadiennes de l’Afghanistan. Selon les propos du Collectif Échec à la guerre : «Si nous voulons en finir avec la guerre et le militarisme, avec les atrocités, la destruction, la dévastation et le gaspillage qui en résultent, il est donc impérieux que les citoyenNEs et les organismes de la société civile expriment haut et fort leur volonté à cet égard et fassent cesser les tergiversations politiciennes.  Alors qu’il y aura vraisemblablement déclenchement d’élections fédérales assez tôt en 2008, nous devons faire en sorte que le retrait des troupes canadiennes en soit un enjeu majeur» (Collectif Échec à la guerre, 2008).        

Références

CHOSSUDOVSKY, M. 2007. La souveraineté du Canada menacée: la militarisation de l’Amérique du Nord. Montréal, Centre de recherche sur la mondialisation. Le 10 septembre 2007.

Adresse Internet :

http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=6736

COLLECTIF ÉCHEC À LA GUERRE. 2007. Le Canada dans la guerre d’occupation en Afghanistan. Montréal, février 2007. 44 pages.

DUFOUR, Jules. 2006. Vers une militarisation croissante du Canada. Saguenay. Association canadienne pour les Nations Unies (ACNU) – Section Saguenay-Lac-Saint-Jean. Centre de recherche sur la mondialisation. Le 2 octobre 2006. Adresse Internet : http://mondialisation.ca/index.php?context=viewArticle&code=DUF20061002&articleId=3368 .

DUFOUR, Jules. 2007. Participer à la guerre d’occupation en Afghanistan est une bonne affaire pour les industries de l’aérospatiale et de la défense. Saguenay, Association canadienne pour les Nations Unies (ACNU). Centre de recherche sur la mondialisation. Le 10 avril 2007.

Adresse Internet : http://www.mondialisation.ca/index.php?context=viewArticle&code=DUF20070410&articleId=5340

DUFOUR, Jules. 2007. Réarmer le Canada aux dépends du développement humain. Pauvreté au Canada et priorité à la défense nationale. Centre de recherche sur la mondialisation, Montréal, le 17 mai 2007

Adresse Internet :

http://www.mondialisation.ca/index.php?context=viewArticle&code=DUF20070517&articleId=5675

DUFOUR, Jules. 2007. Canada : Interdits de vols. La constitution d’une liste officielle de «bons» et de »méchants».. Centre de recherche sur la mondialisation, Montréal, le 19 juin 2007

Adresse Internet : http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=6029

DUFOUR, Jules. 2007. L’Arctique, un espace convoité : la militarisation du Nord canadien. Géopolitique et militarisation du grand Nord canadien (Première partie). Montréal, Centre de recherche sur la mondialisation. Le 26 juillet 2007.

Adresse Internet : http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=6404

JASMIN, P. 2007. Aux armes, Canadiens! Montréal, Centre de recherche sur la mondialisation, le 16 novembre 2007.

Adresse Internet : http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=7340

Project Ploughshares. Canadian Military Production and Exports: Documents.

STAPLES, S. et B. Robinson. 2007. More than the cold war. Canada’s military spending 2007-08. Foreign Policy Series, Vol. 2, Number 3, Octobre 2007.

Sites Internet

L’Alliance canadienne pour la paix : http://www.acp-cpa.ca/fr/index.html

Bilan de l’année à Ottawa – Beaucoup de rebondissements, mais peu de changements : http://www.ledevoir.com/2007/12/29/170250.html

Bulletin Le Canada d’abord

Mot du ministre de la Défense nationale :

http://www.forces.gc.ca/site/Minister/newsletter/2007-04/index_f.asp

CANADIAN AMERICAN  STRATEGIC REVIEW : http://www.sfu.ca/casr/

CANADIAN CENTRE FOR POLICY ALTERNATIVES :

http://thefilter.ca/articles/canada/canadas-military-spending-exceeds-cold-war-peak/

Canada’s defence spending has hit its highest level since the Second World War. Based on NATO’s figures, Canada, with its defence budget now slightly more than $18 billion a year, is the sixth highest military spender in the alliance, concludes a new :

http://www.canadaka.net/news/26336-Canada_6th_in_military_spending

Canada’s Military Spending Exceeds Cold War Peak

October 27th, 2007

Canada 6th in military spending Category Hits Poster Date

Military 214 Hyack  2007-10-22 07:48:51

Canada’s Military / Canadian Forces in the 21st century

July 10, 2006

Canadian Association of Defence and Security Industries – CANSEC :

http://www.defenceandsecurity.ca/cansec2007/

Centre des Media alternatifs du Québec :

BLOQUEZ LA PLUS GRANDE FOIRE D’ARMEMENTS AU CANADA

La Rixe, Dimanche, Avril 6, 2003 – 14:56 (Communiqués | Repression) :

http://www.cmaq.net/fr/node.php?id=11330

CBC News : http://www.cbc.ca/news/background/cdnmilitary/

Collectif Échec à la guerre. Plainte contre Radio-Canada: http://www.lautjournal.info/default.aspx?page=3&NewsId=225

Journée d’action pan-canadienne contre la guerre : samedi le 27 octobre 2007

par Échec à la guerre

Mondialisation.ca, Le 2 octobre 2007

Collectif Échec à la guerre : http://www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=6957

More Than the Cold War

Canada’s military spending 2007-08 :

http://www.policyalternatives.ca/Reports/2007/10/MoreThanTheColdWar/index.cfm?pa=BB736455

Opposition questions PM on military spending spree

Updated Sat. Jul. 21 2007 10:14 PM ET

CTV.ca News Staff : http://www.ctv.ca/servlet/ArticleNews/story/CTVNews/20070721/military_spending_070721?s_name=&no_ads=

Ottawa buying up to 8 Arctic patrol ships

Last Updated: Monday, July 9, 2007 | 2:52 PM ET

CBC News :

http://www.cbc.ca/canada/story/2007/07/09/arctic-cda.html

SIPRI. 2007. Recent trends in military expenditure

http://www.sipri.org/contents/milap/milex/mex_trends.html

Peine de mort: Le Canada ne réclame pas de moratoire:

http://www.cyberpresse.ca/article/20071106/CPACTUALITES/71106165/1019/CPACTUALITES

The boom in Canadian military exports  By Ernie Regehr Oct31, 2007 :

http://www.igloo.org/disarmingconflict/theboomi

The 15 major spender countries in 2006 :

http://www.sipri.org/contents/milap/milex/mex_major_spenders.pdf

The SIPRI Military Expenditure Database / Canada :

http://first.sipri.org/non_first/milex.php

World and regional military expenditure estimates

1988 – 2006 :

http://www.sipri.org/contents/milap/milex/mex_wnr_table.html

World military expenditure, 1988-2006 :

http://www.sipri.org/contents/milap/milex/mex_world_graph.html

  
Jules Dufour, Ph.D., est Professeur émérite à l’Université du Québec à Chicoutimi, Président de l’Association canadienne pour les Nations Unies (ACNU) /Section Saguenay-Lac-Saint-Jean,  Membre du cercle universel des Ambassadeurs de la Paix, Membre chevalier de l’Ordre national du Québec. Président du comité de coordination du Parc marin du Saguenay-Saint-Laurent et membre de la Commission des Aires protégées de l’Union mondiale de la nature (UICN).

Avis de non-responsabilité: Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.