Canada-États-Unis – Le décret de protection des entreprises pétrolières
Le Ministre chargé des Affaires du Nord, M. Vandal, porte un nom bien suggestif. Au Canada, on annonce que le moratoire lié aux activités extracôtières, dans l’Arctique, est reconduit. On y maintiendra l’interdiction de procéder à des forages pétroliers et gaziers. Il faut lire l’entente relative à cette décision, pour s’apercevoir que ce n’est qu’une digression, pour calmer les groupes voulant protéger des sites fragiles. ¹
Selon les lois fédérales canadiennes, on accorde un permis d’exploitation aux entreprises pour une durée de neuf ans. Si aucune activité n’est effectuée au cours de cette période, le permis est annulé et offert à une autre compagnie. Comme un permis n’est pas renouvelable et que les dirigeants canadiens et états-uniens font face à des opposants qui, eux, désirent réellement protéger l’Arctique, ils se montrent prudents… car ils se sont aussi engagés à réduire les émissions de gaz à effets de serre.
Donald Trump, durant sa présidence, n’a pas hésité à devancer la vente de permis d’exploitation, afin qu’on procède à plus de forages en Alaska. En particulier, dans le Refuge National de la Faune Arctique… La vente des permis devait débuter deux semaines avant l’inauguration du gouvernement de Joseph Biden! Cela aurait permis aux entreprises pétrolières de s’activer dans une portion de 6,500 km² de cette réserve, supposément protégée. Déjà, on avait proposé de vendre une superficie de 4,553 km² du Refuge à des entreprises, la réserve atteignant un peu plus de 77,000 km². Comme si une zone pouvait être délimitée et ne présenter aucun risque, pour les écosystèmes, les cours d’eau et l’atmosphère en constante interaction.
Des membres du Congrès, représentants l’Alaska, sollicitent le président actuel d’approuver l’exploitation pétrolière. On fait miroiter des emplois et le renforcement de l’économie. Et pendant ce temps, on reproche au Président du Mexique, Lopez Obrador, de « retarder la transition énergétique ». ²
Ce qu’il faut comprendre, c’est que l’Arctique n’est pas protégé et que des activités de forages y sont déjà effectuées. Un juge avait mis sous cloche le projet « Willow » de l’entreprise états-unienne ConocoPhillips, en 2021. Entre temps, le Bureau de gestion du territoire publiait une analyse, proposant une alternative au plan initial. L’on permettrait l’exploitation de trois sites de forage plutôt que cinq, avec la possibilité d’en accorder un quatrième… Ce qui correspondrait à un minimum de 219 puits et la production de 576 millions de barils de pétrole, sur une durée de trente ans. Par la même occasion, on produirait 9,2 millions de tonnes de dioxyde de carbone par an! Bien sûr, l’entreprise pétrolière se montra séduite par cette proposition, quitte à souiller une zone naturelle. ³
Avec Trump, les citoyens savaient à quoi ils pouvaient s’attendre. Avec Joseph Biden qui n’ouvre ni ne ferme le robinet du nord, on assiste à une « trumperie » d’un genre visqueux. Des instances tels que US Fish and Wildlife, le Fonds Mondial pour la Nature et des groupes autochtones, demandent au gouvernement de faire respecter définitivement le statut de Refuge protégé, sans possibilité de le dénaturer au profit d’exploitants d’énergies polluantes. Le Refuge est serti entre les sommets montagneux de la chaîne de Brook et la mer de Beaufort. Près de 200 espèces y vivent, dont les ours polaires et des caribous qui y élèvent leurs petits. L’Arctique n’est pas une région si pauvre en formes de vie. En voici quelques exemples.
La flore : renoncule glaciaire, mousse, saxifrage, épilobe, dryade, silène acaule, saule, airelle, camarine, myrtille ou bleuet, parmi plus de 400 espèces végétales.
Les mammifères : bœuf musqué, élan, renard arctique, lynx, loup, lièvre, lemming.
La faune aquatique: morse, otarie, phoque, cétacés telle la baleine franche, calmar, krill, plancton, saumon, truite, omble.
Les oiseaux : oies, canards, pluvier, phalarope, chevalier, sterne arctique, lagopède, bruant et harfang des neiges…
Les arthropodes : papillons et mouches, sans lesquels la flore ne serait pas pollinisée et les poissons alimentés.
Les nominations trompeuses
La sauvegarde de la flore et de la faune menacées est essentielle, ainsi que les projets scientifiques, mais le fait d’installer des bâtiments liés à des universités, des groupes de chercheurs ou des organismes philanthropiques comme l’UNESCO, ne devrait en aucun cas mener à une forme « légale » de privatisation de zones. Il semble que ces jolies nominations, supposément internationales, servent parfois à jeter de la poudre aux yeux des marcheurs qui ne peuvent plus y circuler librement. Sur environ 170 sites classés au « patrimoine mondial », 70 sont menacés de pollution ou n’ont qu’une superficie protégée et le reste exposée aux forages, à l’exploitation de mines ou de forêts. ⁴
L’Australie à elle seule est un exemple flagrant de privatisation de lieux désignés « patrimoine de l’humanité ». On commence tout juste à se préoccuper des grands espaces, à la faune et flore extravagantes, aux espèces endémiques exceptionnelles comme les marsupiaux, très rares sur d’autres continents, et les monotrèmes, uniques à l’Océanie, que sont l’ornithorynque et l’échidné : des mammifères qui pondent des œufs et allaitent leurs petits.
► On arrose la forêt primaire de Tasmanie, une île au sud de Melbourne, de napalm, le défoliant qui fit ses premières victimes durant la guerre du Viêt-Nam. ⁵
► L’entreprise BP se disait prête à forer, près de la grande barrière de corail du Queensland, au Nord-Est de l’Australie, dès 2016. N’oublions pas que BP fut responsable, en 2010, du déversement de plus de 800 litres de pétrole, dans le golfe du Mexique. Dans cette province, la partie Est de la Cordillère est couverte d’une forêt pluviale tropicale, contrebalançant l’aridité des plaines. Il y fleurit des orchidées. Des espèces en péril y vivent. ⁶
► On extrait de l’uranium dans le parc national de Kakadu. Les années suivant son ouverture, en 1980, on en extrayait 4000 tonnes par an. En l’an 2000, la mine Ranger subit une fuite de concentré d’uranium. Ce parc est situé près de la ville de Darwin, au nord de l’île, entre le Golfe de van Diemen et le Golfe de Carpentarie. On y a découvert des grottes abritant des peintures rupestres si anciennes qu’on peine à les dater. ⁷
► Dans les années 2000, se profilait un projet de développement immobilier, au parc de Daintree, avec vue sur la forêt considérée la plus vieille au monde. ⁸
Les aborigènes s’y opposent judicieusement, lorsque ces activités touchent leur territoire. Les responsables de parcs nationaux les tolèrent. Et l’UNESCO, qui a désigné ces sites au « patrimoine mondial », ne s’y objecte pas toujours.
C’est une réalité. Statuer un refuge, une aire protégée ou une réserve naturelle, ne sert parfois qu’à empêcher les gens qui bénéficiaient librement du lieu d’y accéder. Une superficie est protégée, une autre offerte aux exploitants.
Les objectifs environnementaux ne seront pas atteints
Le programme des Nations-Unies pour l’environnement, et autres centres de recherche, stipule qu’il faut abaisser la production d’énergies fossiles d’une moyenne de 6 % par an (davantage pour le charbon, puis le pétrole et le gaz), si on veut limiter le réchauffement global à 1,5 degré Celsius, suite à l’Accord de Paris. Mais dans les faits, la production de ces carburants ne cesse d’augmenter, et pas uniquement dans les pays en développement. La question de l’Alaska et du Grand Nord est donc cruciale.
Le décret DORS/2022-274 met en pause le nombre de jours restants aux onze permis d’exploitation actifs, d’Imperial Oil, BP Canada, Chevron Canada, ConocoPhillips Canada et Franklin Petroleum, dans la baie de Beaufort. Non pas pour mettre fin à leur prospection et activités, mais leur permettre de conserver leurs droits, si le moratoire est levé. En effet, si les permis arrivaient à échéance avant une autorisation à exercer des forages, ils ne pourraient plus y participer…
Le décret DORS/2022-274, du15 décembre 2022 : un moratoire poisseux
Le début du texte nous rappelle que le Canada n’est pas une entité indépendante de l’Angleterre : « Attendu que Sa Majesté du chef du Canada, représentée par le ministre des Affaires du Nord, a le droit d’aliéner ou d’exploiter, à l’égard des terres domaniales, les ressources naturelles placées sous la responsabilité administrative du ministre »…
Le décret « permettra au gouvernement du Canada de partager les conclusions de l’examen scientifique du climat et du milieu marin, qui a été élaboré conjointement avec les gouvernements du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut, avec la Inuvialuit Regional Corporation, et avec la Nunavut Tunngavik Incorporated. Il permettra également au gouvernement du Canada de respecter son engagement à protéger les droits des détenteurs de permis pétroliers et gaziers dans les eaux arctiques du Canada pendant la durée du moratoire. » (Pour que l’on note bien la portée de ce décret, j’en souligne les phrases importantes)
« Bien que le moratoire suspende la délivrance de nouveaux permis pétroliers et gaziers dans la région extracôtière de l’Arctique — ce qui marque un changement dans la politique pétrolière et gazière dans le Nord —, il n’affecte pas les droits des titulaires de permis d’explorer ou de développer des ressources pétrolières et gazières en relation avec les 80 permis pétroliers et gaziers existants dans les zones extracôtières de l’ouest et de l’est de l’Arctique. » ¹
Et en résumé, le décret permet de :
♠ Maintenir la suspension de toutes les activités pétrolières et gazières dans les eaux arctiques du Canada pour la durée du processus d’examen;
♠ Veiller à ce que les permis d’exploration actifs soient protégés pendant la durée du moratoire;
♠ Répondre aux intérêts pétroliers et gaziers futurs au large de l’Arctique des gouvernements territoriaux, des dirigeants autochtones du Nord et de l’industrie;
♠ Répondre aux objectifs de développement économique du Cadre stratégique pour l’Arctique et le Nord. ¹
Cette entente fait suite à la Déclaration commune des dirigeants du Canada et des États-Unis sur l’Arctique, du 20 décembre 2016. Au niveau du Canada, il s’agit d’un engagement pris lors de l’Entente sur le transfert des responsabilités liées aux terres et aux ressources du Yukon, en 1993, et celui des Territoires du Nord-Ouest, en 2013. Selon M. Allen, l’attaché de presse du Ministre Vandal, c’est un modèle de coopération en matière d’énergie propre pour l’avenir…
L’Accord Tariuq, sur l’Arctique de l’ouest, permettrait à la Société régionale inuvialuit de participer aux projets de développement pétroliers et gaziers et de recevoir une part des bénéfices. Déjà, en 2022, une aide financière de 2,5 millions de dollars, sur cinq ans, fut attribuée à cette Société pour soutenir sa participation. Autrement dit, on attend d’endormir au gaz la population, en faisant croire que l’on met fin aux projets d’exploitation de carburants fossiles, dans une zone fragile, tout en garantissant aux entreprises de conserver leurs privilèges. Il suffit d’acheter l’approbation de quelques dirigeants inuits. Car en quoi a-t-on la nécessité de 2,5 millions de dollars, pour maintenir la participation d’un groupe, quand les compagnies ont déjà élaboré leurs plans et débuté leurs activités? Et que 80 permis de prospection et développement pétrolier continuent de souiller l’Arctique canadien? Les écoles secondaires n’abondent pas dans le Grand Nord. L’éducation devrait être privilégiée, plutôt que le miroitement de postes limités. Il faut minimalement des connaissances en géologie et hydrologie, pour travailler dans le domaine gazier et pétrolier. ⁹
Contrairement aux Inuits qui y vivent en permanence, les employés des entreprises pétrolières et gazières, eux, n’habitent ces régions que quelques années et jouissent d’assez bons salaires pour s’offrir des vacances hors des sites. Si les autochtones et les Inuits ne cessent de nous assurer qu’ils respectent la nature et pensent aux générations futures, même lorsqu’ils ne pratiquent plus le mode de vie de leurs ancêtres, c’est l’occasion idéale d’affirmer une conception de l’existence et du lien avec la nature, distinctes de celles des affairistes. Si ce n’est pas le cas, alors nous saurons que ce ne sont pas uniquement des milieux vulnérables que l’on dénature. À quand l’autonomie du Québec, des autochtones et des Inuits, préférant la vie aux profits destructeurs, face au Canada, à l’Angleterre et aux États-Unis?
Maryse Laurence Lewis
Notes /Références :
1.La Gazette du Canada, Partie II, volume 157, numéro 1
2. file:///C:/Users/Visiteur/Desktop/Le-traité-Canada-États-Unis-Mexique-enrayé-par-le-carburant.pdf
5. https://www.futura-sciences.com/planete/actualites/terre-deforestation-tasmanie-bombes-napalm-9917/
7.1 https://whc.unesco.org/fr/soc/2422/
8. Ludovic Hubler, Le monde en stop, Cinq années à l’école de la vie, p.246, Éditions Un monde différent, 2013.
9. https://www.ccpnimt-fnilmac.com/dl/5.pdf
Kelvin Aitken, Australie, une île aux antipodes, traduction par Nicole Brissaud, Éditions Minerva, Genève, 1995.
Le Nunavut est une région autonome fédérale canadienne, alors que le Nunavik est une zone semi-autonome du Québec.