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Catastrophe annoncée: la décision des Néoconservateurs de bombarder l’Iran
Par Ali Fathollah-Nejad
Mondialisation.ca, 12 avril 2007
12 avril 2007
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Le dogmatisme belliqueux des Néoconservateurs peut-il être stoppé par les réalistes de l’Empire?

À la mi-septembre 2006, CNN a invité Sam Gardiner, colonel à la retraite de l’aviation US et anciennement enseignant dans diverses écoles de guerre US, pour discuter de la probabilité d’une frappe militaire US contre l’Iran. Répondant à la question de savoir si l’administration Bush était sur le point de donner le feu vert pour une attaque contre l’Iran, Gardiner a déclaré sans ambiguïté : « Il a déjà été donné. De fait, nous sommes probablement en train d’exécuter des opérations militaires à l’intérieur de l’Iran depuis au moins 18 mois. Les preuves sont accablantes. » (souligné par moi, AFN). Il est alors promptement interrompu par son intervieweur, qui rappelle obséquieusement que le président avait souligné qu’il voulait faire  fonctionner la diplomatie pour convaincre le gouvernement iranien de cesser son programme d’enrichissement d’uranium. Citant Bush, dans une interview à David Ignatius du Washington Post de la veille –« Je voudrais dire au peuple iranien que nous ne désirons pas un conflit » – Wolf Blitzer, un visage familier de CNN, se tourne de nouveau vers Gardiner et répète sa question initiale. Presque désespérément le colonel répond avec force : « Nous conduisons des opérations militaires à l’intérieur de l’Iran en ce moment. Les preuves sont accablantes, à la fois de sources étatsuniennes et iraniennes, et du Congrès » (souligné par moi, AFN).

Cette affirmation catégorique venait de quelqu’un qui savait de quoi il parlait. En 2004 Gardiner a conduit un simulacre de guerre (wargame) organisé par le magasin Atlantic Monthly pour évaluer comment un président étatsunien pourrait répondre, militairement ou par d’autres moyens, à l’acquisition alléguée d’armes nucléaires par l’Iran, concluant que les frappes militaires seraient en fin de compte une réponse plutôt inadéquate. Néanmoins l’équipe de va-t-en-guerre de la Maison Blanche a continué sur sa ligne consistant à dire que toutes les options ayant été examinées, seule restait celle-ci (la guerre). Dans la même interview à CNN, Gardiner a expliqué qu’en dépit de l’inquiétude sérieuse exprimée par les chefs militaires quant à l’efficacité d’une attaque militaire US contre l’Iran, les responsables néoconservateurs  sont restés d’ardents défenseurs de l’objectif de changement de régime (en Iran) : « La Commission parlementaire sur les menaces émergentes a essayé d’avoir une audition il y a quelques semaines à laquelle ils ont demandé au département d’État et à celui de la Défense de venir répondre à cette question [des opérations militaires en voie de réalisation contre l’ Iran -l’auteur] parce que c’ est une question assez sérieuse pour qu’on y réponde sans approbation du Congrès, et ils ne sont pas venus à l’audition. » Il a souligné la gravité de la situation créée par le fait que les plans de guerre du Pentagone sont allés à la Maison Blanche, ce qui n’est pas « le planning normal. Quand le plan va à la Maison Blanche, cela veut dire que nous sommes passés à un autre stade. »

Le Front uni pour la guerre se rassemble

C’est à ce stade que nous nous trouvons depuis un an et demi. Avec des opérations militaires secrètes à l’intérieur de l’Iran en cours, les préparatifs de guerre en train d’être achevés avec d’énormes effectifs militaires se dirigeant dans le Golfe arabo-persique, le déclenchement d’une guerre totale n’a plus besoin que d’un assentiment du Président.  À la lumière de cela, la capture et la libération rapide par l’Iran des marins britanniques chargés de « recueillir du renseignement » dans et près de ses eaux territoriales a finalement évité l’escalade émanant d’un acte de provocation par des troupes anglo-étatsuniennes dans la région.

Un indicateur hautement significatif des probabilités de réalisation de ce que convoitent les néoconservateurs a été la conférence politique  annuelle de l’ American Israel Public Affairs Committee (AIPAC : Comité étatsunien des affaires publiques d’Israël). Considéré comme le lobby politique le plus influent des USA  et célèbre pour sa position anti-iranienne dure, l’AIPAC a accueilli nombre de responsables de haut rang US et israéliens à cette conférence, où les participants ont été les plus nombreux dans l’histoire de l’AIPAC et qui a été principalement consacrée à la question de « la menace nucléaire iranienne ».

Le vice-Président Cheney, accueilli par des ovations debout, a fait un discours de faucon par excellence: « Nous [les Étatsuniens et les Israéliens, AFN] sommes les cibles premières du mouvement de terreur qui est mondial par nature, et aussi  mondial dans ses ambitions. Le leader de ce mouvement parle ouvertement et explicitement de construire un empire totalitaire couvrant le Moyen-Orient, s’étendant à l’Europe et allant jusqu’aux îles de l’Indonésie. » Exposant inéquivocablement son engagement en faveur d’une action contre l’Iran, Cheney a réclamé « la clarté morale, le courage de nos convictions, une volonté d’agir quand l’action est nécessaire et un refus de jamais se soumettre à toute forme d’intimidation. » Il a conclu son discours par ces mots : « Nous sommes dans une guerre qui a été commencée aux conditions de l’ennemi. Nous sommes en train de mener cette guerre à nos propres conditions et nous gagnerons. » Ses déclarations, marquées par une vision très particulière de la réalité historique dont le monde est témoin aujourd’hui dans le Proche et Moyen-Orient, n’étaient pas étonnantes dans la mesure où il est réputé être le personnage clé parmi ceux qui dans l’administration poussent au « changement de régime » en Iran, mais n’en demeurent pas moins fortement perturbants.

C’est pourquoi il était, cependant, plus intéressant d’entendre le discours de Nancy Pelosi, la nouvelle speaker démocrate de Chambre des représentants – une amie de longue date de l’AIPAC, comme l’a présentée un ancien président d’AIPAC. Sa première déclaration à dimension politique a consisté en un rappel de « l’histoire d’un chef persan menaçant le peuple juif et de l’héroïne Esther qui eut le courage de parler et de les sauver. Aujourd’hui les Israéliens ont le même courage pour affronter le même défi. » Pelosi a poursuivi : « Soyons très clairs : on ne doit pas permettre à l’Iran d’obtenir une arme nucléaire. Cela menace la sécurité d’Israël, la stabilité de la région et la sécurité du monde », soulignant que « confronté à ce défi (…) quand Israël a un choix à faire, il fait le choix courageux de la paix. » À l’apogée de la rhétorique fondamentaliste qui a été écoutée par une foule souvent électrifiée, le pasteur évangélique John Hagee a proclamé que « le géant endormi du sionisme chrétien s’est réveillé! »

Bien qu’aucune exigence explicite de faire une guerre contre l’Iran n’ait été exprimée, les allusions à cette nécessité n’ont pas manqué. Mais le plan momentané de l’AIPAC semble être de poursuivre l’escalade dans l’impasse nucléaire avec l’Iran.

Selon son « mémo sur l’Iran », le groupe de lobbying proisraélien réclame un durcissement des sanctions économiques et financières, avec l’espoir que celles-ci provoqueront un effondrement du régime iranien. Cela a débouché sur un nouveau projet de loi appelé Iran Counter-Proliferation Act [Loi de contre-prolifération de l’Iran (sic)] et présenté par les membres de haut rang de la Commission parlementaire aux Affaires étrangères Tom Lantos (Démocrate) et Ileana Ros-Lehtinen (Républicaine). En une seule journée des milliers de lobbyistes de l’AIPAC ont déferlé sur la colline du Capitole où « ils ont été salués par presque chaque sénateur et plus  de la moitié des membres de la Chambre des représentants – environ 500 réunions ont été tenues entre des représentants de l’AIPAC et des membres du Congrès. »

Mais que nous indiquent de telles proclamations au sujet d’une menace imminente de guerre contre l’Iran ? Tout d’abord, ils montrent l’existence d’un camp proguerre horriblement convaincu de sa mission. Elles indiquent également que le fer de lance de l’opposition démocrate soutient l’engagement ardent de l’administration en faveur d’une confrontation avec l’Iran par tous les moyens nécessaires. Certains obstacles restent cependant à surmonter. 


 

Les réalistes de l’Empire luttent contre les « instincts viscéraux » de la Maison Blanche

Alors que l’actuel président US crevait le plafond de l’applaudimètre lorsque sa photo est apparue dans la traditionnelle projection de diapos de tous les présidents US à la conférence de l’AIPAC, en même temps le même président a reçu un zéro pointé pour ses performances en politique étrangère de la part d’une des principales sommités du pays en matière d’expertise sur la politique étrangère. Dans son nouveau livre Second Chance – Three Presidents and the Crisis of American Superpower( Deuxième chance – Trois présidents et la crise de la superpuissance américaine), le gourou réaliste Zbigniew Brzezinski a défini la présidence de Bush Jr. comme ayant de « forts instincts viscéraux mais aucune connaissance des complexités mondiales et un tempérament enclin aux formulations dogmatiques. »

Brzezinski a exprimé de manière abrupte ce qui est en jeu pour l’Empire américain : 

 « Nous faisons face à une crise très sérieuse concernant l’avenir. Les vingt mois qui viennent vont être absolument décisifs. Si nous les surmontons sans que la guerre en Irak empire et s’étende à une guerre avec l’Iran, je pense qu’il y a de fortes chances que nous récupérions […] Mais si nous entrons dans ce conflit plus grand, alors j’ai peur que l’ère de la suprématie mondiale usaméricaine s’avérera avoir été historiquement très, très courte. »

Avec la crise profonde qui affecte présidence Bush, la décision d’étendre la « guerre contre le terrorisme » à l’Iran peut être capitale pour le destin de son administration et de son parti – mais surtout décisive pour l’avenir de la prépondérance mondiale des États-Unis. Il semble que le camp fragmenté des adversaires à la guerre au Congrès peut difficilement empêcher le président de préparer unilatéralement une guerre désastreuse. C’est aux penseurs stratégiques influents appartenant à la tendance des Réalistes qu’il appartient de convaincre Bush de ne pas suivre le chemin prédéterminé par Cheney. Récemment même Henry Kissinger a pointé une direction opposée à celle que prend l’administration Bush. Il a proposé un vaste deal avec l’Iran par une diplomatie intelligente. Une chose est claire : au terme de cette lutte décisive entre les camps réaliste et néoconservateur, nous verrons si nous allons assister à une guerre terrible au Moyen-Orient, aux répercussions mondiales énormes.

La situation reste tendue puisque ceux qui poussent à la guerre sont dans les couloirs du pouvoir – tant dans la capitale étatsunienne qu’israélienne. Alors que Téhéran annonce ne pas vouloir appliquer les exigences trompeuses de la récente  résolution 1747 du Conseil de sécurité de l’ONU, les Iraniens restent favorables à la négociation. Mais la condition préalable unique de Téhéran pour des entretiens doit être satisfaite pour parvenir à un règlement pacifique paisible: à savoir que les conditions posées par les contreparties principalement occidentales soient mises de côté.

Aux USA, le camp proguerre sent bien que du fait des performances misérables de leur président, l’herbe – qui, croient-ils leur servira à mettre en œuvre l’agenda néoconservateur pour le Moyen-Orient – pourrait lui être coupée sous les pieds dans le dernier parcours. Le parrain du néoconservatisme US Bill Kristol demande dans le dernier numéro de leur influent organe The Weekly Standard que Bush et d’autres Républicains passent à la contre-attaque pour assurer la survie de leur administration. Comme le Guardian britannique vient de le rapporter, durant la crise anglo-iranienne récente des otages, Washington avait proposé des patrouilles aériennes agressives dans l’espace aérien iranien. Mais une telle action, qui aurait pu facilement déclencher une guerre, a été rejetée par Londres. Mais quoi d’autre qu’une nouvelle guerre pourra sauver l’équipe Bush/Cheney?

Ali Fathollah-Nejad est étudiant en master « Études européennes » aux universités de Münster (Allemagne) et de Twente (Pays-Bas). Ses domaines de recherche privilégiés sont les relations internationales, l’Iran et le Moyen-Orient, la France et l’Allemagne contemporaines ainsi que les aspects politiques et culturels des migrations et de l’intégration des migrants. Il a notamment publié Iran in the Eye of Storm – Why a Global War Has Begun (pdf) [L’Iran dans l’oeil du cyclone – Pourquoi une guerre mondiale a commencé]

Article original en anglais, 9 avril 2007.

Traduit de l’anglais par Fausto Giudice, membre de Tlaxcala, le réseau de traducteurs pour la diversité linguistique. Cette traduction est en Copyleft pour tout usage non-commercial : elle est libre de reproduction, à condition d’en respecter l’intégrité et d’en mentionner sources et auteurs.

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