Ce qu’Obama va laisser en héritage : des « stupidités »

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Quand les gens voient ce qui se passe en Ukraine, l’agression de la Russie envers ses voisins et la façon dont elle finance et arme les séparatistes ; ce qui se passe en Syrie, le ravage causé par [le président Bachar el-]Assad contre son propre peuple ; l’incapacité d’amener les sunnites, les chiites et les Kurdes à un compromis en Irak, bien que nous essayons de voir s’il est possible de former un gouvernement pouvant fonctionner ; les menaces terroristes récurrentes ; ce qui se passe en Israël et à Gaza ; une partie de leur inquiétude est liée au sentiment que, dans le monde, le vieil ordre ne tient plus et que nous n’en sommes pas encore tout à fait où nous devrions être en matière de nouvel ordre, qui s’appuie sur des principes différents, qui s’appuie sur notre humanité commune, qui s’appuie sur des économies avantageuses pour tout le monde.

Le président Barack Obama

On dirait bien que le président des États-Unis, Barack Obama, a fait tout un gâchis de ce que son maître à penser, Zbigniew « grand échiquier » Brzezinski, lui a enseigné.

Zbig reprend constamment les trois grands impératifs de la géostratégie impériale de Sir Halford John Mackinder, qui sont d’empêcher les collusions et maintenir les vassaux dans une relation de dépendance en matière de sécurité, de faire en sorte que les tributaires restent dociles et protégés, et d’empêcher l’alliance des barbares.

Après avoir brièvement tenté de « diriger en arrière-plan », ce qui n’allait nulle part, M. Obama a finalement fait un Mackinder de lui avec sa brillante doctrine en matière de politique étrangère, qui consiste à « ne pas faire de conneries » [1].

Il n’en reste pas moins que la toujours vive Hillary Clinton, ex-secrétaire d’État, a dit que « ne pas faire de conneries » n’est pas un principe d’organisation de la politique étrangère » [2]. Pourtant, tout ce que l’équipe chargée de la politique étrangère de M. Obama sait faire, ce sont des « conneries » justement.

À commencer par M. Obama, qui traite le président de la Russie Vladimir Poutine de la même manière que l’époux d’Hillary traitait le tonneau de vodka Boris Eltsine. Puis est venue la décision, sans le moindre débat public, de bombarder de nouveau l’Irak, et la Syrie y goûtera prochainement. Que le bombardement de la Syrak commence !

« Protéger » les Yazidis, oui. Protéger les Gazaouis, non. « Protéger » la bande de néo-nazis, de fascistes et d’oligarques véreux, oui. Protéger les Russophones dans l’est de l’Ukraine, non.

On a aussi commencé par protéger Erbil, déjà sous la protection de la déesse sumérienne Ishtar depuis des millénaires, puis par protéger Erbil et Bagdad, puis par protéger tous les lieux « stratégiques » en Irak.

Le général à la retraite Carter Ham, ancien commandant des forces américaines en Afrique (Africom), présent lors du fameux « Nous sommes venus, nous avons vu, il est mort », a maintenu de manière catégorique qu’il sera « très difficile » d’assurer autant de protection avec seulement quelques avions de combat. Des drones seront donc nécessaires, tout comme des troupes au sol.

On passe ainsi de la protection d’ExxonMobil et de Chevron au double bombardement de la Syrak. Le Retour des morts-vivants (néo-conservateurs) s’en frotte les mains, et pour cause. Le Grand Moyen-Orient est de nouveau sur la sellette. Et devinez qui fera partie de la coalition des volontaires prêts à se battre contre le calife ? La Grande-Bretagne, l’Australie, la Turquie, la Jordanie et les piliers du Conseil de coopération du Golfe (CCG) que sont le Qatar, l’Arabie saoudite et les Émirats arabes unis.

C’est pratiquement la même bande (cinq sur sept) qui a rendu possible la montée de l’État islamique en Irak et au Levant (EIIL), avec son « Assad doit partir », puis ses « bons » et « mauvais » djihadistes, pour finir par l’EIIL (devenu depuis l’État islamique), territoire tentaculaire du calife Ibrahim, fort de l’appui de son armée privée.

De stratégie, il n’y en a pas. Oh que non ! [3]

Bye bye pétrodollar

Penchons-nous maintenant sur les dividendes que rapporte la doctrine consistant à « ne pas faire de conneries » en Ukraine.

Ce qui nous ramène à Zbig le néo-Mackinder. Certains vassaux, les suspects habituels à l’OTAN et au CCG, mais pas tous, croient encore tirer parti de la « relation de dépendance en matière de sécurité », tandis que d’autres restent dociles mais nerveux, en se croyant, en théorie du moins, « protégés » par l’Empire du Chaos.

Puis voilà que l’Empire du Chaos a « encouragé » un coup d’État de facto et donné son feu vert à la nouvelle pègre de Kiev pour qu’elle fasse plus ou moins en Ukraine ce qu’Israël fait à Gaza. L’idée derrière l’Ukraine était d’enliser la Russie dans ses zones frontalières à l’ouest et de couper les liens économiques et commerciaux entre la Russie et l’Allemagne. Couper l’Eurasie en deux quoi !

Ensuite, M. Obama a déclenché une Guerre froide 2.0 qui risque fort de chauffer. Il a brisé les liens avec la chancelière Angela Merkel et l’Allemagne et renforcé l’alliance stratégique entre l’ours et le dragon, ce qui a amené Beijing à porter moins d’intérêt au « pivot vers l’Asie », maintenant qu’elle bénéficie d’un appui plus conséquent de la part de Moscou qui, pendant ce temps, freine les avancées de Washington en Asie centrale.

Les sanctions imposées à la Russie revigorent non seulement le marché interne, mais donnent aussi un élan à son commerce extérieur, bien loin des contrées européennes. Mais cela ne suffit pas encore pour tout brader au bénéfice de Wall Street et démolir complètement la politique étrangère des États-Unis. Avec des collaborateurs comme la conseillère à la sécurité nationale Susan Rice, le conseiller adjoint à la sécurité nationale Benjamin Rhodes, l’ambassadrice étatsunienne aux Nations-Unies Samantha Power et la secrétaire d’État adjointe Victoria Nuland, qui a besoin d’ennemis ?

L’imposition hystérique de sanctions par M. Obama mène tout droit vers la fin progressive du dollar US comme monnaie de réserve et la fin du pétrodollar.

Tout est dans l’article indiqué en note [4], la nouvelle la plus importante des derniers mois après le « contrat gazier du siècle » entre la Russie et la Chine.

M. Obama ne fait qu’accélérer la chute dorénavant incontrôlée de l’Empire du Chaos. Un nouvel axe prend forme lentement mais sûrement : Beijing, Moscou et Berlin. Cet axe n’a rien de « barbare » et reçoit l’appui de la majeure partie des pays du Sud.

« Le vieil ordre ne tient plus » en effet. « Le calife est méchant. Je vais donc imposer plus de sanctions à la Russie ». Quelle belle gestion d’empire ! Bravo mon gars. Passons au pivot maintenant. Avec toi-même. Sans la moindre stratégie.

Pepe Escobar

 

Source : « Obama’s « stupid stuff » legacy », Asia Times, 2 septembre 2014

Traduit de l’anglais pour vineyardsaker.fr par : Daniel

Notes

[1] «  Don’t Do Stupid Sh—(stuff)  ». By Mike Allen, Politico, 01-06-2014

[2idem

[3Obama : « We don’t have a strategy yet » for IS in Syria. Gregory Korte, USA TODAY, August 28, 2014

[4Russia’s Gazprom Neft to Sell Oil for Rubles, Yuan, Ria Novosti, 27-08-2014

 

Pepe Escobar est un journaliste brésilien de l’Asia Times et d’Al-Jazeera. Pepe Escobar est aussi l’auteur de :« Globalistan : How the Globalized World is Dissolving into Liquid War » (Nimble Books, 2007) ; « Red Zone Blues : a snapshot of Baghdad during the surge » ; « Obama does Globalistan  » (Nimble Books, 2009).



Articles Par : Pepe Escobar

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