Print

Ces guerres secrètes par procuration que le Pentagone mène à l’étranger
Par Alexandre Lemoine
Mondialisation.ca, 24 juillet 2022
Observateur continental
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/ces-guerres-secretes-par-procuration-que-le-pentagone-mene-a-letranger/5670011

Depuis des années, les différentes administrations américaines mènent des guerres par procuration dans le cadre du programme secret 127e, écrit le site américain Intercept. Entre 2017 et 2020, le Pentagone a lancé 23 programmes de proxy-guerres, notamment au Moyen-Orient et dans la région Asie-Pacifique. Cela a coûté 310 million de dollars aux contribuables américains.

« Par le biais du programme 127e les États-Unis arment, forment et fournissent des renseignements aux forces étrangères. Mais contrairement aux programmes traditionnels d’aide étrangère, les partenaires du 127e partent ensuite en mission sous le commandement des États-Unis contre des ennemis des États-Unis et pour atteindre des objectifs des États-Unis », écrit le média. Les activités militaires liées au 127e peuvent se dérouler sans l’autorisation du congrès exigée par la Constitution.

Le programme 127e autorise aux forces spéciales américaines de mener des « opérations antiterroristes » en coopération avec des forces étrangères et irrégulières des partenaires à travers le monde avec une supervision extérieure minimale.

Les généraux à la retraite bien au courant du programme 127e, appelé dans le jargon militaire 127-echo, disent qu’il est extrêmement efficace dans la lutte contre les groupes de combattants tout en réduisant les risques pour les forces armées américaines.

Pratiquement aucune information sur ces opérations n’est transmise au congrès ou au gouvernement. En général, on ignore même où se déroulent ces opérations, leur fréquence, les objectifs et les noms des forces étrangères avec lesquelles les États-Unis coopèrent. Les critiques du programme avertissent qu’il pourrait conduire à une escalade armée imprévue et à l’implication des États-Unis dans une douzaine de conflits dans le monde, puisque le programme 127e n’admet pas une supervision par des représentants officiels pour les affaires étrangères.

Le Pentagone et le Commandement des opérations spéciales (SOCOM) refusent de commenter les actions dans le cadre du programme 127e. « Nous ne fournissons pas d’informations sur les programmes 127e parce qu’ils sont confidentiels », a déclaré à la rédaction Intercept Ken McGraw, représentant du SOCOM. Le Pentagone préfère mener ses opérations avec un contrôle minimal et le fait depuis des années.

Comme le fait remarquer le journal italien Giornale en commentant l’investigation d’Intercept, en comparaison avec l’aide militaire traditionnelle accordée par les États-Unis, le programme 127e est entouré par une auréole de secret. Le quotidien souligne que des crimes ont été souvent commis pendant des opérations dans le cadre de ce programme. Par exemple, « des arrestations arbitraires, des kidnappings, des tortures, des exécutions sommaires et probablement des attaques aériennes et terrestres illégales contre des civils » ont eu lieu en Égypte.

Selon une étude organisée par l’institut Watson de l’université Brown, on compte 85 pays où le gouvernement américain a mené en 2018, 2019 et 2020 des opérations antiterroristes, allant des frappes aériennes contre des sites militaires et terminant par la formation de forces militaires et policières étrangères.

Le fait que le Pentagone organise systématiquement des opérations militaires secrètes à l’étranger avait déjà été rapporté auparavant. En 2021, le magazine Newsweek écrivait qu’au cours des dix dernières années le Pentagone avait créé la plus grande armée secrète dans l’histoire. 60.000 personnes avec de faux noms et une vie fictive s’ingèrent activement dans la vie réelle d’autres pays. « Ces forces sont dix fois plus nombreuses que tout le réseau d’agents de la CIA, elles remplissent des missions secrètes aussi bien en uniforme qu’en civil, dans la vie réelle et sur internet, se cachant parfois dans des agences et sociétés privées connues », écrivait le média.

L’armée secrète du Pentagone pourrait être répartie en trois grands groupes. Environ la moitié des 60.000 hommes sont des unités de combat, des combattants de conspiration pour mener des opérations spéciales. Ils agissent traditionnellement au Moyen-Orient et en Afrique, mais ces derniers temps ils participent à des opérations secrètes à l’arrière des ennemis des États-Unis tels que l’Iran et la Corée du Nord. Le deuxième groupe s’occupe du contrespionnage, du traitement de données, il inclut des linguistes militaires. Et le troisième, ce sont des cybercombattants.

Près de 130 sociétés privées, utilisant des sous-traitants sous faux noms, participent au contrôle du « nouveau monde secret », comme l’a appelé Newsweek. Derrière elles se trouvent des dizaines d’organisations gouvernementales peu connues signant des contrats et contrôlant leur mise en œuvre. L’entretien des forces secrètes nécessite presque 1 milliard de dollars par an. Newsweek affirmait également que « l’armée secrète » du Pentagone était aussi un instrument pour lutter contre la Russie et la Chine dans les conditions de « niveau inférieur de conflit armé ».

Le Pentagone agit de la même manière en Ukraine. Les autorités ukrainiennes ont autorisé le déploiement de neuf sites où des militaires américains étaient présents avant le début de l’opération militaire spéciale russe. Il s’agit notamment du camp d’entraînement de Yavoriv près de Lviv. Près de 300 instructeurs américains y étaient déployés en permanence. Selon les estimations les plus modestes, plus de 10.000 Ukrainiens ont été formés à Yavoriv selon les normes de l’Otan. Une base navale américaine se trouve à Otchakiv. Le port Ioujny à 30 km d’Odessa est utilisé par les forces armées britanniques, etc.

Il est tout à fait possible que ces actions de militaires américains en Ukraine aient été menées dans le cadre de programmes secrets du Pentagone 127e.

Alexandre Lemoine

Avis de non-responsabilité: Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.