Ces Tchèques qui disent « non » à Oncle Sam
Jince, envoyé spécial
Boletice, photo: www.army.cz
C’est une zone militaire d’environ 200 km², dans l’ouest de la Bohême à 80 kilomètres de la frontière allemande, bordée tout autour par 150 petites villes, villages et hameaux où vivent une centaine de milliers de personnes. C’est ce – petit bout de territoire perdu de – Bohême, distant de 30 km de Plzen, là où l’on produit la – fameuse bière, qui va héberger le radar antimissile américain. Pour l’heure, il sert de terrain de manoeuvre à l’armée tchèque.
Le site où doit être installé le bouclier antimissile est une ancienne base de l’armée soviétique. Il est masqué par une forêt située à quelques centaines de mètres de la minuscule commune de Trokavec (80 habitants). Le 17 mars, ce hameau a osé défier la puissante Amérique de Bush en organisant un référendum où 71 sur 72 participants se sont prononcés contre l’installation du bouclier antimissiles. Avec son initiative, le maire, Jan Neroal, a défrayé la chronique tchèque et donné l’idée aux communes voisines d’organiser à leur tour des référendums.
Les habitants ont peur
Jince, 2 200 habitants, à trois kilomètres de Trok, dirigé par le maire communiste Josef Hàla, quarante-cinq ans, est resté depuis l’époque du – régime socialiste une bourgade abritant des casernes de l’armée tchèque. Un effectif de 1 100 soldats est cantonné au village. Comme beaucoup de localités de la région, la bourgade a subi les méfaits du libéralisme des années quatre-vingt-dix Les deux uniques entreprises ont été fermées quand le gouvernement les a restituées à leurs anciens propriétaires. La promesse de les transformer en centres commerciaux n’a pas été tenue. Ici, le chômage touche 8 % de la population active. « Ce n’est pas énorme, dit le maire, car grâce aux emplois générés par l’autoroute menant vers l’Allemagne, beaucoup de gens ont retrouvé du travail. »
Sur les hauteurs du village, une surprise : le maire nous montre deux anciennes – casernes, avec terrains de sports et parking refaits à neuf. « C’est là que doivent loger les 200 militaires américains en charge du bouclier antimissiles. La commune n’a pas son mot à dire, le terrain appartient à l’armée. » Dans la campagne contre l’installation du radar, Josef Hàla est l’un des plus – actifs. Il a organisé une manifestation qui a rassemblé plusieurs centaines de personnes. « Je n’ai rien contre les États-Unis, mais que leur armée aille s’installer ailleurs. La population n’en veut pas. Elle a peur », dit-il. Il a ouvert les colonnes du magazine communal aux habitants pour qu’ils s’y expriment. Dans le numéro du mois d’avril, en plus de son éditorial consacré au radar, l’un de ces habitants explique l’impact sur la santé que peut avoir un – radar fonctionnant avec une puissance de 500 Mkw. « Énorme, dit le maire, car les radiations qu’il va dégager auront des effets nuisibles sur la santé, entre autres sur les femmes enceintes. » Il cite les courriers envoyés par les habitants d’une bourgade située près de Prostejov, en Moravie, faisant état de nombreuses naissances d’enfants mal formés, du fait des ondes d’un radar de l’armée soviétique, « vingt fois moins puissant que le bouclier antimissile américain », précise-t-il. Ses administrés sont informés de la situation. Et quand cela ne suffit pas, le maire est interpellé dans la rue. « Le mois dernier, lors du bal de la commune, j’ai été contraint, gentiment, d’informer les participants sur les négociations entre notre pays et les États-Unis. Car le gouvernement leur cache la – vérité et leur ment. » Les quinze maires communistes, indépendants et sociaux-démocrates des villes et villages environnants ont adressé une déclaration exigeant du gouvernement l’organisation d’un référendum.
Sur ce sujet, les rassemblements se multiplient dans la – région. Des référendums sont organisés comme à Rozmitali (8 000 habitants). Des brochures explicatives sont distribuées à la population. Expliquant que l’existence d’une base militaire américaine constitue une menace non – seulement pour la sécurité du pays, mais aussi pour l’environnement, notamment l’eau, une des meilleures d’Europe. Marienbad et sa fameuse eau minéralisée ne sont qu’à 60 kilomètres. De ce fait, les maires ont interpellé l’Unesco afin qu’elle déclare la zone site protégé, indique Josef Hàla. Et, dans une autre lettre commune, les maires de la région ont rejeté les propositions d’aides financières du gouvernement en échange de leur accord pour installer le radar, aides qu’ils ont qualifiées de « pots-de-vin ».
Un seul pays visé : la Russie
De son côté, Jaromir Kohlicek, député communiste tchèque au Parlement européen, explique que « le gouvernement a attendu d’être investi pour annoncer l’installation du bouclier antimissile, sans consulter le Parlement. En fait, je crois que la coalition gouvernementale formée par le Parti démocratique civique, l’Union chrétienne-démocrate et les Verts avaient négocié en secret sur cette question avec Washington ». « Contrairement aux affirmations de la Maison-Blanche, ajoute-t-il, cette base n’est pas dirigée contre l’Iran. Comment peut-on faire croire, en cas de guerre, que les missiles tirés par les Iraniens emprunteront un itinéraire devant passer par l’Europe centrale ? Et qui peut croire que l’Iran a la capacité technologique et militaire pour toucher les États-Unis ? En réalité, tout le monde l’a compris en République tchèque, ce bouclier antimissile ne vise qu’un seul pays : la Russie. D’ailleurs, Moscou a fait savoir qu’il pointera ses missiles de moyenne portée sur les futures installations américaines en Pologne et en République tchèque. Notre peuple ne veut pas de tensions à ses frontières ni du retour à la guerre froide. C’est aussi simple que ça. » – Raison pour laquelle, précise-t-il, le Parti communiste, les – sociaux-démocrates, des représentants de l’Église et des protestants veulent faire échec à ce projet. La pétition lancée par la Jeunesse communiste a déjà – recueilli plusieurs dizaines de milliers de signatures à Prague.