Changements climatiques versus dangers de la guerre nucléaire. « Trois minutes avant minuit »

Soixante‑cinq prix Nobel se sont réunis sur l’île de Mainau, au lac de Constance, dans le sud de l’Allemagne, à l’occasion de la rencontre annuelle des lauréats du prix Nobel parrainée par la fondation Lindau.

Parmi les donateurs de la réunion de la fondation Lindau figurent Lockheed Martin, la Deutsche Bank, UBS, Bayer, Merck, Novartis et Microsoft.

La question des changements climatiques était à l’ordre du jour. Il s’agissait essentiellement d’une rencontre scientifique qui n’a donné lieu à aucune déclaration ni à aucun débat scientifique sur des questions plus larges de guerre et de paix. (Pour voir le programme)

La « Déclaration de Mainau de 2015 sur les changements climatiques » compare la menace que posent les changements climatiques à celle que posait la guerre nucléaire à l’apogée de la guerre froide.

De l’avis des prix Nobel, la menace d’une guerre nucléaire appartient à une époque révolue. La guerre nucléaire n’est plus la menace principale. Aujourd’hui, ce sont les changements climatiques, « une menace d’une ampleur comparable ».

L’humanité demeure menacée, mais la menace a pris elle une nouvelle forme :

Il y a près de 60 ans, ici même sur l’île de Mainau, les participants à une réunion similaire de prix Nobel en sciences ont fait une déclaration sur les dangers inhérents à la technologie des armes nucléaires — une technologie de découverte récente dérivée des percées en science fondamentale. Jusqu’à ce jour, et malgré la menace persistante, nous sommes parvenus à éviter la guerre nucléaire. Nous croyons qu’une autre menace d’une ampleur comparable pèse aujourd’hui sur le monde1. (C’est nous qui soulignons)

Préoccupés par la question des changements climatiques, les lauréats de prix Nobel en sciences demeurent toutefois silencieux à propos des guerres USA‑OTAN en cours et des crimes de guerre commis par l’alliance militaire occidentale en Afrique, au Moyen‑Orient et en Asie centrale, sans parler des répercussions déstabilisatrices de la guerre économique.

Pendant ce temps, le Pentagone attise la guerre. Les menaces récentes de l’administration Obama de recourir à l’arme nucléaire pour effectuer une première frappe préventive non seulement contre la Russie, mais contre plusieurs États non nucléaires du Moyen‑Orient, sont tout simplement ignorées par ces mêmes prix Nobel en sciences.

Le programme militaire du Pentagone est un programme de conquête mondiale. Le déploiement militaire des forces US et de l’OTAN s’effectue simultanément dans plusieurs régions du monde.

Même si le scénario d’une 3e guerre mondiale impliquant l’usage préventif d’armes nucléaires est sur la planche à dessin du Pentagone depuis plus de dix ans, les stratèges militaires participent maintenant à la formulation de plans d’attaque concrets dirigés contre la Russie, plans qui incluent notamment le déploiement de systèmes de missile et de forces terrestres de l’OTAN sur le territoire de l’Ukraine.

L’horloge apocalyptique

Après avoir déjà formulé des mises en garde sur les dangers d’une guerre nucléaire, The Bulletin of Atomic Scientists (BAS) tient maintenant un discours différent. Selon le BAS, la guerre nucléaire constitue aujourd’hui une menace moindre par comparaison à l’époque de la guerre froide :

Aujourd’hui, la folle possibilité de l’annihilation nucléaire résultant d’une attaque délibérée des États‑Unis contre la Russie, ou de la Russie contre les États‑Unis, semble être une chose du passé,… (C’est nous qui soulignons)

Le fait est qu’il n’existe plus aucune mesure de protection issue de l’époque de la guerre froide. L’affirmation qui précède ne tient aucunement compte de la doctrine US de guerre nucléaire préventive impliquant des attaques nucléaires de première frappe comme instrument de paix et telle que formulée dans le rapport sur l’évaluation du dispositif nucléaire de 2001 (Nuclear Posture Review).

Les changements climatiques et la guerre nucléaire figurent maintenant côte à côte sur le cadran de l’horloge apocalyptique du BAS. La guerre nucléaire n’est plus la principale menace.

2015 : PLUS QUE 3 MINUTES AVANT MINUIT

« Les changements climatiques non maîtrisés, la modernisation des armes nucléaires à l’échelle mondiale et les arsenaux d’armes nucléaires surdimensionnées posent des menaces extraordinaires et indéniables à l’existence de l’humanité, et les dirigeants mondiaux ont failli à agir avec la rapidité ou avec l’ampleur nécessaires pour protéger leurs citoyens d’une catastrophe éventuelle. Ces échecs des dirigeants politiques mettent en danger la vie de chaque personne sur cette terre. » En dépit de résultats modestement positifs dans la lutte contre les changements climatiques, les efforts actuels sont tout à fait insuffisants pour prévenir le réchauffement catastrophique de la terre. Entre temps, les États‑Unis et la Russie ont entrepris de vastes programmes de modernisation de leur triade nucléaire respective — mettant ainsi en péril les traités en vigueur sur les armes nucléaires. « Il ne reste plus maintenant que trois minutes avant minuit, car les dirigeants internationaux négligent de s’acquitter de leur devoir le plus important — assurer et préserver la santé et la vitalité de la civilisation humaine. »

Des pommes et des oranges

Changements climatiques versus guerre nucléaire, « une menace d’ampleur comparable », selon les lauréats du prix Nobel en sciences.

L’évaluation scientifique des changements climatiques tient tout particulièrement compte « des répercussions de l’activité humaine » sur le climat et l’écologie de la terre. Nous sommes aux prises avec un phénomène à long terme complexe qui implique des évaluations et des mesures scientifiques.

En juxtaposant à la légère les changements climatiques et la guerre nucléaire, les scientifiques du BAS et les prix Nobel en sciences ne font essentiellement que « comparer des pommes et des oranges ». Il y a méprise fondamentale quant à la nature des liens de causalité, méprise qui sert à distraire l’opinion publique des dangers imminents de guerre mondiale.

Alors que la décision de lancer une attaque nucléaire contre un ennemi connu peut être prise et exécutée en quelques minutes seulement – c.‑à‑d. par décision du président et commandant en chef des USA – les causes, les tendances temporelles sous‑jacentes ainsi que les politiques afférentes aux changements climatiques sont de tout autre nature.

Dans l’après‑guerre froide, la guerre nucléaire est devenue une affaire de milliards et de milliards de dollars qui contribue à enrichir les entrepreneurs de la défense US. L’enjeu ici, c’est purement et simplement la « privatisation de la guerre nucléaire ». La guerre et la guerre nucléaire sont le résultat de décisions militaires et politiques concrètes prises en fonction de puissants intérêts économiques.

Quant au réchauffement climatique, lui n’est pas déclenché parce qu’un représentant de la sphère politique « appuie sur un bouton ». (Exception faite de la géoingénierie utilisée comme arme de guerre).

La campagne contre la guerre et contre la guerre nucléaire est pratiquement morte depuis l’invasion de l’Iraq en 2003.

L’enjeu pour le mouvement pacifiste consiste en définitive à mettre en cause le processus décisionnel aux plus hauts niveaux de l’appareil gouvernemental US, ce qui inclut le Département d’État, le Pentagone et les services de renseignement. Y a‑t‑il urgence? Oui, tout à fait.

Aujourd’hui, les USA et l’OTAN mènent des guerres d’agression simultanées dans plusieurs régions du monde, guerres qui vont de pair avec un processus de déstabilisation et de restructuration politiques. Sous le poids de puissantes institutions financières, des économies nationales sont mises à mal et détruites, de vastes pans de la population mondiale sont appauvris.

Pareilles mesures touchant à la sphère économique se fondent sur un processus délibéré de manipulation financière. Le Pentagone, l’OTAN, le Fonds monétaire international (FMI) et Wall Street travaillent tous de concert. Il s’agit d’un processus décisionnel coordonné aux échelons économique, géopolitique et militaire. Cela a pour nom la guerre et la « guerre financière ».

Afin de distraire l’opinion publique des dangers très réels associés à un scénario de 3e guerre mondiale, les grands médias gardent les yeux rivés sur les seuls dangers imminents associés aux changements climatiques.

Et même si les changements climatiques sont véritablement un enjeu important à l’échelle mondiale, il est essentiel à ce moment‑ci de l’histoire de comprendre la logique des guerres hégémoniques menées par les USA sous le couvert des opérations de contre‑terrorisme. Une guerre humanitaire, ça n’existe pas. Qui plus est, ces guerres sont des guerres économiques. Ce sont des guerres de conquête économique.

La campagne de propagande consiste à présenter le réchauffement climatique comme le seul danger pesant sur l’humanité, et ce, afin de limiter autant que possible la compréhension que peut avoir le public des dangers de guerre et de guerre nucléaire qui accompagnent inévitablement le processus mondial de restructuration économique néolibérale et d’appauvrissement.

Dans son discours de West Point du 28 mai 2014, le président Obama a dit : « Je crois de tout mon être au caractère exceptionnel des États‑Unis d’Amérique ». Ce qui importe le plus selon lui, c’est que « l’Amérique doit toujours être au premier rang sur la scène mondiale » et que « ce leadership aura toujours pour pilier les militaires ». L’exceptionnalisme des USA fondé sur la puissance, et non sur la diplomatie, sur le pouvoir de contrainte, et non sur le pouvoir de convaincre, voilà précisément les manifestations d’orgueil et d’arrogance qui pourraient conduire à la fin de la vie humaine. La détermination de Washington d’empêcher la montée en puissance de la Russie et de la Chine, comme l’énoncent les doctrines de Brzezinski et de Wolfowitz, est une recette de guerre nucléaire.

Les présidents étasunien, russe et chinois ont terriblement besoin d’affirmer dans le cadre d’un forum public très en vue que l’existence des armes nucléaires entraîne la possibilité de leur utilisation et que leur utilisation en contexte de guerre aura sans doute pour conséquence l’extinction de l’humanité. Comme personne ne peut sortir gagnant d’une guerre nucléaire, ces armes devraient être interdites et détruites avant qu’elles ne nous détruisent tous. (Steven Starr, Global Research, juin 2014; c’est nous qui soulignons.)

À l’époque de la guerre froide, la doctrine de la « destruction mutuelle assurée » (MAD) primait. Les États‑Unis et l’Union soviétique comprenaient que l’utilisation d’armes nucléaires risquait d’entraîner l’émission de rayonnement nucléaire à l’échelle de la planète et de conduire à l’apocalypse nucléaire.

À l’issue de la guerre froide, cette compréhension des dangers de la guerre nucléaire (MAD) ne l’emporte plus. Qui plus est, le Pentagone a récemment rendu publique sa politique de première frappe nucléaire contre la Fédération de Russie en réaction de l’agression présumée de la Russie à l’endroit de l’Ukraine.

Devrions‑nous nous sentir préoccupés? La guerre nucléaire est-elle plus dangereuse que le réchauffement climatique?

Si ces frappes nucléaires US devaient survenir, l’humanité serait précipitée dans une Troisième Guerre mondiale qui pourrait être la « toute dernière guerre » à être livrée sur la planète terre.

Michel Chossudovsky

 

Article original en anglais :

Doomsday-clock-over-The-Earth

Climate Change versus the Dangers of Nuclear War. “Three Minutes to Midnight”, publié le 4 juillet 2015

Traduction par Jacques pour Mondialisation.ca

Note

1. La Déclaration de Mainau sur les dangers associés aux changements climatiques a été signée par 36 des 65 lauréats du prix Nobel présents.



Articles Par : Prof Michel Chossudovsky

A propos :

Michel Chossudovsky is an award-winning author, Professor of Economics (emeritus) at the University of Ottawa, Founder and Director of the Centre for Research on Globalization (CRG), Montreal, Editor of Global Research.  He has taught as visiting professor in Western Europe, Southeast Asia, the Pacific and Latin America. He has served as economic adviser to governments of developing countries and has acted as a consultant for several international organizations. He is the author of eleven books including The Globalization of Poverty and The New World Order (2003), America’s “War on Terrorism” (2005), The Global Economic Crisis, The Great Depression of the Twenty-first Century (2009) (Editor), Towards a World War III Scenario: The Dangers of Nuclear War (2011), The Globalization of War, America's Long War against Humanity (2015). He is a contributor to the Encyclopaedia Britannica.  His writings have been published in more than twenty languages. In 2014, he was awarded the Gold Medal for Merit of the Republic of Serbia for his writings on NATO's war of aggression against Yugoslavia. He can be reached at [email protected] Michel Chossudovsky est un auteur primé, professeur d’économie (émérite) à l’Université d’Ottawa, fondateur et directeur du Centre de recherche sur la mondialisation (CRM) de Montréal, rédacteur en chef de Global Research.

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