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CHILI : Qu’en est-il devenu de l’Unité Populaire ?
Par Géraldine Bonvini
Mondialisation.ca, 16 mars 2009
Le Grand Soir 16 mars 2009
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15 ans de dictature, 20 ans de « démocratie »… Il ne reste du Chili d’Allende que des cendres. Le temps de l’Unité Populaire est un souvenir qui s’expose désormais dans les musées, comme les rêves. Et lorsque par hasard, Allende s’aventure parmi les citoyens, dans la rue, la police veille.

Jusqu’au sens des mots qui a été perverti par la propagande capitaliste instaurée par le régime de Pinochet sous l’égide états-unienne. Par exemple, le mot « dénoncer » fait désormais parti du vocabulaire courant… Une campagne de l’État en décembre 2008 invitait les citoyens à «  dénoncer pour les fêtes » : « Haz algo por tu seguridad. Esta Navidad, denuncio los delitos » affichaient les murs de Santiago…

Un régime à l’image du « Donnez leur du pain et des jeux » que clamait déjà Néron, afin qu’ils oublient qu’ils ont été des hommes, qu’ils sont encore des hommes. La fièvre du consumérisme est engagée, c’est à celui qui aura le plus de cartes de crédit, le plus de comptes en banque avec à chacun un crédit spécifique (crédit hypothécaire, crédit à la consommation,…), l’aliénation par la consommation entretenue par le débit fétide et débilitant télévisuel ininterrompu : dans les cafés, les restaurants, dans les foyers, la télé trône en bonne place afin de n’échapper au regard de personne et surtout pas des enfants, car il faut commencer le lavage de cerveau au plus tôt pour en garantir une certaine efficacité.

Un pays, un journal, Le Mercurio. Connu pour son soutien idéologique et logistique au coup d’État de 1973, il est le journal le plus lu du pays. Certains chantent « El Mercurio mente » sur l’air de « Radio Paris ment », mais combien sont-ils ? La propagande déverse sa saleté et sème la division dans le rang des exploités : mépris pour ceux de sa propre classe sociale, admiration pour celui qui « a réussi ». Il faut tuer la solidarité dans l’œuf, ne laisser aucune chance à la cohésion populaire, des jeux, des jeux et toujours des jeux ! Et la carte de crédit ! Il y a celle du Ripley, celle de Falabella, celle de Jumbo, celle de Lider, autant de grands magasins et supermarchés. Toutes permettent d’acheter en plusieurs cotas, les intérêts passent presque inaperçus dans l’océan de la propagande. Au moment du paiement, la caissière glisse invariablement « 5 centimes pour l’association Foyer du Christ ? » ou une quelconque autre association caritative, parce que bien que l’on favorise la consommation, il ne faut pas oublier les pauvres, la charité est la pierre de touche de l’édifice. Faire le bien permet de consommer sans culpabiliser et c’est un facteur essentiel du marché : consommer ne nuit pas à la santé, au contraire cela aide les plus pauvres ! L’Église est entrée dans les supermarchés par la voix de la caissière car les voix de dieu sont impénétrables, tout le monde le sait. Et la jeune fille, le jeune garçon, qui rangent soigneusement vos courses dans les sachets en plastique derrière la caisse, reçoivent-ils un salaire pour ce travail ? Non, la grande surface lui « offre » la possibilité de payer ses études grâce aux quelques pièces, que vous client, accepterez de lui donner, dans un élan de générosité toute chrétienne et sans charge pour l’entreprise. Double élan de charité dans les grandes surfaces !

Le jeu est perfide : on a fait disparaître le citoyen auquel on a substitué le consommateur et c’est celui-ci qui assume les tâches auxquelles l’État se dérobe. En effet, défiscalisation, peu de charges pour les entreprises qui ont en plus la possibilité « d’embaucher » sans salaire une main d’œuvre à la merci du bon vouloir du consommateur en fin de parcours. Le temps du bourgeois sortant de l’église et s’acquittant de la morale chrétienne en jetant quelques pièces dans la main du malandrin est revenu.

Mais qu’en pense le bourgeois ? « Des pauvres au Chili ? », « Mais vous dites n’importe quoi ! Voyez les télés, les frigos bien remplis dans les poblaciones, allons ! Et remplis de quoi ? De coca cola ! S’ils étaient vraiment dans le besoin, ils pourraient se passer de coca cola ! ». Ce qu’il omet de dire c’est que tout s’achète à crédit car la consommation ne doit pas ralentir, à aucun prix, l’endettement du pauvre pour des biens matériels parfois superflus fait parti du jeu de la croissance, la plus forte d’Amérique du sud écrivent les économistes. Et c’est dans ce souci d’éducation du pauvre à la consommation que pleuvent sur sa tête engourdie par la messe, celle du merveilleux spectacle des medias, les cartes de crédits, les discours subliminaux du mépris des pauvres qui en plus trichent : ils profitent d’allocation de l’État pour ne pas travailler ! Car c’est bien connu, le pauvre ne veut pas travailler. Il veut profiter de la vie sans rien faire. Abjecte propagande capitaliste qui détourne les exploités de leurs frères opprimés dont ils se désolidarisent, les yeux embués d’admiration pour le type qui passe à la télé et qui lui, a réussi.

La manœuvre est machiavélique. Elle a été fomentée par l’école des Chicago boys, celle de Milton Friedman (prix nobel d’économie ! Comme le fut à la même époque Kissinger, prix nobel de la paix, alors qu’il avait fomenté avec Nixon le coup d’état qui mit fin à l’Unité Populaire d’Allende… Le cynisme des institutions capitalistes n’a pas de limite) et porte aujourd’hui ses fruits. Le Chili de Pinochet a été le banc d’essai de l’application de la Trinité Néolibérale : privatisation, dérèglementation et réduction des dépenses sociales pour ensuite se propager dans le monde. Avec comme première conséquence l’appauvrissement accéléré des couches les plus désavantagées des sociétés. Aujourd’hui les Chicago boys sont à la tête du FMI et de la Banque Mondiale, de multinationales ou bien même comme Austan Goolsbee, conseilleur de…qui ? Obama bien sur !

Trente ans auront suffi à balayer des mémoires l’immense espoir de solidarité et de justice sociale incarnés par le gouvernement de Salvador Allende. Trente ans de propagande distillant avec perfidie l’indifférence nécessaire des consciences endormies par la satisfaction de nécessités inventées afin que fleurisse le profit dans les poches des capitalistes.

Qu’en disait Fidel Castro en 1972 (1) :

« On sait que les sociétés capitalistes n’organisent pas l’économie et la production de biens matériels pour satisfaire les besoins de l’homme. Les sociétés capitalistes organisent la production pour le profit. Bien souvent, quand un besoin est satisfait, elles en inventent un autre, tentent d’inculquer à l’homme un besoin artificiel. Je parle de ce problème parce que c’est l’un de ceux qui touchent le plus les pays latino-américains. On voit par exemple dans de nombreux pays latino-américains des centaines de milliers de mendiants, des millions et des millions d’analphabètes, des taux élevés d’enfants qui meurent dans leur première année, des taux très élevés d’abandon scolaire, de faibles moyennes d’espérance de vie. Et l’on voit pourtant que dans ces pays pauvres, exploités, sans hôpitaux, sans écoles, sans emplois, les impérialistes introduisent leurs habitudes. Et vous voyez toutes les revues de ces pays vous dire : »Achetez-vous une voiture de telle ou telle marque ! » « Voyagez à New York sur telle ou telle compagnie aérienne ! » « Bâtissez vous une maison de tel ou tel type ! » « Utilisez tels ou tels articles, utilisez telle ou telle mode ! ». Ils inculquent à nos peuples les habitudes de consommation des sociétés développées »

Le système est ainsi conçu, l’économie fonctionne à crédit. La croissance est en marche. Les micro-entreprises croulent sous les crédits et travaillent à rembourser leurs dettes. Mais pendant ce temps, l’économie continue d’avancer, imperturbable et tout droit dans le mur du recouvrement impossible. Une chef d’une petite entreprise de couture a contracté plusieurs crédits, un crédit hypothécaire auprès de telle banque, un crédit pour l’achat de machines modernes remboursables sur 20 ans. Lorsqu’on lui demande quel serait son rêve, elle répond « Partir en vacances 15 jours en Europe », un rêve de 15 jours, car il faut rembourser les dettes…

Et qu’en est-il de l’éducation et la santé ? Sont-ils des droits ou comme le reste, des biens de consommation ? La propagande a tôt fait de vous l’inculquer : c’est encore la carte de crédit qui vous sauvera dans ce monde où l’on vous propose de payer vos études à crédit avec un taux d’intérêt préférentiel. Quant aux cliniques, elles vous rassurent tout de suite : elles acceptent les cartes de crédit et l’affichent sur la porte d’entrée, en grand.

Le capitalisme a converti la société au consumérisme, l’individu n’existe plus qu’en fonction de ce qu’il consomme. Le politique a été à tel point évacué du discours médiatique que c’est aujourd’hui par les urnes que les Chiliens ont voté pour les représentants de la UDI, héritiers de Pinochet. Ici, les candidats peuvent s’afficher sur la voie publique, sans restriction. C’est à celui qui aura le plus de portrait dans la rue et les financements qui le permettent… C’est ainsi que Castro, le mal nommé et nouveau maire de Valparaiso bénéficiant des financements octroyés par la UDI a pu être élu sur un discours politique simpliste et populiste, mais surtout grâce à son envahissement de l’espace urbain : sa photo, souriante et toutes dents dehors a littéralement phagocyté la ville. Le spectacle prévaut en politique, ici comme ailleurs.

Et qu’en est-il de ceux qui résistent ? Ici, comme en Guadeloupe et ailleurs dans le monde, ceux qui luttent sont considérés comme des délinquants, des « terroristes ». Le peuple Mapuche est en prison sur ses propres terres, la politique de l’État favorise depuis toujours sa dépossession : Benetton en Argentine a pu acquérir des milliers d’hectares où il fait paître ses troupeaux de moutons par exemple, Pinochet en son temps expropriait les Mapuche pour vendre leurs terres aux entreprises forestières. Dans l’océan de la propagande, les mots de la résistance ont du mal à se frayer un chemin. Occultée par les medias, la résistance mapuche n’en demeure pas moins un exemple pour le peuple chilien qui a subit de plein fouet le vide intellectuel organisé, nécessaire à l’évacuation du politique.

Les chiliens ont failli, Salvador Allende est mort pour un peuple qui ne le reconnaît même plus. Peut-on les en blâmer ? Après tout, que reste-t-il des élections présidentielles en France : une Star Academy améliorée ! L’épidémie est planétaire. Les griffes du capitalisme sont implantées dans nos crânes et il est plus que temps de s’en débarrasser.

Géraldine Bonvini
pour Le Grand Soir

(1) In Cuba, Fidel et le Che, Danielle Bleitrach, Le Temps des cerises, Pantin, 2007

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