Print

Chine 2017 : Vers un changement total de cap
Par GEAB
Mondialisation.ca, 16 janvier 2017
GEAB no 111
Url de l'article:
https://www.mondialisation.ca/chine-2017-vers-un-changement-total-de-cap/5568937

Depuis que Deng Xiaoping, dans les années 1970, a donné la priorité absolue au développement économique [1], la Chine a fait énormément de sacrifices. Elle a beaucoup travaillé, pour pas cher, polluant considérablement son pays et devenant en peu de temps l’atelier du monde.

Mais tous ces sacrifices n’étaient pas vains. À peine quinze ans plus tard, en 1993, Shanghai était par exemple capable de mettre en service sa première ligne de métro ultra-moderne [2]. Cet exemple n’est pas pris par hasard : la construction de lignes de métro est toujours un bon indicateur de santé économique et administrative d’une ville ou d’un pays.

– Figure 1 –
PIB par habitant en Chine et en Inde, 1950-2010.
Source : Wikipédia.

Difficile intégration mondiale de la Chine

À la chute du bloc soviétique, le repositionnement de la Chine par rapport au reste du monde s’est accéléré. À partir des années 1990, ce grand pays a renforcé le vaste et lent processus de transition systémique suivant un principe de mise en compatibilité graduelle avec le système international.

En matière économique, il s’agit de la transition vers les principes de l’économie de marché « à l’occidentale » mise en œuvre, avec l’accord du Parti communiste chinois (PCC), par une génération d’économistes ouvertement « réformistes », dont les plus éminents représentants sont Wu Jinglian [3] et Zhou Xiaochuan [4] (actuel gouverneur de la People’s Bank of China).

En 1992, le PCC décide que les ressources seront allouées par les forces du marché plutôt que par ordre de l’État ; et de 1998 à 2003, un vaste processus de dérégulation, de libéralisation et de privatisation est entrepris dans le cadre de cette mise en compatibilité internationale.

Les résultats ne se font pas attendre puisque, en 2001, la Chine est autorisée à entrer à l’OMC.

Mais l’arrivée d’une économie ultra-dynamique de 1,4 milliard d’individus dans le jeu international bien réglé a provoqué un cataclysme dont l’OMC ne s’est jamais vraiment remise [5].

En réalité, il n’est pas difficile de comprendre que tant que la globalisation et ses institutions étaient au service d’un seul pôle de puissance (l’Occident qui les avait créées), tout se passait bien. Cela dit, l’arrivée de la Chine autour de la table obligeait à se demander à qui allait désormais profiter ce jeu. Le cycle de Doha, lancé un mois avant l’intégration de la Chine à l’OMC et destiné à finaliser en trois ans la libéralisation du commerce mondial (avec pour objectif avoué le développement des pays du tiers-monde), s’est retrouvé bloqué par ceux-là mêmes qui l’avaient souhaité, à savoir les Occidentaux.

L’échec du cycle de Doha marque un revirement durable de l’élan globalisateur, tout simplement parce que, si la globalisation au service d’un pôle unique de puissance est facile (c’est de l’impérialisme), l’arrivée de la Chine dans le jeu a provoqué un changement structurel profond de ces dynamiques, introduisant la notion de monde multipolaire – en l’occurrence « bipolaire », mais très vite suivi de la perspective de l’Inde, par exemple, comme mastodonte global émergent – alors que l’histoire récente a été incapable de gérer la multipolarité autrement que dans des logiques de confrontation.

À une exception près : les expériences d’intégration régionale qui ont appliqué des recettes de structures de pouvoir plates fondées sur les complémentarités et des logiques gagnant-gagnant. C’est dans ces expériences que le monde aurait dû aller puiser les outils de la réorganisation des nouvelles réalités globales. Mais le modèle qui a été ressorti, c’est finalement celui de la Guerre froide…

Nos lecteurs savent que nous avons suivi avec attention les efforts de la Chine pour s’intégrer en douceur dans le système international existant (OMC, G20…), puis pour diluer l’effet-Chine en se lançant dans la dynamique réformiste BRICS très proche des logiques plates d’intégration régionale, tentant à cette occasion d’initier une réforme monétaire internationale pour sortir les États-Unis et le monde de l’ornière dollar [6]. Nous avons assisté aux attaques violentes de l’Occident contre la tentative BRICS [7] et se repliant sur une stratégie de création d’une nouvelle panoplie d’institutions internationales à initiative BRICS ou chinoise (OBOR, NDB, AIIB, etc.).

Fin de la patience chinoise

Nous en sommes là, et jusqu’à présent la Chine a joué avec patience la carte de l’intégration mondiale. Ce faisant, elle a déployé autour d’elle un réseau de partenariats commerciaux, économiques, politiques et stratégiques avec un nombre croissant de pays et de régions, portant une attention particulière au resserrement des liens sur des logiques géographiques. C’est ainsi qu’elle a entamé un rapprochement d’égal à égal, non pas avec les pays de l’Asie du Sud-Est pris individuellement, mais avec leur coalition ainsi renforcée par la reconnaissance chinoise de leur pertinence, l’ASEAN, malgré la présence en son sein d’« ennemis » notoires (Vietnam, Japon, Corée du Sud, Philippines…).

En quelques années, la Chine a remporté des victoires considérables dont la plus récente est l’éviction de la présidente sud-coréeenne Park Geun-Hye, empêtrée dans les filets du système de missiles nord-américains THAAD garant de mauvaises relations durables avec la Chine, et son remplacement probable par quelqu’un de plus conciliant avec cette dernière [8]. L’autre grand progrès des intérêts chinois dans la région, c’est le basculement des Philippines hors de l’influence étasunienne.

La crise US-Chine en Mer de Chine du Sud, comme la crise EU-Russie en Ukraine, aurait pu être l’occasion de créer de nouveaux axes de coopération entre ces régions et entre la Chine et les États-Unis. Au lieu de cela, les conflits se sont durcis et les logiques « you’re either with me or against me » se sont imposées, obligeant les pays à prendre position alors que le seul moyen de garantir sa relative indépendance stratégique est justement surtout de ne pas avoir à choisir.

Depuis 2014 et la crise ukrainienne, le monde se structure donc peu à peu en deux camps opposés : les logiques BRICS multipolaires devant elles aussi se plier à cette règle. Et le face-à-face US-Chine approche à grands pas.

C’est ainsi d’ailleurs que les États-Unis vont tenter d’assimiler la Russie à leur camp dans les prochains mois. Alors que la Chine, via la Nouvelle route de la soie, tentera une dernière fois d’assimiler l’Europe au sien.

Notre équipe observe tout de même encore les derniers rayons d’espoir susceptibles de nous éloigner de ce sombre scénario, tels que l’arrivée à la tête de l’ONU du Portugais réformiste Antonio Guterres [9], ou le renforcement du G20 comme plateforme politique globale sous l’impulsion de la Chine et, espérons-le, relayé par l’Allemagne en juillet prochain [10], ou encore les perspectives de réorganisation du Moyen-Orient dans la foulée de la fin de la guerre en Syrie. Mais il est tout de même difficile de rester optimiste quand on regarde lucidement la direction vers laquelle les tendances lourdes nous envoient.

L’état des lieux du positionnement chinois dans le monde aujourd’hui permet d’établir plusieurs constats :

  • le déploiement de sa zone d’influence butte désormais sur des écueils qui en signalent les limites à ne pas dépasser : Inde d’un côté (avec son grand plan de démonétisation, l’Inde s’est dégagée de sa dépendance financière envers la Chine, ce qui n’est pas de très bon augure pour ce qui est de l’avenir des relations entre ces deux géants), Japon de l’autre (pays qui n’est pas près finalement de se libérer de la tutelle stratégique US) ;
  • en revanche, nous venons de le voir, les conditions sont correctes pour une saine coopération avec l’ASEAN, et les gigantesques projets d’infrastructures correspondent à de vrais besoins de financement de la région et, en tant que tels, sont irrésistibles ;
  • le système financier yuan, considérablement renforcé par les ventes massives de réserves étrangères de la Chine et leur transformation en yuans, est désormais une réalité prête à intégrer un système financier international multi-monétaire, mais également, en cas de rejet, prête à se concentrer sur des logiques régionales.

La Chine est clairement au bout d’une longue série de tentatives pour se rendre globalo-compatible : participation positive aux instances internationales, vastes réformes économiques internes, projets d’investissements transnationaux et création des outils ad hoc.

Un peu comme la Russie en 2013 était prête à faire son entrée officielle sur la scène internationale et comptait sur ses JO pour marquer cette reconnaissance, la Chine est aujourd’hui prête. Mais…

Face à face Chine– États-Unis

…Mais les Etats-Unis d’Amérique se ferment et se positionne clairement sur un axe de conflictualisation de sa relation avec la Chine.

Il y a notamment la menace d’accuser la Chine de manipulation abusive de sa monnaie [11], ce qui rendrait possibles des sanctions « légales » de type protectionniste (depuis quand les États-Unis ont-ils besoin d’un cadre légal pour cela ?). Pourtant, quand on regarde le graphique suivant sur lequel sont comparées l’évolution du dollar index (valeur du dollar par rapport à un panier de monnaies composé de l’euro, du yen, de la livre sterling, du dollar canadien, de la couronne suédoise et du franc suisse) et celle du dollar par rapport au yuan, on constate la mauvaise foi des États-Unis. Depuis 2014, par rapport au dollar, le yuan a baissé deux fois moins que ce panier de monnaies occidentales…

– Figure 2 –

Orange : évolution du dollar index ;
Bleu : évolution du dollar par rapport au yuan, 2012-2017.
Évolution en pourcentage par rapport au point de référence janvier 2012.
Source : Bloomberg.
La même menace serait donc bien plus « justifiée » envers la zone euro, le Japon ou le Royaume-Uni, et c’est pourtant la Chine qui est visée. On a compris que c’est évidemment une motivation politique qui anime les États-Unis, bien plus qu’une réalité économique. De même que la nomination de ministres notoirement hostiles à la Chine [12] à la tête du prochain gouvernement, étrange grand écart avec la nouvelle amitié affichée envers la Russie…(…)

GEAB n° 111. Paris, 16 janvier 2016.

Notes

[1] Source : The Japan Research Institute, September 1999 (n°45)

[2] Source : Urban Demographics, 06/02/2014

[3] Source : Wu Jinglian, Voice of Reform in ChinaMITPress, August 2013

[4] Source : Wikipedia

[5] Source : New York Times, 01/01/2016

[6] Notamment sous l’impulsion de Zhou Xiaochuan justement, lorsqu’il est arrivé à la People’s Bank of China en 2009 dans le contexte du G20 de Londres qui aurait dû/pu être historique, mais ne le fut point.

[7] Effort BRICS de contribution structurée à l’indispensable réorganisation des nouvelles configurations globales qui a été payé en retour par du mépris et même de la négation (nous rappelons ce que nous avons entendu à Bruxelles en 2014 : « Il faut ignorer les BRICS pour qu’ils n’existent pas ») de Bruxelles et Washington qui n’y ont vu qu’un modèle concurrent du modèle occidental.

[8] Source : CNBC, 2911/2016

[9] Source : Daily Star (Lebanon), 13/10/2016

[10] Source : G20.de

[11] Source : CNBC, 29/12/2016

[12] Source : Guardian, 23/12/2016)

 

GEAB est un instrument régulier et abordable d’aide à la décision et à l’analyse destiné à tous ceux pour qui la compréhension des futures évolutions du monde envisagées d’un point de vue authentiquement européen constituent une composante importante de leur travail ou de leur mission : conseillers, consultants, financiers, économistes, chercheurs, experts, dirigeants d’institutions publiques, de centres de recherche, d’entreprises internationales ou de grandes ONG… GEAB est à l’origine du concept de crise systémique globale

Avis de non-responsabilité: Les opinions exprimées dans cet article n'engagent que le ou les auteurs. Le Centre de recherche sur la mondialisation se dégage de toute responsabilité concernant le contenu de cet article et ne sera pas tenu responsable pour des erreurs ou informations incorrectes ou inexactes.