Chrétiens d’Orient … entre l’enclume de l’exil et le marteau des Kurdes
Le 27 mars 2015, un débat sur les violences ethniques et religieuses a eu lieu au Conseil de sécurité [1]. Il était présidé par M. Laurent Fabius. Voici quelques lignes extraites de son discours :
« …aux minorités du Moyen-Orient, nous devons montrer que nous sommes à leurs côtés – et aux côtés des Etats respectueux de la diversité… Au cours des derniers mois, le monde a tenté de répondre à l’urgence humanitaire pour sauver ces minorités de la mort. Ces efforts restent évidemment indispensables, mais nous constatons tous qu’ils ne suffisent pas. Les minorités ne réclament pas des faveurs, elles demandent tout simplement leurs droits. Et notre mot d’ordre doit être le retour des minorités déplacées sur les terres dont elles ont été chassées… nous savons ici tous que c’est une solution politique d’ensemble qui permettra le réenracinement durable et pacifique des minorités. C’est pourquoi il nous semble que la communauté internationale doit soutenir la consolidation d’Etats qui ne soient pas les défenseurs d’une seule communauté, mais les garants de la coexistence de toutes les composantes de la société… » [2].
On croit rêver ! Laurent Fabius parle au nom d’un gouvernement qui n’a cessé de clamer sa « lune de miel » avec l’Arabie saoudite, l’état le plus sectaire et le plus intolérant en ce bas monde ; celui-là même qui a pris la tête d’une prétendue alliance carbonisant du plus haut des cieux les enfants du Yémen, après avoir massacré par procuration ceux d’Irak, de Libye et de Syrie, sans jamais broncher devant le massacre des enfants de Gaza.
Et ce n’est pas fini. Le 1er avril, BHL entre en scène pour nous convaincre que « La France doit aider militairement les Kurdes pour sauver les Chrétiens d’Orient… C’est l’honneur de la diplomatie française d’avoir compris que Daech et Assad sont trop profondément complices » [3][4].
M. Alain Marsaud a beau plaisanter sur ce que « nous a coûté » cette honorable diplomatie [5] sans plus trop parler du « mal qu’on a fait », un nouveau cycle de mensonges adapté à la juste indignation des Français a bel et bien démarré. [NdT].
Les Nations Unies, par la voix de la France, ont lancé un appel pour sauver les Chrétiens du Levant, en Syrie et en Irak, de l’extermination à grande échelle ciblant leur patrimoine et leur existence depuis des millénaires dans la région ; dossier réactivé suite à l’invasion par Daech des villages assyriens de la région du Khabour en Syrie [6].
La Campagne médiatique a plutôt bien fonctionné et l’attention a immédiatement été portée sur ces Assyriens syriens expatriés en Occident, leur inévitable dernier refuge sans espoir de retour. Ceci, alors qu’en Irak, la situation n’est pas très différente, le nombre des habitants chrétiens de la plaine de Ninive et de Mossoul s’étant effondré de 90% depuis l’invasion américaine puis daechienne ; tandis que 10% de Chaldéens sont restés dans les zones dites du « Kurdistan irakien ».
Un « Kurdistan » présenté comme le modèle du pluralisme, de la démocratie et de la tolérance ; alors que des rapports en provenance d’Irak indiquent que les Chrétiens y sont traités comme des citoyens de seconde catégorie.
Mais aujourd’hui que la « carte kurde » est devenue essentielle dans la guerre de la Coalition d’Obama contre Daech en Syrie et en Irak, la France mène une campagne dont l’objectif est double :
- Armer les kurdes et faire pression sur l’Union européenne.
- Lier le dossier des Irakiens chrétiens, puis celui de certains Syriens chrétiens, au sort des Kurdes et de leur rêve d’un foyer national sur les territoires syrien et irakien, pour parachever la fragmentation de l’identité nationale irakienne, quitte à mettre les Chrétiens d’Irak sous tutelle des Kurdes.
C’est cela la position officielle de la France et c’est bien ce qu’a expliqué le théoricien des « Printemps arabes », Bernard-Henri Levy, dans un entretien avec «Le Figaro», sur la rencontre du ministre irakien des Peshmergas accompagné de responsables militaires Kurdes avec le président français François Hollande.
Selon BHL, « il n’y a que les Kurdes, qui peuvent concrètement venir en aide aux Chrétiens d’Orient », et le meilleur moyen de se débarrasser de Daech est de les armer, car « ce sont eux qui, sur le terrain, résistent à l’État islamique. Et parce que, s’il y a une chance de reprendre Mossoul ce sera grâce à eux et avec eux ».
Quant aux craintes exprimées par certains états européens au cas où ces armes tomberaient, une fois de plus, dans de mauvaises mains, ils sont balayés par l’aveu de son intime conviction : « J’ai souvent, dans ma vie, plaidé pour que l’on aide des combattants qui étaient nos alliés, un jour contre les Soviétiques, un autre contre Kadhafi, un autre contre telle autre dictature. Mais, même si je n’avais aucun doute sur cette nécessité de les aider, je ne savais jamais si les armes que nous leur livrions n’allaient pas, un jour, être réutilisées à de mauvaises fins et au service de valeurs qui ne seraient plus les nôtres. Là, c’est la première fois que j’ai aussi peu de doutes. C’est la première fois que je me sens, que je nous sens, en harmonie avec ce qui fait le fond de nos croyances communes. Les Kurdes ne sont pas seulement nos alliés. Ce sont des gens qui ont les mêmes valeurs que nous. La laïcité. Le goût de la démocratie. L’exigence de l’égalité hommes-femmes. La haine absolue de l’Islam fondamentaliste, radical et fasciste ».
Pour nous, il est donc parfaitement clair que si la priorité des priorités de l’Union européenne est le règlement du conflit ukrainien, la France a d’autres priorités et un autre point de vue.
Il est tout aussi clair que la volonté d’armer les Kurdes, malgré la réticence des pays européens qui préfèrent éviter de mécontenter la Turquie ainsi que les conséquences désastreuses de la consécration de la partition de l’Irak, est une volonté française soutenue par les USA.
Et enfin, il est plus que clair que prétendre aider les Chrétiens d’Orient en armant les Kurdes est un subterfuge censé renforcer le projet kurde à leurs dépens. Si cette décision était prise, elle aura pour conséquences de les conforter dans l’exil ou de les dissoudre au sein d’une nouvelle entité nationale qui cherche à disloquer la région par la création d’un état d’une surface équivalente à l’Irak avant son invasion par les USA.
Amer Naïm Élias
Écrivain et traducteur syrien
02/04/2015
Source : New Orient News
http://www.neworientnews.com/index.php/2013-08-24-22-19-26/9595-2015-04-02-06-19-44
Traduction de l’arabe par Mouna Alno-Nakhal pour Mondialisation.ca
Notes :
[1] Chrétiens d’Orient et minorités persécutées au Moyen-Orient (27 mars 2015)
[2] Discours de Laurent Fabius (New York, 27 mars 2015)
[3] Bernard-Henri Lévy : « La France doit aider militairement les Kurdes pour sauver les Chrétiens d’Orient»
[4] Bernard Henri-Levy à l’Elysée avec les peshmerga Kurdes – 01/04
https://www.youtube.com/watch?feature=player_embedded&v=U40ZU0lC8TY
[5] François ça ne va pas, encore une fois ! Par Alain Marsaud
http://alainmarsaud.fr/?p=3261
[6] Syrie / Irak : Quoi d’autre après l’élimination des Assyriens ?
http://www.mondialisation.ca/syrie-irak-quoi-dautre-apres-lelimination-des-assyriens/5434106