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Christine Lagarde, directrice du FMI, coupable de négligence mais dispensée de peine
Par Alex Lantier
Mondialisation.ca, 21 décembre 2016
wsws.org 20 décembre 2016
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Christine Lagarde, ministre des Finances sous l’ancien président français Nicolas Sarkozy, qui dirige actuellement le Fonds monétaire international (FMI), a été condamnée hier pour négligence dans un long procès pour corruption impliquant des versements importants de l’État à l’homme d’affaires Bernard Tapie.

Selon le jugement de la Cour de justice de la République (CJR), Lagarde « s’est impliquée personnellement dans la décision de ne pas faire de recours contre l’arbitrage ». Néanmoins, la CJR n’a imposé aucune sanction à Lagarde pour ne pas avoir fait preuve de diligence raisonnable face Tapie qui demandait 405 millions d’euros d’indemnités à prendre sur des fonds publics en 2008.

Le versement de 2008 est survenu après que Tapie, un prédateur d’entreprises favori du président du Parti socialiste (PS) François Mitterrand dans les années 1980 et 1990, a abandonné le PS et soutenu Sarkozy, le candidat conservateur victorieux aux élections présidentielles de 2007.

Tapie a affirmé avoir été victime d’une fraude de la part d’une succursale publique de la banque Crédit Lyonnais, la Société de Banque Occidentale, en 1994 quand il a vendu la société de vêtements de sport Adidas. Un autre groupe d’investisseurs privés qui comptait parmi ses membres Robert Louis-Dreyfus, a apparemment bénéficié de la vente et Tapie a exigé une indemnisation de l’État. Il avait reçu ce paiement après l’élection de Sarkozy, mais la cour d’appel de Paris a jugé l’année dernière que ce paiement n’était pas légitime et que Tapie devait rendre les fonds à l’État.

Hier soir à Washington, le FMI a ignoré la condamnation de Lagarde et l’a maintenue au poste de directrice générale. « Dans ce contexte, le Conseil d’administration réaffirme sa pleine confiance dans la capacité de la directrice générale à continuer à s’acquitter efficacement de ses fonctions », a déclaré le Comité exécutif du FMI dans un communiqué. « Le Conseil exécutif espère continuer à travailler avec la directrice générale pour relever les défis difficiles auxquels est confrontée l’économie mondiale. »

Cette décision souligne l’impunité judiciaire dont jouissent les principaux dirigeants des grandes structures appuyés, comme l’est Lagarde, par les principales puissances impérialistes en Amérique du Nord et en Europe. Elle contraste également fortement avec le limogeage de Strauss-Kahn en 2011, au milieu d’un scandale sexuel monté de toute pièce impliquant une femme de chambre d’hôtel à New York qui a été attisé par des responsables des gouvernements américain et de Sarkozy.

Malgré le détournement massif de fonds publics dans le scandale Tapie-Crédit Lyonnais, le pouvoir judiciaire et le gouvernement PS de France à l’époque ont soutenu Lagarde. Ceci est surtout dû au vaste pouvoir exercé par Lagarde, ancienne avocate d’entreprise à Chicago, qui est la directrice générale du FMI depuis la démission de Dominique Strauss-Kahn en 2011.

Fait remarquable, le procureur général Jean-Claude Marin a dénoncé son propre réquisitoire contre Lagarde, affirmant que « les charges propres à fonder une condamnation pénale » de Christine Lagarde n’étaient « pas réunies ». « Les audiences n’ont pas conforté une accusation bien faible, voire incantatoire ».

Au cours du procès, Lagarde a maintenu son innocence en s’appuyant sur des affirmations absurdes selon lesquelles, malgré son expertise financière, elle avait été manipulée par des fonctionnaires de rang inférieur et ne comprenait pas le fonctionnement du Ministère des finances français. Elle a également affirmé qu’elle n’avait pas vu 22 notes qui lui avaient été envoyées par des fonctionnaires du ministère des Finances sur l’affaire Tapie-Crédit Lyonnais, ni les révélations sur le scandale dans l’hebdomadaire Le Canard Enchaîné.

La défense de Lagarde n’a manifestement pas convaincu les juges de la CJR, qui ont statué contre Lagarde malgré les conseils du procureur. À un moment donné, la juge présidente de la CJR Martine Ract Madoux a dit avec sarcasme : « Vous avez dit que vous n’avez pas lu ces notes, que vous les avez découvertes plus tard. Vous avez dû être malheureuse en les lisant ».

« Un ministre des finances est souvent malheureux », répondit Lagarde.

Elle n’a même pas pris la peine d’attendre à Paris pour l’annonce de la décision, mais est partie, après avoir témoigné, pour retourner au siège du FMI à Washington.

Le fait de ne pas imposer de peines malgré la condamnation de Lagarde, signifie que la CJR a cédé aux pressions politiques de la part de responsables et des médias à travers l’Europe pour la maintenir en place comme directrice générale du FMI – poste traditionnellement détenu par un Européen et souvent par un Français.

Après la condamnation de Lagarde, le gouvernement PS français a salué les services publics de Lagarde. « Christine Lagarde exerce son mandat au FMI avec succès et le gouvernement maintient toute sa confiance en sa capacité à y exercer ses responsabilités », a déclaré le ministre de l’économie Michel Sapin.

Dans un commentaire éditorial, le Financial Times a déclaré : « La dernière chose dont le FMI a besoin maintenant est un vide à la direction. Il y a un débat en cours sur le processus par lequel le directeur général est nommé – et le ressentiment justifié parmi les marchés émergents contre la convention par laquelle le poste est confié à un Européen […] Ce n’est pas le moment de résoudre ces questions. Le sauvetage grec est à un moment délicat, et l’élection de Donald Trump soulève des questions beaucoup plus larges sur l’avenir des institutions financières internationales. »

Le commentaire du Financial Times fait ressortir quelques-uns des énormes enjeux financiers, politiques et géostratégiques qu’implique la sélection du directeur général du FMI. En tant qu’organisme dirigé par les États-Unis et l’Europe qui intervient dans l’intérêt du capital financier depuis des décennies pour imposer une profonde austérité contre les travailleurs pour restructurer les économies traversant des crises financières, il joue un rôle crucial dans les affaires stratégiques de l’impérialisme mondial.

Il a été au cœur des divisions de plus en plus amères entre les puissances européennes, ainsi qu’avec les États-Unis sur les conditions financières des sauvetages et des décotes des dettes (haircuts) en Grèce et dans le sud de l’Europe.

D’autant plus que le président élu des États-Unis Donald Trump signale qu’il poursuivra une ligne économique nationaliste agressive contre la Chine une fois en fonctions le mois prochain, la position de Lagarde est de plus en plus délicate. Le poids économique de la Chine et plus largement de l’Asie a énormément augmenté au cours des 15 dernières années, ce qui a mené à de fortes batailles sur la répartition de l’influence entre les différents pays à l’intérieur du FMI et sur la demande pour qu’un plus grand pouvoir soit accordé aux pays asiatiques.

Déjà en 2014, les autorités chinoises réclamaient que Washington respecte ses promesses de « renforcer la voix et la représentation des pays en développement au sein du FMI ».

Dans un document de travail d’octobre 2015, les fonctionnaires du FMI ont écrit que les conflits d’influence internationale à l’intérieur du FMI reflètent le fait que le capitalisme mondial est « à l’aube d’un changement d’époque en termes de pouvoir économique, comme on n’en a jamais vu depuis 200-250 ans ».

Entre la fondation du FMI après la Seconde Guerre mondiale et l’an 2000, ont – ils écrit : « La part des économies avancées dans le PIB mondial était d’environ 60 à 70 % […] Le rythme des changements depuis 2000 s’est cependant accéléré où le point d’appui du poids économique est passé rapidement de l’Atlantique Nord à l’Asie après plus de 200 ans. C’est ce développement spectaculaire qui s’est manifesté au cours des 15 dernières années qui alimente le débat vigoureux actuel. Avec l’attente que ce changement s’accélérera encore au moins au cours des prochaines décennies, les changements dans la gouvernance économique mondiale devront être plus substantiels que le changement progressif envisagé actuellement.

Dans ces conditions internationales très tendues, les tribunaux français sont intervenus pour que Lagarde s’en tire impunément et maintienne la direction actuelle au pouvoir.

Alex Lantier

Article paru en anglais, WSWS, le 20 décembre 2016

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