COLOMBIE – Des paysans spoliés de leur terre
Ce texte d’Orsetta Bellani, publié sur le site de Noticias Aliadas le 23 janvier 2013 présente avec une grande clarté l’enjeu que constitue la propriété de la terre en Colombie, comme ailleurs, et les luttes dont elle fait l’objet.
La violence et les dettes dépouillent les agriculteurs de leurs terres.
En 2006, un groupe d’agricultrices de San Cayetano, une communauté de la zone Montes de María dans la région caribéenne de la Colombie, a monté l’Association féminine agropastorale de San Cayetano (AFASAN).
Grâce au soutien financier de l’ONG locale, Corporation du développement solidaire (CDS), elles sont parvenues à acheter à des propriétaires privés 9,5 hectares de terres qui nourrissent aujourd’hui 16 familles.
« Nous cultivons des légumes, nous élevons du bétail, nous avons un projet d’apiculture et un autre de pisciculture. Nos maris nous aident dans le travail mais c’est nous, les femmes, qui prenons les décisions » nous a expliqué Duvis Ballesteros, présidente de l’AFASAN lors du Forum de la terre – Amérique latine et Caraïbes, évènement régional sur le droit à la terre qui a eu lieu les 27 et 28 novembre 2012 à Cartagena de Indias. Aujourd’hui, notre exploitation est autosuffisante et nous voulons accroître la production ».
Malgré le vol de têtes de bétail et malgré les menaces que les adhérentes de l’association ont reçues de la part de groupes armés illégaux, l’AFASAN est reconnue comme un projet réussi sur des terres difficiles : Montes de María a été l’une des zones les plus affectées par les conséquences du conflit colombien. Selon les sources officielles, la moitié de la population a été déplacée sous la pression des acteurs du conflit armé qui opèrent dans cette zone : la guérilla des Forces armées révolutionnaires de Colombie (FARC) et les paramilitaires du Bloc Héros de Montes de María appartenant aux Autodéfenses unies de Colombie (AUC), créées en 1998.
À vingt minutes de San Cayetano se trouve San Basilio de Palenque, où ont été déplacés les habitants de la communauté La Bonga.
« Le 5 avril 2001 quelques “messieurs” des AUP sont arrivés à La Bonga. Ils distribuaient des tracts disant que les habitants devaient quitter la communauté dans les 48 heures sans quoi ils seraient expulsés » raconte Primitivo Pérez, de La Bonga. « C’est comme ça que nous sommes partis et que nous nous sommes réinstallés à San Basilio de Palenque, où nous avons pu reconstruire nos maisons grâce à l’aide de quelques ONG. Par contre, nous n’avons reçu aucune aide du gouvernement. La majorité d’entre nous continue à travailler sa parcelle à La Bonga, ce qui nous oblige à parcourir 12 km. Un jour, des fonctionnaires de l’INCODER (Institut colombien de développement rural) sont venus nous proposer des terrains encore plus éloignés. Nous leur avons répondu que les fonds dont ils disposent, ils feraient mieux de les investir dans des aides à notre travail sur la terre que nous possédons déjà, mais ils sont partis. Plus tard, on a vu arriver des entrepreneurs qui nous ont proposé d’acheter nos parcelles ; un seul d’entre nous a accepté. En avril 2012, nous avons obtenu le titre de propriété collective de nos terres, de telle sorte que personne ne puisse vendre ».
C’est un évènement encore plus tragique qu’a vécu Luis Alfredo Torres de la communauté El Salado, située dans les Montes de María où les AUC ont commis une de leurs actions les plus sanguinaires : en février 2000, une incursion paramilitaire a fait 66 victimes et a provoqué le déplacement de plus de 600 familles.
« À cette époque, dans la région de Montes de María, nous avons vécu des déplacements qui, en réalité, sont des spoliations dissimulées : sous le poids des pressions, par peur, les gens vendent leurs terres à bas prix aux grandes entreprises » commentait Torres.
Pression des banques
Les dettes que les paysans de Montes de María avaient contractées auprès des banques représentent un élément de pression. L’origine de ces dettes c’est l’effondrement du prix du riz, au début des années 2000. Or cette culture avait été encouragée par le gouvernement au moment de la réforme agraire avortée, dans les années soixante. Quand le marché colombien s’est ouvert au riz des États-Unis et de la Chine, ça a été la faillite et les paysans qui ne produisaient rien d’autre ont commencé à s’endetter.
En 2004 les paramilitaires ont été démobilisés et en 2007 Gustavo Rueda Díaz, connu sous le nom de Martín Caballero, chef du Front 37 rattaché au Bloc caraïbe des FARC est mort. Dans les années qui suivirent, la violence a diminué dans les Montes de María. Mais l’achat massif des terres des paysans endettés ne s’est pas arrêté pour autant.
En octobre 2010, le législateur Iván Cepeda a demandé des comptes au Ministère de l’agriculture sur les achats massifs de 37 273 hectares de terres dans la zone de Montes de María, tout en dénonçant que ces formes apparemment légales d’acquisition se pratiquaient dans une zone où 120 000 personnes avaient été déplacées.
D’après le journal La Silla Vacía [« La Chaise vide »] le résultat de l’enquête menée par la Surintendance du notariat et du registre révèle que les 133 titres examinés sont entre les mains de quelques entreprises intéressées par l’agro-industrie, la reforestation et l’exploitation pétrolière et qu’elles sont toutes administrées par des fidéicommis.
Zone de réserve paysanne
Quoi qu’il en soit, dans un entretien au journal El Tiempo, le chef d’entreprise Álvaro Ignacio Echeverría a déclaré que « sur l’ensemble des terres, 1000 hectares seulement appartenaient à des petits propriétaires et que personne n’avait fait pression sur eux. Tout est légal ». Cependant, l’enquête de la Surintendance du notariat et du registre a dénoncé aussi des irrégularités qui ont favorisé le regroupement des terres comme, par exemple, la falsification de documents ou l’achat d’une Unité agricole familiale (UAF).
Montes de María est une zone de réserve paysanne (ZRC) – il y en a sept en Colombie actuellement – entité définie par la Loi 160 de 1994 qui détermine l’existence de zones géographiques bien délimitées où les paysans ne peuvent posséder qu’une seule UAF et où, en accord avec le gouvernement, ils doivent établir un projet de développement durable.
« Dans les Zones de réserve paysanne, les Unités agricoles familiales ont été créées pour déterminer la superficie maximum de terre que peut posséder une famille, dans une zone précise. Aucune famille ne peut avoir plus d’une UAF afin d’éviter le regroupement des terres. Nous observons que, bien souvent, la Loi 160 a été violée et nous enquêtons là-dessus », nous a expliqué Jennifer Mojica, de l’INCODER, pendant le Forum de la terre.
« Cette loi est violée en permanence » dénonce César Jerez, de l’Association nationale des zones de réserve paysanne (ANZORC), au cours du même forum. « Le modèle de gouvernement colombien est agro-exportateur ce qui nécessite beaucoup de terres. Nous devons élaborer un nouveau modèle de développement pour apporter des solutions structurelles ».
Dial – Diffusion de l’information sur l’Amérique latine – D 3242.
Traduction de Michelle Savarieau pour Dial.
Source (espagnol) : Noticias Aliadas, 23 janvier 2013.
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