COLOMBIE : Le président Santos met du plomb et ne croit pas aux dialogues de paix

Après une longue traque, l’Armée colombienne a tué vendredi Alfonso Cano, le chef des Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC). Le succès de cette victoire à la Pyrrhus renforce la tendance militariste du président Santos.

Les rapports du gouvernement affirment que le commandant des FARC, Alfonso Cano, était encerclé dans la zone frontière entre les départements de Tolima et de Huila quand il a été tué par l’Armée. Le plan d’anéantissement fut conçu au moins en juin 2008, lorsque Cano a pris la direction de cette guérilla après la mort (naturelle) du légendaire Manuel Marulanda. Mais c’est au cours des trois derniers mois que ce plan a commencé à être mis à exécution avec des campagnes d’encerclement, des bombardements et enfin l’anéantissement.

Cette méthode s’appuie au maximum sur la supériorité aérienne, avec des matériels de premier niveau fournis par l’Armée des Etats-Unis, puis sur les combats sur le terrain uniquement quand la guérilla a été dévastée par les bombes.

C’est ce qui s’est passé en mars 2008, lors de l’opération « Fénix » qui en a terminé avec le deuxième chef de la guérilla, Raul Reyes. En septembre de l’année dernière aussi, avec « Sodome », un mode opératoire similaire pour tuer Jorge Briceno, alias Mono Jojoy, considéré comme le référent de la branche militaire de l’organisation. La méthode a eu des résultats positifs pour le Ministre de la Défense Juan Carlos Pinzon et le chef de l’Armée, Sergio Mantilla, quand ils ont pu annoncer la mort de Cano vendredi dernier. L’opération « Odiseo  » n’a pas eu lieu dans la zone où ils l’avaient localisé mais dans le Département du Cauca, plus au sud.

Menaces présidentielles

Santos, le ministre et le général se trouvaient à Popayan, la capitale du Cauca, et ont fait des déclarations solennelles, répétées ensuite à Bogota. Le président a intimé aux rebelles l’ordre de se rendre, sous peine d’aller en prison pour le restant de leurs jours ou de mourir comme Cano. Quand il dit prison, il faut préciser qu’elle peut se situer aux Etats-Unis, où il a déjà extradé trois chefs des FARC, qui sont dans des conditions pénibles de détention.

En parallèle, la machinerie pro gouvernementale d’El Tiempo [1]. Seul quotidien national de 2001 à 2008), Radio Caracol, la revue La Semana, et d’autres médias, ont montré des photos du corps criblé de balles, pour démoraliser les miliciens. Cela peut marcher à un certain niveau, mais provoque difficilement une défaite dans l’organisation, malgré le pari du gouvernement.

Car selon l’oukase de Santos la démobilisation signifie une mort certaine pour des milliers de personnes. Cela s’est déjà produit en 1985, quand le groupe armé a cédé la place à l’Union Démocratique qui a présenté des candidats à tous les niveaux dans presque toute la Colombie, gagnant quelques députations et conseils. Cela s’est terminé de la pire des manières : 5.000 militants, et même des amis de l’UP, furent assassinés car on les considérait comme la représentation « visible » de Marulanda.

Dès que Cano a été abattu, les médias colombiens les plus liés à l’Armée, comme El Tiempo, ont publié des détails de l’opération. Quinze avions ont servi à bombarder, suivis par l’avion fantôme ; après plusieurs bombardements des campements des insurgés, mille officiers ainsi que des effectifs d’élite de Fudra (Force de Déplacement Rapide) sont arrivés par hélicoptères Black Hawk. Ils ont tué Cano et trois autres guérilleros. Le cadavre du premier a été immédiatement envoyé à Bogota pour identification et servir au passage à la propagande triomphaliste sur les troupes, ainsi qu’à la démoralisation de l’adversaire.

Lutte inégale

Le ministre Pinzon est le fils d’un haut gradé militaire à la retraite, qui a grandi dans les quartiers militaires. Selon lui, les FARC sont encore fortes de 8.000 hommes, armés jusqu’aux dents, c’est pourquoi les opérations devraient se poursuivre. En supposant que ce chiffre soit correct, il est clair qu’il s’agit d’un affrontement très inégal car les effectifs colombiens se montent à 526.000 en tout et constituent le plus important des pays de la région.

Les effectifs ont été augmentés d’année en année, à partir du moment où Santos est devenu le premier ministre des Finances d’Andres Pastrana, puis lorsqu’il a occupé le poste de ministre de la Défense d’Alvaro Uribe, et qu’enfin il est devenu président en août 2010.

Plus d’un demi-million d’hommes est bien la preuve d’un important militarisme qui, entre 2001 et 2007, a impliqué une dépense militaire de l’ordre de 5% du PIB, alors que la moyenne de la région est de 1,7%.

Et si cela ne suffisait pas, El Tiempo, dans son édition imprimée, a demandé au général Mantilla, le jour même où ses soldats ont tué Cano : « est-il nécessaire d’augmenter le nombre d’hommes ? » Sa réponse a été : « oui. La Colombie est entrée dans une croissance économique incroyable : nous sommes un pays pétrolier, nous devons protéger nos champs, il faut de nouvelles routes. Croissance, investissement et sécurité vont ensemble. »

Injection de dollars

Et pour les armes et tout l’attirail des troupes, le gouvernement colombien reçoit des injections de dollars du gouvernement des Etats-Unis. Ce qui le situe au premier plan de cette « aide », derrière Israël et l’Egypte, et l’associe avec la Corée du Sud, le Pakistan et d’autres pays clés pour la stratégie de domination étasunienne.

L’armée colombienne a acheté 15 Black Hawk de dernière génération aux Etats-Unis. Son armée de l’air a reçu une douzaine d’hélicoptères de combat Bell 212, trois avions CASA C295 et treize KFIR, la version israélienne du Mirage français, équipés comme des chasseurs bombardiers.

Une partie de ce matériel a été utilisée dans les campagnes qui ont culminé avec les assassinats de Reyes, Mono Jojoy et Cano. L’argent fourni par les Etats-Unis varie selon les sources. Le « Plan Colombie » adopté par Bill Clinton a reçu entre 7.000 et 10.000 millions de dollars.

Tout cet argent n’est pas toujours utilisé à des fins militaires ; une partie est détournée vers les comptes personnels d’hommes politiques et de généraux, un phénomène commun aux autres fronts (Irak et Afghanistan).

526.000 hommes contre 8.000, les premiers avec une supériorité aérienne absolue : tel est le tableau d’une guerre très inégale.

47 ans déjà

Malgré cette disproportion de moyens, et en prenant encore en compte les pertes très sensibles imposées aux FARC par Santos, la formation a fêté ses 47 ans d’existence en mai. Elle est présente dans quasiment 32 départements de Colombie.

Lorsqu’en juin 2008, Cano a pris le poste de Marulanda après sa mort, il a insisté pour négocier un Echange Humanitaire. Les FARC auraient voulu échanger 500 de leurs prisonniers et rendre à l’Etat les 25 policiers et militaires capturés lors de combats.

Le président colombien a considéré cela comme un délire et a refusé. Récemment pourtant, les autorités israéliennes n’ont pas considéré que la négociation avec leurs grands ennemis de Damas était une mauvaise chose : Gilad Shalit, l’un de leurs propres soldats, contre 1.027 prisonniers palestiniens.

Quand Juan Manuel Santos a pris ses fonctions à la Casa de Narino (palais présidentiel) en janvier 2010, le commandant des FARC avait fait diffuser une vidéo renouvelant son offre de dialogue qui débutait par l’échange mentionné plus haut. Les rebelles ont libéré unilatéralement six de leurs détenus en février 2011, en geste de bonne volonté et en guise de réparation envers l’ancienne sénatrice Piedad Cordoba, médiatrice de l’échange au nom de « Colombiens et Colombiennes pour la Paix » (CCP) [2].

Ces libérations ont dû être interprétées comme un signe de faiblesse par Santos, qui a ordonné de doubler la mise pour tuer les dirigeants insurgés. C’est ce qu’il a réussi avec Cano, avec une première et presque unique félicitation publique de l’administration Obama, heureux que son ami Santos ait infligé un tel coup à l’ « organisation terroriste ». Les gouvernants des Etats-Unis, rien de moins, apposent l’étiquette de « terroristes » à des groupes rebelles. Eux qui ont tué un million de civils en Irak et en Afghanistan, et plusieurs milliers en Libye…

Survivre

D’autres gouvernements latinoaméricains qui lors des derniers mois avaient montré des signes de sympathie à l’égard de Santos, comme Cristina Fernandez – l’appelant « excellent ami » lors de la réception de ce dernier à la Casa Rosada le 18 août dernier, ne disent plus rien maintenant. Seulement le Département d’Etat. Une fois Cano abattu, le Secrétariat Central devra trouver un remplaçant pour compléter la liste de 7 et surtout pour élire son successeur comme commandant. Les noms d’Ivan Marquez (Luciano Marin) et de Timochenko (Rodrigo Londono) sont mentionnés.

La formation rebelle sera obligée de faire le bilan de ces coups durs. Elle voudra sûrement faire cesser les infiltrations de renseignement militaire qui ont aidé aux opérations « Jaque », « Sodoma » et « Odiseo ». Et aussi trouver la manière d’éviter d’être la cible d’une telle machine de guerre du gouvernement. Tout le paysage colombien n’est pas adversaire des rebelles. Il y a d’importantes mobilisations étudiantes contre le gouvernement. Des contradictions se font jour entre Santos et Uribe son prédécesseur, qui avait critiqué la « démotivation » régnant dans les Forces Armées. De son côté, le général Mantilla a demandé la protection de la Justice Militaire pour que ses hommes ne restent pas « empapelados » (jugés [comme en Argentine]) pour des cas d’atteinte aux droits de l’homme. Ceux qui succèdent à Cano ne doivent pas penser à la démobilisation, mais bien plutôt à la survie et à la façon de profiter de ces manifestations et de ces contradictions.

La Arena. Santa Rosa, Argentine, le 8 novembre 2011.

Traduit de l’espagnol pour El Correo par : Hélène Anger

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El Correo. Paris, le 12 novembre 2011.

Notes

[1] Le quotidien national. Fondé en 1911, est acheté en 1913 par la famille Santos, de l’actuel présidant. Depuis 2007 , l’actionnaire principal est le Groupe Planeta d’Espagne et il tire à 240.964 et le dimanche à 475.046 (2004)

[2] Inéligible le 27 septembre 2010 pour 18 ans au poste de sénatrice par le gouvernement Santos pour « collaboration » avec les FARC



Articles Par : Emilio Marín

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