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Comment l’armée américaine m’a transformé en terroriste
Par Aaron Glantz
Mondialisation.ca, 26 octobre 2008
El3Amal 26 octobre 2008
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En mars de cette année, un courageux groupe d’anciens combattants ont ramené la guerre à la maison, lors d’un événement historique qui a eu lieu à Silver Spring, Maryland, inspiré par les anciens combattants du Vietnam, une génération auparavant. « Winter Soldier: Irak et Afghanistan», a réuni plus de 200 soldats qui ont servi dans la soi-disant «guerre contre le terrorisme »; à l’instar de leurs camarades avant eux, qui ont partagé des histoires détaillant le cauchemar du Vietnam, ces anciens combattants ont été témoins des crimes commis au nom des Américains au cours de l’occupation de l’Irak et de l’Afghanistan.

Les audiences ont duré quatre jours et dans leur témoignage, les soldats ont décrit comment le non-respect des règles d’engagement de l’armée et sa déshumanisation systématique des civils Irakiens et afghans ont mené à d’horribles actes de violence contre des innocents, hommes, femmes et enfants.

« Ce ne sont pas des incidents isolés », fût un refrain souvent entendu, même quand les épisodes décrits semblaient être exceptionnellement cruels. Pour de nombreux anciens combattants, c’était la première fois qu’ils racontaient leurs histoires.

Maintenant, les témoignages impitoyables ont été compilés dans un important nouveau livre: Winter Soldier: l’Irak et l’Afghanistan: témoignages de l’occupation », édité par Aaron Glantz et publié par Haymarket Books. Je vous encourage vivement à acheter le livre, de préférence sur le site Web des Vétérans d’Irak Contre la Guerre (IVAW), qui ont organisé les auditions des soldats et qui continuent d’organiser des évènements similaires dans toutes les villes du pays. Toutes les recettes des livres achetés par le biais d’IVAW serviront à soutenir leur travail crucial.

L’extrait suivant provient de Michael Prysner, un caporal de l’Armée de Réserve qui est rentré à la maison en Février 2004.

– Liliana Segura, rédacteur en chef, Couverture spéciale de la Guerre en Irak

20/10/08 « Alternet » – – La première fois que j’ai rejoint l’armée, on m’a dit que le racisme n’existait plus dans l’armée. Un héritage d’inégalité et de discrimination était soudainement balayé par quelque chose qui s’appelle le Programme de l’Egalité des Chances (PEO).
Nous assisterions à des cours obligatoires, et chaque unité avait un représentant du PEO pour veiller à ce qu’aucun des éléments de racisme ne puisse refaire surface. L’armée semblait fermement s’être engagée à écraser tout soupçon de racisme.

Puis le 11 Septembre est arrivé, et j’ai commencé à connaître de nouveaux mots comme « serviette de tête» et «jockey de chameau», et la plus inquiétante, « Nègre de sable ». Ces mots ne venaient pas à l’origine de mes camarades soldats de rangs inférieurs, mais de mes supérieurs: mon sergent de peloton, mon premier sergent, mon commandant de bataillon. Pour tous ceux de la chaîne de commandement, ces termes violemment racistes étaient soudainement acceptables.

Lorsque je suis arrivé à l’Iraq en 2003, j’ai appris un nouveau mot, « Haji ». Haji était l’ennemi. Haji était chaque irakien. Ce n’était pas une personne, un père, un professeur ou un travailleur. Il est important de comprendre d’où venait ce terme.

Pour les Musulmans, la chose la plus importante est d’aller en pèlerinage à la Mecque, le hadj. Quelqu’un qui a effectué ce pèlerinage est un Haji. C’est quelque chose qui, dans l’Islam traditionnel, est le plus haut nom dans la religion. Nous avons pris le meilleur de l’islam pour en faire le pire.

Depuis la création de ce pays, le racisme a été utilisé pour justifier l’expansion et l’oppression. Les autochtones américains ont été appelés des «sauvages», les Africains ont été appelés par des noms de toutes sortes de choses pour excuser l’esclavage, les anciens combattants du Vietnam connaissent la multitude de termes utilisés pour justifier cette guerre impérialiste.

Donc, Haji est le terme que nous avons utilisé. C’était le terme que nous avons utilisé dans cette mission dont je vais parler. Nous avons beaucoup entendu parler des raids et des coups de pied dans les portes des maisons des gens et le saccage de leurs maisons, mais là, c’était un autre type de raid.

Nous n’avons jamais reçu aucune explication pour nos ordres. On nous a seulement dit qu’un groupe de cinq ou six maisons étaient maintenant la propriété de l’armée américaine, et que nous devions y aller et faire partir les familles de leurs maisons.

Nous sommes allés dans ces maisons et nous avons informé les familles que leurs maisons n’étaient plus les leurs. Nous ne leur avons donné aucune alternative, nulle part où aller, sans verser aucune indemnité. Ils ont été très confus et très effrayés. Ils ne savaient pas quoi faire et ils ne voulaient pas partir, alors nous avons dû les faire partir.

Une famille en particulier, une femme avec deux petites filles, un très vieil homme, et deux hommes d’âge moyen, nous les avons trainés hors de leur maison et nous les avons jetés dans la rue. Nous avons arrêté les hommes parce qu’ils refusaient de partir et nous les avons envoyés en prison.

Quelques mois plus tard, comme nous étions à court d’interrogateurs, on m’a donné cette mission. J’ai supervisé et participé à des centaines d’interrogatoires. Je me souviens d’un interrogatoire en particulier que je vais partager avec vous. Ce fût le moment qui m’a vraiment montré la nature de cette occupation.

Ce détenu particulier était déjà en sous-vêtements, les mains derrière le dos et un sac sur la tête. Je n’ai jamais vu le visage de cet homme. Mon travail consistait à prendre une chaise métallique pliante et à la fracasser contre le mur à côté de sa tête – il était face au mur avec le nez collé au mur – tandis qu’un camarade soldat criait la même question encore et encore. Quel que soit sa réponse, mon travail était de fracasser la chaise contre le mur. Nous l’avons fait jusqu’à ce que nous soyons fatigués.

On m’a dit de faire en sorte qu’il reste debout, mais quelque chose n’allait pas avec sa jambe. Il avait été blessé, et n’arrêtait pas de tomber à terre. Le sergent responsable est venu et m’a dit de le faire tenir sur ses pieds, donc je devais le relever et lui mettre contre le mur. Il a continué à tomber. J’ai continué à le relever et à le mettre contre le mur.

Mon sergent était fâché contre moi parce que je n’arrivais pas à le faire tenir debout. Il l’a relevé lui-même et l’a éclaté plusieurs fois contre le mur. Puis il est parti.

Lorsque l’homme est à nouveau tombé, j’ai remarqué du sang couler de sous le sac. Je l’ai assis, et quand j’ai remarqué que mon sergent revenait, je lui ai dit de se lever rapidement. Au lieu de protéger mon unité de ce détenu, j’ai réalisé que je protégeais le détenu de mon unité.

J’ai essayé d’être fier de mon service, mais tout ce que j’ai pu ressentir, ce fût de la honte. Le racisme ne peut plus masquer la réalité de l’occupation. Ces sont des êtres humains.

Depuis, j’ai été en proie à la culpabilité. Je me sens coupable à chaque fois que je vois un vieil homme, comme celui qui ne pouvait pas marcher, qui nous avons mis sur une civière et dit à la police irakienne de l’emmener.

Je me sens coupable à chaque fois que je vois une mère avec ses enfants, comme celle qui pleurait et nous criait de façon hystérique que nous étions pire que Saddam alors que nous la jetions hors de chez elle.

Je me sens coupable à chaque fois que je vois une jeune fille, comme celle que j’ai attrapé par le bras et traîné dans la rue

On nous avait dit nous combattions contre les terroristes; mais le véritable terroriste, c’était moi, et le véritable terrorisme, c’est cette occupation. Le racisme au sein de l’armée a longtemps été un outil important pour justifier la destruction et l’occupation d’un autre pays.

Sans racisme, les soldats se rendent compte qu’ils ont beaucoup plus en commun avec le peuple iraquien qu’avec les milliardaires qui nous envoient à la guerre.

J’ai jeté à la rue des familles en Irak, seulement quand je reviens à la maison, je trouve des familles jetées à la rue dans ce pays, dans cette crise tragique et inutile. Nos ennemis ne sont pas cinq mille kilomètres de là, ils sont ici, chez nous, et si nous nous organisons et nous nous battons, nous pouvons arrêter cette guerre, nous pouvons arrêter ce gouvernement, et nous pouvons créer un monde meilleur.

Article original: Source : http://www.el3amal.net/
Traduction : MG pour ISM

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