Comment l’Italie a conquis le « statut de grand pays »

Dixième anniversaire de la guerre contre la Yougoslavie

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Le 24 mars 1999, la séance du Sénat (italien, NdT) reprend à 20h35 avec une communication de l’onorevole Mattarella, vice-président du gouvernement D’Alema : « Onorevoli Sénateurs, comme en ont informé les agences (de presse, NdT), les opérations de l’OTAN ont commencé à 18h45 ». A cette heure-là, les bombes des avions F-16 du 31ème escadron Usa, qui ont décollé de la base de Aviano (Région du Frioul, nord-est de l’Italie, NdT), ont déjà touché Pristina et Belgrade. Et suivent déjà de nouvelles vagues de bombardiers étasuniens et alliés, partis d’autres bases italiennes. Comme en témoigne Massimo D’Alema lui-même dans son livre entrevue Kosovo. Gli Italiani e la guerra (Mondadori, août 1999), les chefs de gouvernements de l’Union Européenne, avant de partir pour le sommet de Berlin, avaient donné « une série de coups de fil », en donnant « pleins pouvoirs au commandant général de l’OTAN (le général étasunien Wesley Clark).

C’est ainsi, en violant la Constitution (art. 11, 78 et 87)[i], que l’Italie est entraînée dans une guerre dont le gouvernement va informer le parlement après les agences de presse, alors qu’elle est désormais commencée.

Le rôle joué par les commandements et les bases USA/NATO en Italie est fondamental. Les opérations navales et aériennes sont dirigées par les commandements alliés de Naples et Vicence, sous les ordres d’officiers étasuniens et, insérés donc dans la chaîne de commandement du Pentagone. C’est des bases en Italie que décolle la majorité des mille avions qui, en 78 jours, vont effectuer 38 mille sorties, en lançant 23 mille bombes et missiles sur la Serbie et le Kosovo.

On active et teste de cette façon, dans les conditions de guerre réelle, tout le système des bases USA/OTAN en Italie, préparant ainsi sa potentialisation pour les guerres à venir.

Ce n’est pas tout. Contrairement à ce qui est affirmé par Mattarella au Sénat, à savoir qu’ « il n’y a pas d’avions italiens engagés dans les opérations », 54 avions italiens participent aussi aux bombardements, et accomplissent 1.378 sorties, en attaquant les objectifs indiqués par le commandement étasunien. « Par le nombre d’avions (engagés, NdT) nous n’avons été seconds que par rapport aux USA. L’Italie est un grand pays et nous ne devons pas nous étonner de l’engagement dont nous avons fait preuve dans cette guerre », déclare le 10 juin 1999 le président du Conseil D’Alema, lors d’une visite à la base d’Amendola, en soulignant que, pour les pilotes, cela a été « une grande expérience humaine et professionnelle ».

Pour la première fois, on rend là opérationnel le « nouveau modèle de défense », qui attribue à nos forces armées le devoir de « se projeter » partout pour défendre les « intérêts vitaux ».

Et les 23-25 avril 1999, alors que la guerre est encore en cours, le gouvernement D’Alema participe, à Washington, au sommet de l’OTAN qui officialise le « nouveau concept stratégique » : d’une alliance qui, sur la base de l’article 5 du traité du 4 avril 1949, engage les pays membres à assister même par la force armée tout pays membre qui serait attaqué dans la zone nord atlantique, elle est transformée en alliance qui engage ses pays membres à « mener des opérations de riposte aux crises non prévues par l’article 5, en dehors du territoire de l’Alliance » (souligné par la traductrice). A la question de savoir quelle est la zone géographique où l’OTAN est prête à intervenir, le président démocrate Clinton répond que « ce n’est pas une question de géographie ».

C’est de là que va débuter l’expansion de l’OTAN vers l’est, jusqu’à l’intérieur du territoire de l‘ex-URSS et au-delà. Aujourd’hui, la « zone atlantique » s’étend jusqu’aux montagnes afghanes. Et les soldats italiens sont là-bas, confirmant ainsi ce que D’Alema définit avec orgueil comme « le nouveau statut de grand pays », conquis par l’Italie sur le champ de bataille il y a dix ans.

Reçu de l’auteur et traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio,

Publié sur il manifesto, le 22 mars 2009

 

[i] Article 11 : L’Italie répudie la guerre comme moyen d’attenter à la liberté des autres peuples et comme mode de solution des différends internationaux ; elle consent, dans des conditions de réciprocité avec les autres Etats, aux limitations de souveraineté nécessaires à un ordre qui assure la paix et la justice entre les Nations ; elle suscite et favorise les organisations internationales qui poursuivent un tel objectif.

Article 78 : Les Chambres décident l’état de guerre et confèrent au Gouvernement les pouvoirs nécessaires.

 

Article 87 : Le Président de la République est le chef de l’Etat et représente l’unité nationale.

(…) Il a le commandement des Forces armées, préside le Conseil suprême de défense constitué selon la loi, déclare l’état de guerre délibéré par les Chambres.



Articles Par : Manlio Dinucci

A propos :

Manlio Dinucci est géographe et journaliste. Il a une chronique hebdomadaire “L’art de la guerre” au quotidien italien il manifesto. Parmi ses derniers livres: Geocommunity (en trois tomes) Ed. Zanichelli 2013; Geolaboratorio, Ed. Zanichelli 2014;Se dici guerra…, Ed. Kappa Vu 2014.

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