Comment la Cia aussi fait ses rondes en Italie
Puis-je dire, sans hypocrisie, que cette sentence de la Cour Constitutionnelle ne nous étonne pas du tout ? Que s’attendre à un acte de justice à l’encontre de la Cia et des services secrets italiens n’entre pas dans les prérogatives de vérité politique que ce pays peut se permettre ? Puis-je écrire, sans crainte de démenti, que l’utilisation d’un présumé secret d’Etat pour atteindre les juges de Milan, et renvoyer impunis les auteurs d’enlèvement d’une personne est une page honteuse mais malheureusement prévisible ? Deux gouvernements ont longtemps fait la course pour éviter ce procès, pour l’enterrer, pour le saboter, pour le dérober à ses vérités. Deux gouvernements de diverse origine politique (Prodi, puis Berlusconi) avec la même subalternité culturelle à l’égard de l’administration Bush : qui, de cette (et d’autres) extraordinary rendition, devait sortir immaculée comme un lys.
Sentence prévisible, dangereuse pour l’usage politique que le Partito Democratico et Forza Italia (parti de Silvio Berlusconi, NdT) voudront en faire à présent, dévastatrice par le message qu’elle nous propose : chez nous la justice n’est pas égale pour tous. Et l’enlèvement d’un citoyen égyptien, présumé terroriste, en plein cœur de Milan n’est plus un crime si ceux qui séquestrent affirment avoir agi au nom de notre sécurité. Hier la Cia, demain les rondes padane (de la ville de Padoue, fief de la Ligue du nord, NdT) : personne ne fera la moindre objection. Je connais le procès de Milan. Je connais les scrupules patients et tenaces des juges qui l’ont instruit. Je connais les excès, les mensonges, les illégalités dont se sont entachés le Sismi et la Cia au prétexte de la lutte contre le terrorisme. Je connais l’embarras des dirigeants du Pd (Partito democratico, fondé par Walter Veltroni, NdT) pour prendre à leur charge, au Parlement, cette bataille de droit et de civilisation. Je comprends maintenant comment même la Consulta peut manifester toute sa propre perméabilité face aux sollicitations des gouvernements, face au climat de frontière qui est en train de s’approprier le pays, face à cette nuit de la raison et de la politique qui nous interpelle tous. A partir de demain il nous faudra veiller sur ce procès pour empêcher qu’on n’en perde les traces et la mémoire. Comme beaucoup le voudraient : à droite et à gauche.
Claudio Fava est député européen, et a été rapporteur de la commission d’enquête parlementaire sur les vols secrets de la Cia en Europe.
Edition de jeudi 12 mars 2009 de il manifesto
http://www.ilmanifesto.it/il-manifesto/in-edicola/numero/20090312/pagina/07/pezzo/244459/
Traduit de l’italien par Marie-Ange Patrizio
Voir aussi :
Faut-il combattre la tyrannie avec les instruments des tyrans ?
par Dick Marty*