Comment les États-Unis, la France et le Canada ont renversé un des gouvernements les plus populaires d’Amérique latine

Peter Hallward démêle la vérité sur Haïti d'un tissu de mensonges

Dans le livre « Damming the Flood: Haiti, Aristide, and the Politics of Containment » (Endiguer l’innondation : Haïti, Aristide, et la politique de confinement), Peter Hallward explique minutieusement comment, le 29 Février 2004, les États-Unis ont réussi à « renverser l’un des gouvernements les plus populaires en Amérique latine, sans que cela soit ouvertement critiqué ni perçu comme un coup d’Etat ». Les puissances impérialistes ne réinventent pas la roue quand il s’agit de porter atteinte à la démocratie dans les pays pauvres. Hallward répertorie de précieux enseignements pour ceux qui souhaitent mieux connaître les rouages et limiter les dégâts infligés par les pays impérialistes aux pays faibles.

L’histoire qu’il présente n’est pas compliquée, mais pour comprendre ce qui s’est passé, il a du exposer les innombrables mensonges et demi-vérités et a du aussi explorer brillament de nombreuses questions simples que les mass medias manquent systématiquement de poser.

L’histoire que la presse mainstreams et que certains médias alternatifs ont présentés au monde, quand elle était cohérente, est à peu près ce qui suit :

« Aristide a été élu président d’Haïti en 1990 lors de la première élection libre et équitable du pays. Il a été renversé en 1991 par l’armée d’Haïti à la demande de l’élite d’Haïti qui craignait qu’il puisse sortir les pauvres de la misère. Les États-Unis, en dépit de certaines réserves, l’ont ramené au pouvoir en 1994 après que les sanctions économiques n’aient pas réussi à infléchir la junte militaire qui l’a remplacé. Il s’effaça tandis que son proche allié, René Préval, a occupé la présidence pendant plusieurs années. En 2000, Aristide a été porté au pouvoir par des élections truquées. À la fin de 2003, Aristide avait perdu son soutien populaire et ses alliés importants en raison de la corruption et de la violence qui ravageait le pays. Il ne pouvait se maintenir au pouvoir que grâce à ses bandes armées issus des bidonvilles. En février 2004, face non seulement à une opposition politique de plus en plus importante, mais aussi à des rebelles armés et des gangs qui s’étaient retournés contre lui, Aristide a démissionné et a demandé aux États-Unis de l’envoyer dans un lieu sûr alors que les rebelles étaient sur le point de prendre la capitale. »
Dans le récit ci-dessus pourtant largement accepté, Hallward montre que presque rien n’est vrai.

Les États-Unis étaient derrière le premier coup d’Etat qui a renversé Aristide en 1991 et ont soutenu la junte via un embargo sélectif. Les Etats-Unis ont rétabli Aristide en 1994 parce que le prix politique à payer pour avoir soutenu la junte était devenu exorbitant. Après l’avoir restauré, les États-Unis ont fait en sorte que les forces de sécurité haïtiennes soient infiltrées par des hommes de main de la junte militaire et ont fait pression sur Aristide pour mettre en œuvre des politiques économiques impopulaires – qui allaient bien au-delà de ce qu’Aristide avait accepté comme condition pour être remis en place. Il a résisté à la pression des États-Unis qui voulaient de nouvelles concessions sur la politique économique et a dissolu l’armée haïtienne malgré les fortes objections étatsuniennes. En réponse, les États-Unis ont dépensé 70 millions de dollars entre 1994 et 2002 pour renforcer directement les opposants politiques d’Aristide. Au cours de ces années, de nombreux alliés d’Aristide parmi «l’élite cosmopolite», comme les appelle Hallwards, sont devenus des ennemis acharnés.

Souvent, leur ressentiment envers Aristide provient du fait d’avoir été délaissé par Aristide en faveur des militants de base du mouvement Lavalas, pour l’obtention d’un emploi ou d’un poste politique. Certains transfuges du camp d’Aristide, comme Evans Paul, avaient des antécédents impressionnants dans la lutte contre les dictatures avant 1990 et contre le coup de 1991, mais en 2000 la plupart ont rejoint une coalition avec l’extrême droite (connu sous le nom de la Convergence démocratique) qui a été concocté avec de l’argent US. Invariablement, ces anciens alliés d’Aristide ont perdu presque tout soutien populaire après s’être rallié au camp étatsunien. Cependant, ils ont été connectés avec les ONG étrangères et la presse internationale. Les élections de 2000 étaient non seulement libres et équitables, mais les résultats ont été tout à fait conformes à ce que les sondages secrets des États-Unis avaient prédit. Les adversaires d’Aristide ont été battus avec succès mais ont répandu le mensonge que les élections de 2000 étaient frauduleuses.

Les États-Unis (rejoint par l’UE et le Canada) ont bloqué des centaines de millions d’aide au gouvernement d’Aristide. Une tentative de coup d’état infructueuse par des paramilitaires d’extrême-droite a eu lieu en 2001. D’autres attaques meurtrières sur les partisans de Lavalas ont eu lieu durant le second mandat d’Aristide, mais sont passées largement inaperçues dans la presse internationale et ont été mis sous silence par les ONG. En revanche, les représailles sur les adversaires d’Aristide ont été largement rapportés.

À la fin de Février 2004, aussi bien l’opposition politique que l’opposition armée était en danger d’être exposée de fraudes. Les efforts de déstabilisation des États-Unis, bien qu’ayant remporté certains succès à bien des égards, n’ont pas réussi à produire une opposition éligible face à Aristide et son parti Lavalas. Les rebelles, dont la collusion avec l’opposition politique était difficile à ignorer pour la presse mainstreams, n’étaient pas en mesure de prendre Port-au-Prince. Par conséquent, les États-Unis se sont impliqués directement dans le coup d’état (avec l’aide cruciale de la France et du Canada) et non par procuration au travers de rebelles haïtiens comme en 1991.

Le genre de documents internes détaillés qui existent pour les coups d’état soutenus par les US au Chiliet enArgentine dans les années 1970 ne sont pas encore disponible dans le cas d’Haïti. Bien que d’importants documents ont été découverts par des chercheurs comme Anthony FentonYves Engler,Isabel Macdonald, et Jeb Sprague, Peter Hallward expose la situation en recueillant soigneusement des faits incontestables (comme les résultats de l’élection présidentielle de 2006, dans laquelle les politiciens pro-putschistes ont été écrasés) puis leur applique la logique et le bon sens commun.

Hallward aurait pu documenter plus en détail la façon dont Aristide a gardé le soutien de la majorité des Haïtiens face à l’assaut implacable de ces puissants ennemis. Les programmes sociaux du gouvernement d’Aristide en œuvre et la nature inclusive et participative de son parti Lavalas ont certainement été mentionnés dans le livre mais il aurait du aussi se focaliser sur cet aspect. Il y a des leçons cruciales qui devraient être apprises par les mouvements populaires du monde entier.

Hallward est précis dans la description de son livre comme « un exercice d’anti-diabolisation et non de déification. » Il a écrit que si Aristide « partage une partie de la responsabilité de la débâcle en 2004, c’est parce que de temps en temps, il n’a pas agi avec la vigueur et la détermination que ses partisans les plus vulnérables ont été en droit d’attendre. » Hallward considère qu’il y a une certaine complaisance au sein du parti Lavalas du fait de sa popularité, et que le Parti est parfois lent à reconnaître les ennemis et les opportunistes dans ses rangs, mais Hallward aurait du mettre plus l’accent sur son point conclusif selon lequel le renouvellement de la démocratie haïtienne « nécessitera le renouvellement de la politique d’émancipation dans les pays impérialistes eux-mêmes ». C’est surtout nous, au sein des nations impérialistes, qui avons besoin de faire une analyse fondamentale des erreurs que nous avons commises. Aristide a laissé entendre à ce moment crucial de son interview avec Hallward :

« Le vrai problème n’est pas vraiment un problème haïtien, il ne se trouve pas en Haïti. Le problème pour Haïti se trouve en dehors d’Haïti ! »

Article original en anglais : Peter Hallward Untangles the Truth about Haiti from a Web of Lies

Traduction SLT



Articles Par : Joe Emersberger

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