Condamnée à mort, Lynne Stewart libérée pour des raisons humanitaires

La cruelle persécution d'une militante pour la justice sociale et le respect des droits civils

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Tout ce qu’Hitler a fait, il l’a fait en toute légalité, écrivait Martin Luther King en 1963, alors qu’il était détenu à la prison de Birmingham. Depuis une vingtaine d’années, le gouvernement des États-Unis a mis en place une panoplie de règles et lois afin de pouvoir surveiller, arrêter, détenir, déporter, torturer légalement quiconque pourrait lui faire obstacle. Dans le cas de Lynne Stewart, il s’est attaqué ouvertement aux droits garantis par la Constitution américaine.

Le 1er janvier 2014, Lynne Stewart a été libérée pour des raisons humanitaires, à l’âge de 74 ans. Incarcérée en 2009, sa libération ne devait pas avoir lieu avant 2018. Lynne Stewart avait été traitée avec succès pour un cancer du sein avant son emprisonnement à la prison de Carlswell, au Texas. Aujourd’hui, elle est atteinte d’un cancer de phase IV. Son cancer du sein s’est propagé aux poumons et aux os, et les médecins lui donnent moins de 12 mois à vivre.

Le 31 décembre 2013, le Federal Bureau of Prisons a demandé au juge fédéral John G. Koeltl de libérer Lynne Stewart pour des raisons humanitaires.  Le juge Koeltl, qui avait condamné Lynne Stewart à 10 ans de prison le 15 juillet 2010, a ordonné sa libération immédiate et déclaré que « l’état de santé de l’accusée, en phase terminale et son espérance de vie très courte constituaient des motifs impérieux et que Lynne Stewart représentait un risque de récidive relativement limité et très peu de danger pour la communauté ». Elle vit aujourd’hui à Brooklyn, chez son fils Geoffrey Stewart, lui aussi avocat. Comble de l’odieux, Lynne Stewart, bien que libérée parce qu’elle est en phase terminale, n’avait aucune couverture médicale depuis sa sortie de prison. Ce qui signifie, en d’autres termes, une condamnation à mort. Le gouvernement américain, « dans son empathie », lui a donné le choix entre rester en prison et recevoir des soins médicaux ou être libérée et devoir payer de sa poche les soins requis par sa santé. Lynne Stewart n’est pas riche, son mari Ralph Poynter non plus, et le coût des soins de santé aux États-Unis est prohibitif. Il est vrai qu’il existe un programme public de santé aux États-Unis, Medicaid, destiné à fournir une assurance maladie aux individus et aux familles à faible revenu. Mais il aura fallu deux mois à Lynne Stewart avant de pouvoir en bénéficier.

Si l’on fait un rapide retour sur le cas de Lynne Stewart, il ressort immédiatement qu’elle a servi de bouc émissaire au gouvernement des États-Unis. La justice américaine s’est intéressée à son cas seulement après le 11 septembre 2001. Rappelons que sa seule faute est d’avoir contrevenu aux mesures administratives spéciales (Special Administrative Measures, SAM) du bureau américain des prisons (US Bureau of Prisons). Elle avait été obligée de signer ces mesures pour pouvoir défendre le Cheik Omar-Abdel Rahman. Les SAM sont inconstitutionnelles : elles violent le Premier Amendement ainsi que le Sixième Amendement de la Constitution américaine selon lequel, tout accusé a droit à un avocat et à être jugé par un jury d’État impartial dans l’État même où le crime a été commis et seulement pour ce crime. L’Administration Clinton n’a pas considéré Lynne Stewart comme une terroriste et une traîtresse. À l’époque, son cas a simplement été considéré comme une faute administrative. Lynne Stewart a reçu une lettre à cet effet, et n’a pas pu rendre visite à son client pendant quelque temps. Puis, elle a pu reprendre ses visites au Cheik en prison et poursuivre son travail d’avocate. Ce n’est que le 9 avril 2002 qu’elle a été arrêtée à son domicile par le FBI, quelques mois après les évènements du 11 septembre 2001 et dans un climat d’hystérie collective. Le soir de son arrestation, John Ashcroft, ministre de la Justice des États-Unis, est allé à l’émission populaire de David Letterman, Late Night Show, et a déclaré à toute l’Amérique que Lynne Stewart était une traîtresse à la nation.

Lynne Stewart est devenue un double symbole. Le gouvernement américain et ses partisans voient en elle une menace pour l’autorité et la sécurité des États-Unis, en langage clair : une menace pour leurs intérêts. En réalité, ses années de travail acharné comme militante pour la justice sociale et le respect des droits civils, sa brillante carrière d’avocate de la défense et sa connaissance sans faille de la loi et du système judiciaire sont ses seules fautes. Devenue un exemple pour de nombreux avocats plus jeunes, elle représentait un danger réel pour le gouvernement. Un danger que la justice et la loi soient respectées aux États-Unis. Pour ses partisans et les partisans des droits et libertés et du respect de la Constitution, elle est le modèle à suivre. La femme derrière laquelle on se range pour monter aux barricades et prouver au gouvernement qu’on existe, que les lois existent et qu’on n’abandonnera pas la lutte pour la justice et les droits et libertés.

En s’acharnant contre elle, l’Administration américaine a contribué à en faire une héroïne. Lynne Stewart l’a prouvé, elle n’abandonne pas le combat. Et c’est ce que les juges lui ont reproché. Dans mon article du 2 juillet 2012 Lynne Stewart : une histoire américaine, j’écrivais « Elle n’est pas à la veille de se taire ou de baisser les bras. Et, advenant qu’elle ne sorte de prison qu’à l’âge de 80 ans, il est fort probable qu’elle sortira debout, le poing levé et que nombreuses seront les personnes qui l’attendront quand elle franchira les grilles ». C’est exactement ce qui s’est produit le 1er janvier 2014.

Ce cas états-unien s’inscrit dans la logique mondiale d’aujourd’hui : instaurer la peur en votant et appliquant des lois contraires aux droits et libertés, cibler quelques figures pour en faire un exemple, Lynne Stewart, Julian Assange, entre autres. Tout cela au nom de la sécurité des citoyens. Le cas de Lynne Stewart a débuté en novembre 1994, quand Ramsey Clark, ancien procureur général des États-Unis, lui a demandé d’assurer la défense du Cheik Omar-Abdel Rahman. Vingt ans plus tard, il nous est facile de voir qu’il cristallise la politique des gouvernements successifs qui a abouti à la limitation des droits et libertés individuels sous prétexte de protéger le peuple états-unien d’abord, puis de défendre la démocratie à l’échelle planétaire. Ce cas démontre comment une machine infernale a été mise en place pour assurer la domination du pouvoir états-unien. Domination aux visées politiques, économiques et idéologiques afin de poursuivre une guerre hégémonique. Ces vingt dernières années ne sont pas sans rappeler ce qui s’est passé en Europe pendant les années 1930. Tout ce qu’Hitler a fait, il l’a fait en toute légalité, écrivait Martin Luther King en 1963, alors qu’il était détenu à la prison de Birmingham. Depuis une vingtaine d’années, le gouvernement des États-Unis a mis en place une panoplie de règles et lois afin de pouvoir surveiller, arrêter, détenir, déporter, torturer légalement quiconque pourrait lui faire obstacle. Dans le cas de Lynne Stewart, il s’est attaqué ouvertement aux droits garantis par la Constitution américaine.

Claude Jacqueline Herdhuin

 

Claude Jacqueline Herdhuin est auteure, réalisatrice, doctorants en Études et pratique des arts

 

Bande-annonce – LYNNE STEWART – UNE HISTOIRE AMÉRICAINE

Trailer – Lynne Stewart – An American Story from Mizo Films on Vimeo.

Un documentaire (52 min) de Francis van den Heuvel et Claude Jacqueline Herdhuin

Image : Robert Vanherweghem – Son : Marcel Fraser – Musique : Claude Fradette

Postproduction : Jean Pierre Lefebvre (Cinak ltée) – Sodec – Radio-Canada – ACIC (ONF)



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