Contre Monsanto, les pesticides et l’Agent orange, la bataille juridique continue

Alors qu’une nouvelle marche contre Monsanto a lieu ce 15 mai, les victimes des produits de la firme peinent à infliger un véritable coup d’arrêt aux firmes agrochimiques. Mais les procès se multiplient contre Monsanto, avec des succès divers.

En 2004, Paul François, un agriculteur, avait été intoxiqué en inhalant les vapeurs de l’herbicide Lasso fabriqué par Monsanto. Après plus de treize ans de combat juridique, il a obtenu que la Cour de cassation condamne Monsanto en octobre 2020. Parmi les autres recours très médiatisés contre le géant de l’agrochimie américain, celui de Dewayne Johnson, aux États-Unis : jardinier dans une école, atteint d’un cancer incurable après avoir été exposé au Roundup en 2015, il a reçu 20,5 millions de dollars de dommages et intérêts au terme de son procès.

Mais ces victoires font figures d’exception. En 2020, aux États-Unis, plus de 130 000 victimes des pesticides de Monsanto ont porté plainte contre la multinationale, qui a réussi à négocier un accord global d’indemnisation à hauteur de 10 milliards de dollars (échappant ainsi à de multiples condamnations en justice qui lui auraient coûté des dizaines de milliards de dollars). Autre échec, le procès qui aurait dû être celui du premier écocide de l’histoire : le 10 mai 2021, le tribunal d’Évry s’est déclaré incompétent pour jugerde la responsabilité de quatorze multinationales, dont Monsanto, dans l’épandage de l’« agent orange » durant la guerre du Vietnam. 80 millions de litres de ce puissant défoliant ont été déversés sur le Vietnam par l’armée américaine entre 1964 et 1975 dans la guerre contre les combattants du Vietcong.

Établir une jurisprudence à l’échelle mondiale

Une journée d’action se déroule à Paris et dans une quinzaine de villes en France afin de lutter contre l’entreprise. Cette mobilisation s’inscrit dans un mouvement mondial pour dénoncer les multinationales agrochimiques qui fabriquent les OGM et pesticides nuisibles à la santé humaine.

« Comme les politiques ne font pas grand-chose, il faut bien prendre les choses en main », dit à Reporterre Corinne Lepage, avocate, ancienne ministre de l’Environnement et présidente du parti écologiste Cap21. Et « la justice est un des leviers à disposition des victimes », explique à Reporterre l’avocat François Lafforgue. « Les précédentes procédures remportées ont permis de créer une brèche pour les victimes, un préalable dont elles peuvent se saisir. » Les recours contre Monsanto-Bayer et les autres géants de l’agrochimie se font « bout par bout » : des précédents procès naît une jurisprudence « extrêmement utile pour créer une justice sanitaire à l’échelle mondiale ».

Devant le site de Monsanto de Saint-Andiol (Bouches-du-Rhône), samedi 18 mai 2019.

Car pour Kim Vo Dinh, coprésident de Combat Monsanto et coordinateur du collectif Vietnam-Dioxine, « attaquer le portefeuille de l’entreprise est le moyen le plus sûr d’arriver à un changement ». Les actions en justice peuvent en effet permettre aux victimes d’obtenir des dommages et intérêts significatifs. « Il y a aussi un objectif de prévention, ajoute François Lafforgue. Si elles sont condamnées à verser des sommes importantes, les entreprises peuvent revoir leurs politiques et faire plus attention à la dangerosité des produits mis sur le marché. » Pour l’avocat, la législation évolue dans le bon sens car plusieurs pesticides dangereux, comme les produits à base d’atrazine ou d’époxiconazole ont été interdits depuis les années 2000. Malgré tout, dit-il, « ce n’est pas suffisant ».

Antoine Lambert, président de l’association Phyto-Victimes, qui aide les victimes des produits phytosanitaires à recevoir une indemnisation, tempère le poids des actions en justice : « Certes Monsanto paye une certaine somme d’argent. Mais que représentent quelques millions de dollars pour ce géant ? Le risque financier est peu élevé. »

Alors comment expliquer le faible nombre de procédures ? D’abord parce qu’elles sont longues et compliquées, explique Corinne Lepage : « Il est difficile de faire la preuve. » Les agriculteurs sont exposés pendant plusieurs années à des centaines de pesticides différents. Dans le cas d’une exposition chronique, il est difficile, voire impossible pour les victimes de prouver que tel ou tel produit est directement responsable de la maladie. « Il est plus difficile de caractériser la faute des fabricants », précise François Lafforgue. D’où la difficulté d’obtenir gain de cause.

« On ne joue pas dans la même cour. »

Par ailleurs, pour Antoine Lambert, la balance est trop déséquilibrée : « C’est une bataille d’experts. D’un côté, on a une victime avec un problème de santé et de l’autre un mastodonte qui a juste à attendre que le temps passe. On ne joue pas dans la même cour. » Ainsi, pendant les nombreuses audiences du procès de Paul François, défendu par François Lafforgue, « Monsanto a contesté absolument tout, point par point ». Il est alors apparu clairement que la stratégie de l’entreprise était de « créer et de semer le doute ». Corinne Lepage, elle, dénonce une « organisation de la science » de la part des géants de l’agrochimie : les « Monsanto Papers », en 2017révélaient comment la puissante firme américaine avait fait paraître des articles coécrits par ses employés et signés par des scientifiques pour contrer les informations dénonçant la toxicité du glyphosate.

Enfin, pour Kim Vo Dinh, une des raisons expliquant que peu d’agriculteurs intentent des procès contre le géant de l’agrochimie s’explique par « une forme de solidarité » : « Pour certains agriculteurs, s’attaquer au secteur de l’agrochimie, c’est aussi d’une certaine manière s’attaquer à l’agriculture. » « Il y a une telle pression dans la profession agricole pour ne pas l’ouvrir » que peu d’agriculteurs osent intenter une action en justice, confirme l’ancienne ministre de l’Environnement Corinne Lepage.

Paul François en 2015 : « Je suis très fatigué, mais ça valait le coup de se battre. »

« Les recours se multiplient, mais n’ont pas encore assez de poids », constate Kim Vo Dinh. Pour le coprésident de Combat Monsanto, des « interdictions réglementaires » sont nécessaires pour impulser un changement de stratégie chez les fabricants. Corinne Lepage, elle aussi, estime que les décisions politiques sont des alternatives aux actions en justice. « Mais on n’arrive pas à les obtenir , lâche-t-elle. Il faut faire pression par la consommation. Si nous arrêtons d’acheter des pesticides, les fabricants n’en fabriqueront plus. »

Autre levier à la disposition des associations : la sensibilisation : « L’opinion publique est de plus en plus sensibilisée à la question des pesticides, mais elle n’est pas encore assez organisée », dit Kim Vo Dinh, qui estime que des marches telles que celle du 15 mai permettent de « vulgariser l’information, et faire comprendre le danger que représentent les entreprises comme Monsanto ».

Source : Margaux Otter pour Reporterre

Photos : .chapô : Marche contre Monsanto à Toulouse, en 2015. CCBYSA 4.0 Gyrostat/Wikimedia Commons
. Saint-Andiol © Pierre Isnard-Dupuy/Reporterre
.Paul François © Lorène Lavocat/Reporterre



Articles Par : Reporterre

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