Corée: l’unification n’a pas besoin de se faire «à l’allemande»

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Unir les deux Corées ? Une bonne chose, mais pas à réaliser n’importe comment. Si le Sud veut avaler le Nord en le mettant à genoux, le projet est voué à l’échec, prévient Andre Vltchek. Car la Corée n’est pas l’Allemagne. Le Sud et le Nord peuvent vivre ensemble, mais doivent se respecter mutuellement. (IGA)


C’est étrange : en venant du sud, près de la zone démilitarisée qui divise la Corée en deux, on voit beaucoup de drapeaux et de slogans sentimentaux prônant la « paix », mais rien qui représente le point de vue du peuple nord-coréen. Tous les drapeaux sont ceux de la République de Corée, connue aussi sous le nom de Corée du Sud.

Beaucoup de gens vivant près de cette ligne de séparation ont transformé toute cette zone en un piège à touristes, avec des tours d’observation « pour avoir un aperçu de la Corée du Nord », des boutiques vendant des « souvenirs » militaires sud-coréens et américains, et même du vieux matériel. Comme si les Nord-Coréens étaient une sorte d’animaux rares vivant dans une cage, fascinants à étudier et à observer, mais dangereux à toucher.

Oui, tous les drapeaux ici sont ceux de la République de Corée. Même si les deux drapeaux sont croisés, dans ce qui pourrait être une union symbolique et fraternelle, ce sont toujours deux drapeaux identiques, ceux de la Corée du Sud. Cela paraît vraiment étrange, mais c’est comme ça.

Quelque chose semble toujours désespérément manquer dans cette « aspiration à la paix » et pour une Corée réunifiée sud-coréenne. Et ce qui manque est d’une certaine manière totalement basique : c’est au moins un élément symbolique essentiel du nord, de la RPDC !

Près de la zone démilitarisée, entre la République de Corée et la République populaire démocratique de Corée

Je connais les deux parties de la Corée – la République populaire démocratique de Corée et la République de Corée. Ce qui m’inquiète, c’est qu’il semble que le Sud pense qu’il peut mener à bien toute cette « affaire de réunification » tout seul, sans prendre en compte les besoins et les désirs de l’autre partie.

L’Occident tient pour acquis que le Nord sera finalement tout simplement avalé par le Sud. Parce qu’il a l’habitude d’obtenir ce qu’il veut. Parce que dans son zèle fondamentaliste, il n’est même pas capable de prendre en compte les sensibilités et les buts d’autres systèmes politiques, philosophiques et sociaux.

Le plan de l’Occident et de la Corée du Sud est simple, quoique la plupart du temps jamais défini clairement, pour des « raisons stratégiques » :

“Une fois le moment de la réunification potentielle arrivé, la RPDC cesserait simplement d’exister, comme l’Allemagne de l’Est a cessé d’exister il y a trente ans. Tout de suite après, toute la Corée serait dirigée selon les principes capitalistes, sous le « patronage » et le diktat de l’Occident.”

“Le peuple et les dirigeants de la Corée du Nord tomberont à genoux et se rendront, après que les masses auront abattu à mains nues les barrières de la frontière. Les gens ordinaires renonceront avec bonheur à leur système ainsi qu’à plusieurs décennies de luttes et de sacrifices. Tout sera jeté au pied de l’autel des puissantes entreprises sud-coréennes et du régime pro-occidental.”

Vrai ? Continuez de rêver !

Art propagandiste près de Séoul (Photo Andre Vltchek)

La Corée n’est pas l’Allemagne. Et la deuxième décennie du XXIe siècle est très différente des années bizarres et confuses où Gorbatchev a brillamment démontré au monde jusqu’où un idiot naïf et utile pouvait nuire à son propre pays et à toute la planète.

La vérité est que la Corée du Nord ne se désintégrera jamais comme l’Allemagne de l’Est, pour de nombreuses raisons, l’une d’elles étant que l’histoire allemande est très différente : l’Allemagne a été divisée entre quatre puissances victorieuses après la Seconde Guerre mondiale. La partie occidentale ne voulait pas nécessairement être capitaliste et pro-occidentale (les États-Unis et la Grande-Bretagne ont falsifié les élections d’après-guerre), et l’Est ne voulait pas nécessairement être dans l’orbite soviétique non plus. Soyons honnête : le pays tout entier, un peu plus tôt, était en plein délire, criant des slogans bizarres et salivant sous des croix gammées, admirant follement un psychopathe meurtrier.

Non, la Corée du Nord n’était pas et n’est pas l’Allemagne de l’Est ! Elle n’a été assignée à aucun « bloc ». Elle a mené une bataille acharnée pour son propre système ; elle a perdu des millions de sa population au cours de la guerre brutale, ou appelez-le génocide, perpétrée par l’Occident. Et à la fin, après avoir reçu l’aide fraternelle de la Chine, elle a gagné.

Depuis le début, la RPDC a été un pays internationaliste, très semblable à Cuba. Pas encore remise de l’épouvantable dévastation, elle a aidé à libérer de grandes parties de l’Afrique.

Elle a toujours su ce qu’elle voulait, elle s’est battue pour cela et elle a fini par atteindre beaucoup de ses objectifs !

Elle ne s’est jamais écroulée sous les sanctions et la propagande combinée de la République de Corée et de ses commanditaires occidentaux.

Même après l’effondrement du bloc soviétique, elle n’a pas changé de cap.

C’est un pays étonnant, et peu importe ce que certains pensent de son système politique. Et les Nord-Coréens sont des gens surprenants (j’ai eu le privilège de tourner là-bas, mon film « poétique » de 25 minutes, Faces of North Korea – Visages de la Corée du Nord). Ils ne vendront pas leurs idéaux pour de plus grandes voitures et une paire de jeans de marque. Tout comme pour Cuba, la patrie nord-coréenne n’est pas une marchandise.

***

Alors imaginez la Chine et la Russie, combien ces deux pays (de plus en plus sous la menace de l’Occident) seraient « fous de joie » si toute la Corée tombait dans les mains de l’Amérique du Nord. Imaginez ces bases militaires intimidant Herbin, Dalian, Beijing, Khabarovsk et Vladivostok !

La Corée du Sud subodore que le Nord ne cèdera pas.

Chapelle du Mariage au musée de la Guerre à Séoul

Ils ont tout essayé : ériger d’immenses palais de la propagande comme le tristement célèbre « Musée de la guerre » à Séoul. Ils ont diffusé leurs sermons propagandistes par des stations radio, et même d’immenses haut-parleurs placés tout près de la ligne de démarcation. Ils ont joint leurs efforts à ceux de l’Occident, essayant d’isoler, voire de faire mourir de faim, leur propre sœur du nord. Rien n’y a fait.

La République de Corée censurait la presse, faisait disparaître et assassinait ses dissidents, torturait et violait les prisonniers politiques. Tout cela uniquement pour briser tout ce qui restait de sympathie pour les idéaux communistes au Sud. La campagne de terreur sud-coréenne a été épouvantable, comparable seulement à celles qui ont eu lieu en Amérique du Sud sous les dictatures de droite, et bien sûr à celle de l’Indonésie après 1965.

Séoul ne s’est jamais vraiment excusée auprès des victimes. Contrairement à Taiwan, aucun monument ou musée n’a été érigé en mémoire des morts de la terreur de droite.

Musée de la guerre à Séoul (Photo Andre Vltchek).

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Tenter d’« adoucir » la RPDC par des sanctions, la course aux armements et l’intimidation n’a porté aucun fruit. Et n’en portera jamais. Tout au contraire : la Corée du Nord a réussi à s’endurcir, à se mobiliser et à apprendre à produire pratiquement tout : des automobiles aux fusées, des ordinateurs aux équipements médicaux de pointe et aux médicaments.

Pour les deux parties de la Corée, la seule façon de trouver un langage commun est de se manifester du respect mutuel. Le scénario allemand ne fonctionnerait pas ici, et ne fonctionnera jamais.

Les deux drapeaux doivent flotter l’un à côté de l’autre. Les deux systèmes politiques et économiques doivent être respectés. Lorsqu’on parle d’unification, il faut considérer les deux « voies ».

Si la Corée du Sud devait « dévorer » le Nord, rien de bon n’en sortirait : seulement plus de tension, de mécontentement et de confrontation possible. Le Nord est une terre fière. Il a réalisé beaucoup de choses, seul. Il a survécu, contre toute attente. Il a aidé des régions opprimées du monde, honnêtement et généreusement. Il a de quoi en être fier. Par conséquent, il ne se rendra jamais.

Pourtant, la Corée est une nation et elle aspire à l’unité. Elle l’aura, mais avant, les « deux sœurs », toutes deux belles, toutes les deux brillantes, toutes les deux très différentes, doivent s’asseoir ensemble et parler honnêtement et sincèrement. Elles l’ont déjà fait, et elles le referont. Toutes les deux, ensemble, forment une famille. Mais elles ne peuvent pas vivre ensemble dans une seule pièce. Pas encore. Dans une maison, oui, mais dans deux appartements différents.

Et lorsqu’elles parlent et essaient de construire leur maison, de nouveau, il ne devrait y avoir aucune ingérence de l’étranger. Elles n’ont besoin de personne pour leur dire quoi faire. Elles savent, elles trouveront une langue commune si elles sont laissées seules. Tout est possible et espérons que cela arrivera bientôt. Mais pas « à l’allemande », cela se fera « à la coréenne », ou pas du tout.

Andre Vltchek

Photo début d’article : Près de la zone démilitarisée, entre la République de Corée et la République populaire démocratique de Corée (Photo Andre Vltchek)

Toutes les photos sont de l’auteur.

Article original en anglais :

The Reunification of North and South Korea: North Korea (DPRK) will Never Disintegrate Like East Germany (DDR), le 22 novembre 2018

Traduit de l’anglais par Diane Gilliard pour Investig’Action



Articles Par : Andre Vltchek

A propos :

Andre Vltchek is a philosopher, novelist, filmmaker and investigative journalist. He covered wars and conflicts in dozens of countries. His latest books are: “Exposing Lies Of The Empire” and “Fighting Against Western Imperialism”. Discussion with Noam Chomsky: On Western Terrorism. Point of No Return is his critically acclaimed political novel. Oceania - a book on Western imperialism in the South Pacific. His provocative book about Indonesia: “Indonesia – The Archipelago of Fear”. Andre is making films for teleSUR and Press TV. After living for many years in Latin America and Oceania, Vltchek presently resides and works in East Asia and the Middle East. He can be reached through his website or his Twitter.

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