COVID-19 a-t-il ouvert la voie à une Écosse indépendante?

Ce fut l’une des pires périodes de notre histoire mondiale. Mais pour les nationalistes écossais, la pandémie était la crise nécessaire pour faire monter en puissance la cause de l’indépendance. Dans le dernier sondage sur l’indépendance de l’Écosse, 53 % des personnes interrogées sont favorables à l’indépendance et 47 % y sont opposées. C’est le nombre le plus élevé jamais atteint de personnes favorables à vouloir du giron du Royaume-Uni. Maintenant, les Unionistes doivent se réveiller et faire le point sur la situation.

Bien sûr, ce chiffre de soutien à l’indépendance n’est pas impressionnant. Mais pour comprendre l’importance de cette étape dans le parcours de la cause pour l’indépendance, il est important de se rappeler comment nous en sommes arrivés là. Prenez par exemple le pourcentage de personnes en faveur de l’indépendance à l’approche du référendum de 2014. Les sondages montraient à l’époque qu’elles n’étaient que de 32 à 38 % en faveur du oui. Il faut ensuite penser à l’extraordinaire ascension du Parti national écossais [SNP] au cours des deux dernières décennies. Au début du XXe siècle, le SNP était un parti marginal radical, personne ne pensait qu’il pourrait être élu au gouvernement. En 2007, il a pris le pouvoir au Parlement écossais, formant un gouvernement minoritaire. Depuis lors, il n’a fait que se renforcer ces derniers années, dominant la scène politique écossaise.

Les étrangers me demandent souvent : pourquoi y a-t-il plus d’Écossais qui ne sont pas en faveur de l’indépendance, chaque peuple a sûrement le désir d’autodétermination ? Ma réponse : bien sûr que ce désir existe. Mais pendant des siècles, la notion de l’identité écossaise a été littéralement rejetée par les Écossais. On leur a interdit de porter le kilt – le vêtement traditionnel des hommes – et on les a obligés à parler anglais au lieu du gaélique ou de l’écossais. Lorsque ma grand-mère est allée à l’école dans les années 1920, les enfants étaient battus pour avoir parlé dans leur langue maternelle. Et il y a aussi le pouvoir d’influence des médias. Durant des décennies, le service de radiodiffusion basé à Londres – la BBC – a eu une énorme influence sur la façon dont les Écossais se perçoivent. La propagande médiatique a été très efficace en persuadant de nombreuses personnes que l’Écosse était incapable de se gouverner elle-même, qu’elle ne peut pas se débrouiller sans l’Angleterre, que sa langue et sa culture sont en quelque sorte inférieures à celles des Anglais.

Et pourtant, il y a toujours eu un soutien populaire à l’indépendance, les descendants de ceux qui ont combattu les guerres d’indépendance des 13e et 14e siècles et les rébellions jacobites ultérieures ; ceux qui n’ont jamais oublié comment la souveraineté écossaise a été volée. Ou « vendus », comme certains le diraient. En effet, bien qu’il y ait eu une opposition à l’Acte d’Union de 1707 jusqu’à sa signature, ceux qui ont voté pour la fin du pays en ont obtenu des avantages financiers, en recevant des titres fonciers et des terres. Comme l’a dit Sir Walter Scott, les hommes qui ont vendu l’Écosse aux Anglais ont été « achetés et vendus ». Il les a décrits comme « des gens mensongers et corrompus », écrivant que « les intérêts de l’Écosse ont été considérablement négligés dans le traité d’Union ; et en conséquence, au lieu de reconnaître la nation écossaise comme faisant partie des intérêts des deux royaumes, ils ont abandonné la nation et sa souveraineté ».

L’Union n’a jamais été en mesure de répondre efficacement aux intérêts de l’Écosse ; les nations n’ont jamais été des partenaires égaux. Même avec un parlement décentralisé, l’Écosse n’est pas responsable de sa propre radiodiffusion, de ses prestations et de sa politique sociale, de sa défense, de sa politique étrangère, de sa politique d’immigration ou de son commerce et de son industrie. En outre, elle a besoin d’une « autorisation » pour organiser un référendum sur l’indépendance, autorisation refusée par Boris. Mais une relation aussi inégale s’avère aujourd’hui problématique pour l’avenir de l’Union. Tout comme il y a vingt ans, le « poll tax » [capitation] de Margaret Thatcher qui a permis la création d’un parlement écossais, le référendum favorable à la sortie du Royaume-Uni de l’UE, le Brexit, a provoqué la naissance d’une nouvelle rébellion. Une fois de plus, le peuple écossais est entraîné sur une voie qu’il a rejetée ; nous n’avons pas voté pour quitter l’UE et nous n’avons pas eu d’autre choix que de nous conformer aux souhaits de Westminster.

L’arrivée de la pandémie a été « la goutte d’eau qui a fait déborder le vase » en ce qui concerne la fracture de l’Union  du Royaume-Uni. Chaque malheur a un bon côté et cette pandémie a sans aucun doute renforcé le désir des citoyens pour l’indépendance de l’Écosse. Les sondages d’opinion antérieurs à la Covid-19 ont montré qu’une majorité était toujours en faveur du maintien de l’Écosse avec le Royaume-Uni. Un sondage Panelbase du 3 décembre 2019 a montré que 50 à 44 % des personnes interrogées ont voté contre l’indépendance. Pourtant, les nombreux sondages réalisés depuis le début de la pandémie montrent systématiquement le contraire.

Le mérite de ce changement revient sans aucun doute à la première ministre écossaise, Nicola Sturgeon, et à sa gestion de la crise. Un sondage réalisé le 26 mai dernier a montré à quel point les gens pensaient que Mme Sturgeon avait mieux géré la pandémie que son homologue de Westminster. Un remarquable 82 % des personnes interrogées ont fait l’éloge de Sturgeon, tandis que 30 % seulement ont déclaré qu’elles pensaient que Johnson avait bien géré la situation. Les points de presse quotidiens du premier ministre, la cohérence des messages et des assurances, ainsi que les programmes efficaces de suivi et de traçabilité qui ont permis de réduire considérablement le nombre de cas de coronavirus, ont tous fait preuve d’un leadership efficace. Cela a permis à Sturgeon de de gagner un peu plus de confiance.  Johnson ne peut tout simplement pas faire face à cette situation, alors que l’Angleterre lutte pour endiguer la pandémie et que la plus grande récession économique de l’histoire se profile à l’horizon.

Il est difficile d’imaginer comment Johnson pourrait renverser la situation. La panique s’installerait à Westminster, car les autorités se rendent compte qu’elles sont sur le point de perdre l’Écosse une fois pour toutes. Il reste à voir comment l’Écosse peut organiser un second référendum si Westminster refuse de lui accorder. Mais comme le dit le vieux dicton, « Quand on veut, on peut ».

Johanna Ross

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L’image présentée est tirée d’InfoBrics

Has COVID-19 Paved the Way for an Independent Scotland?

Cet article a été publié initialement par InfoBrics.

Traduit par Maya pour Mondialisation.ca

Johanna Ross est une journaliste basée à Édimbourg, en Écosse.

 



Articles Par : Johanna Ross

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